Guinée : les violences politiques de retour à Conakry

Un mort par balle la semaine dernière, un autre lors de la marche de l’opposition mardi 23 octobre, le chef de file de l’opposition qui affirme avoir été la cible d’une tentative d’assassinat… La Guinée est à nouveau secouée par des tensions politiques fortes.

Des policiers interviennent à Conakry lors d’une manifestation de l’UFDG, en avril 2015 (photo d’illustration). © Youssouf Bah/AP/SIPA

Des policiers interviennent à Conakry lors d’une manifestation de l’UFDG, en avril 2015 (photo d’illustration). © Youssouf Bah/AP/SIPA

DIAWO-BARRY_2024

Publié le 24 octobre 2018 Lecture : 5 minutes.

« La fumée blanche » annoncée au soir de la signature de l’accord politique du 8 août dernier par le président du groupe parlementaire RPG-Arc-en-ciel, Amadou Damaro Camara, aura fait long feu. Après deux journées « ville mortes », la semaine dernière – avec à la clé un jeune homme tué par balle -, l’opposition est redescendue dans la rue mardi 23 octobre, malgré l’interdiction des autorités, pour protester contre les conditions d’installation des conseils communaux issus des élections locales du 4 février 2018.

>>> À LIRE – Guinée : l’installation des conseils municipaux suscite la colère de l’opposition

la suite après cette publicité

La marche a tourné court et s’est arrêtée au niveau du rond-point Bellevue, à environ un kilomètre du domicile de Cellou Dalein Diallo, le chef de file de l’opposition guinéenne et président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG). Le cortège des opposants s’est heurté à un dispositif sécuritaire lui barrant la route et les forces de l’ordre ont tiré un épais nuage de gaz lacrymogènes.

Cellou Dalein Diallo affirme avoir été la cible d’une tentative d’assassinat

Au sortir de cette confusion, Cellou Dalein Diallo, qui était assis sur la banquette arrière de sa voiture avec le leader du Bloc libéral, Faya Millimouno, constate deux trous sur les vitres avant et arrière de son véhicule. Son chauffeur, blessé par les éclats de verre, saigne sur la tempe droite. Le chef de file de l’opposition guinéenne est sans équivoque : « C’est une balle qui a été tirée. Elle a percé le pare-brise avant et est ressortie par l’arrière, en passant juste entre mon chauffeur et le garde qui étaient devant et entre le Dr Faya et moi, à l’arrière ».

Il y a eu une tentative d’assassinat contre ma personne. J’ai cru à des rumeurs, à de l’intimidation. C’était planifié

Cellou Dalein Diallo en est persuadé : il a échappé a une tentative d’assassinat. « Depuis trois jours, il y a des amis, des SMS que je reçois m’intimant de ne pas sortir cette fois-ci. Il y a eu une tentative d’assassinat contre ma personne. J’ai cru à des rumeurs, à de l’intimidation. C’était planifié », affirme-t-il à Jeune Afrique.

la suite après cette publicité

Mardi, en fin d’après-midi, un manifestant a été tué. Mamadou Samba Diallo, jeune plombier de dix-huit ans, a été atteint par une balle alors qu’il se trouvait à Cosa, l’un des fiefs de l’opposition dans la banlieue de Conakry. Par ailleurs, une dizaine de personnes ont été arrêtées, parmi lesquelles des membres de la garde de Cellou Dalein Diallo. Des tirs nourris ont aussi été entendus dans la nuit de mardi à mercredi dans certains quartiers de Conakry.

>>> À LIRE – Guinée : la fragilité de l’État à l’origine de la résurgence des violences postélectorales

la suite après cette publicité

Si la marche était interdite, et a rapidement été dispersée, les activités ont été très ralenties dans plusieurs quartiers de la capitale guinéenne. La circulation a ainsi été coupée sur la route Leprince (fief de l’opposition), alors qu’elle était fluide sur l’autoroute Fidel Castro (fief de la mouvance), ainsi que dans le centre-ville de Kaloum.

