À Brazzaville, des témoins parlent

Publié le 28 février 2005 Lecture : 4 minutes.

A Brazzaville, l’affaire des « disparus du Beach » devient sensible. Elle prend même une « tournure passionnelle », selon un observateur indépendant, alors que le malaise est perceptible dès que l’on aborde le sujet. La conférence de presse de Denis Sassou Nguesso et Jacques Chirac lors du sommet sur les forêts du Bassin du Congo, le 5 février, a été sur ce point édifiante. Brouhaha dans la salle, sourires embarrassés des deux chefs d’État : la question d’un journaliste a brisé la douce atmosphère qui régnait au Palais du Parlement.
À la tribune, Jacques Chirac répond en premier. S’aidant d’une fiche, il rappelle la chronologie de la procédure judiciaire française, depuis la plainte déposée en décembre 2001 par plusieurs organisations de défense des droits de l’homme jusqu’à l’annulation de la procédure prononcée par la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris, le 22 novembre 2004. Prudent, pesant ses mots et ne prononçant aucun nom, le président français ajoute que le dossier n’est pas clos puisqu’un pourvoi en cassation a été déposé par les plaignants. Avant de conclure, « il ne m’appartient pas de commenter une action en justice ». L’arrêt de la Cour de cassation est attendu au plus tôt en juin 2005.
« Je crois que la question m’était aussi destinée », reprend aussitôt le chef d’État congolais. Regard perçant, verbe haut, Denis Sassou Nguesso s’adresse directement au journaliste et l’invite à venir assister « au procès qui
sera organisé cette année à Brazzaville. Ceux qui ont quelque chose à dire pourront venir témoigner. » En République du Congo, le tribunal de grande instance de Brazzaville a ouvert une instruction. Des auditions ont été effectuées et, le 7 juillet 2004, quatre officiers supérieurs de l’armée (Norbert Dabira, Blaise Adoua, Guy Pierre Garcia et Marcel Ntsourou) ont été mis en examen. « Sur le fond du dossier, la lumière sera faite à Brazzaville par la justice congolaise », déclare Alain Akouala, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement. Du côté des familles des disparus, deux avocats congolais se sont saisis du dossier. Le premier, Me Félix Nkouka, a proposé une transaction en juin 2001, pour le compte de 59 clients. L’offre tournait autour de 40 millions de F CFA (61 000 euros) en dommages et intérêts par famille. La procédure est restée sans suite. Depuis, l’avocat se montre très discret. Le second est en revanche beaucoup plus bavard mais se trouve être le leader d’une coalition de l’opposition (Code A) qui a par ailleurs un contentieux d’ordre financier avec l’État congolais pour non-paiement d’honoraires. Me Hervé Malonga affirme avoir recueilli une centaine de plaintes.
Par recoupement, il nous a été possible de rencontrer dans la capitale congolaise les membres d’une famille qui ont accepté de témoigner, sous couvert d’anonymat, pour des raisons de sécurité. Nous l’appellerons la famille M. Nous avons pu par ailleurs nous procurer leur plainte adressée au tribunal de grande instance de Brazzaville.
L’histoire commence le 18 décembre 1998. C’est la guerre. Deux frères et quatre amis quittent le quartier Bacongo, dans le sud de la capitale, pour fuir les combats entre les miliciens Ninjas et Cobras. Réfugiés dans la région du Pool, ils restent « au village » un peu moins de cinq mois avant de traverser par leurs propres moyens le fleuve Congo. Quelques jours d’errance en République démocratique du Congo ; ils décident finalement de rentrer au pays. Pris en charge par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés depuis le site de transit de Mbanza Ngungu, ils sont ensuite conduits à Kinshasa. Le HCR prend leur nom, leur adresse et les inscrit sur la liste des candidats au retour. Le plus âgé des deux frères traverse le premier, le 6 mai 1999, précisément. « À mon arrivée à Brazzaville, je n’ai vu aucun volontaire du HCR. Seuls des militaires congolais étaient présents. J’ai été retenu à la gendarmerie sans que ma famille le sache. Je n’ai pas été maltraité mais je n’ai rien eu à manger pendant trois jours. Au bout d’une semaine, j’ai été relâché. Mon petit frère et mes quatre amis ont eu moins de chance. »
Ils ont traversé le 14 mai. « Ma soeur est allée sur place, elle les a vus dans un cachot. Elle leur a parlé, elle a essayé de les faire libérer, mais les soldats demandaient de l’argent. Elle n’avait rien sur elle. En début de soirée, ils ont été emmenés vers une destination inconnue. » Depuis, plus de nouvelle. « Nous n’avons aucune idée de l’endroit où ils se trouvent, à l’époque certains disaient que l’on tuait au Beach », conclut le grand frère. Le nom du petit frère figure bien sur la liste du Collectif des victimes du Beach soutenu par la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) et l’Observatoire congolais des droits de l’homme (OCDH). Pour les quatre autres, leur identité n’a pu être vérifiée.
En tant que chef de famille, un oncle a déposé plainte. Confiant, il espère que ce « problème trouvera une solution à Brazzaville ou ailleurs ». Pour cela, il demande aux militaires présents au Beach de « dire ce qu’ils ont vu ». « Le petit a disparu sans laisser de traces. C’est ce qui nous a fâchés, sinon nous n’aurions pas porté plainte. »
« Nous défendons la vérité », s’exclame-t-il, avant d’ajouter comme pour mieux se convaincre, « nous n’avons pas peur ». « Seulement savoir ce qui est arrivé. »

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