« Bien entendu, le droit de manifester est consacré par la Constitution, mais lorsque le gouvernement constate un certain nombre de risques qui pourraient peser sur la sécurité des populations, il peut le suspendre. C’est ce qui a été fait, compte tenu du climat tendu consécutif à l’installation difficile des exécutifs communaux », justifie Amara Somparé, ministre de l’Information et de la communication, avant de remettre en cause la version de la tentative d’assassinat avancée par Cellou Dalein Diallo.

« Les informations qui nous sont remontées pour le moment ne font pas état de coups de feu. Les quelques velléités d’attroupement ont été dispersées par les forces de l’ordre équipées d’armes conventionnelles, de gaz lacrymogènes », affirme le ministre, qui se dit « interloqué » par les affirmations du chef de file de l’opposition. « Je crains qu’il n’ait pris un jet de pierre pour un coup de feu », glisse Amara Somparé.

La police invite l’opposition a ouvrir une enquête

Le commissaire Aboubacar Kassé, contrôleur général de la police nationale, a invité l’opposition à apporter la preuve de ses accusations. « Les forces de sécurité condamnent et rejettent les accusations portées à leur endroit par voie de presse suite à la violence causée sur le véhicule du chef de file de l’opposition et demandent l’ouverture d’une enquête », a-t-il déclaré dans un communiqué lu sur les antennes des médias d’État. « En règle de droit, la preuve de l’accusation incombe à l’accusateur », poursuit le communiqué. Les services de sécurité demandent impérativement à l’opposition républicaine l’ouverture d’une enquête indépendante de son choix et de faire procéder à l’expertise des faits. »

>>> À LIRE – Guinée : les violences liées à la présidentielle ont fait 13 morts selon Amnesty International

Le procureur général de la Cour d’appel de Conakry a pour sa part ordonné l’ouverture d’une enquête « aux fins de situer les responsabilités éventuelles sur les dérapages intervenus » lors de la marche.

S’il est vrai qu’on a voulu l’assassiner, c’est à condamner avec la dernière énergie. Il doit porter plainte

« S’il est vrai qu’on a voulu l’assassiner, c’est à condamner avec la dernière énergie. On ne peut pas et on ne doit pas en arriver là », estime Amadou Damaro Camara, président du groupe parlementaire de la majorité présidentielle, le RPG Arc-en-ciel. « Le seul problème, c’est que monsieur Cellou Dalein nous a habitués à ces faits. Il doit porter plainte. Je crois qu’on devrait procéder à cela avant d’accuser qui que ce soit », tempère-t-il.

Très remontée, l’opposition a appelé ses militants à poursuivre les manifestations et à observer une journée « ville morte » lundi 29 octobre. Le chef de fille de l’opposition affirme que « le gouvernement viole les lois » et souligne que « la Constitution sur laquelle Alpha Condé a prêté serment donne la liberté aux citoyens d’organiser des manifestations pacifiques. Nous ne sommes pas en état de guerre. Le gouvernement n’a pas le droit de confisquer cette liberté. On ne peut pas se soumettre à une décision illégale. »

Pour Amadou Damaro Camara, la stratégie de l’opposition est « d’empêcher Alpha Condé de gouverner ». « À chaque fois il y a une grève du SLECG (Syndicat libre des enseignants et chercheurs de Guinée, ndlr), des manifestations sont organisées par Cellou Dalein Diallo au même moment. Ils n’ont fait que marcher depuis huit ans. Quand quelqu’un est élu, on doit le laisser gouverner », martèle le président du groupe RPG-Arc-en-ciel. « Cellou Dalein est paniqué. Depuis la présidentielle 2015, son regard est fixé sur 2020 comme si c’était demain, alors que deux ans nous séparent de l’échéance », estiment-il.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Contenus partenaires