Bachar al-Assad

Sommé par les Américains de retirer ses troupes du Liban, le président syrien, désormais privé de vrai soutien international, se signale par un silence assourdissant. L’héritierd’Hafez al-Assad n’a décidément pas l’étoffe de son père.

Publié le 28 février 2005 Lecture : 6 minutes.

Son père, Hafez al-Assad, qui régna sur la Syrie de novembre 1970 à juin 2000, aimait flirter avec le danger. Sous la pression, il pliait parfois, ne rompait jamais, faisant passer le moindre repli tactique pour un énorme sacrifice, exigeant ensuite des compensations proportionnelles. Aujourd’hui, c’est au tour de Bachar al-Assad de se retrouver, pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir, au bord du précipice. Toute la différence est que le fils et successeur du « Bismarck arabe » s’est mis dans cette situation sans l’avoir voulu.
Pis : accusé par l’opposition libanaise d’avoir commandité l’attentat de Beyrouth qui, le 14 février, a coûté la vie à l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, Bachar a désormais le dos au mur. Les pays occidentaux, peu regardants, il y a quatre ans et demi, sur les modalités de son accession quasi monarchique au pouvoir, avaient d’abord caressé l’espoir que le fils cadet du vieux raïs, étudiant en ophtalmologie à Londres et que l’on croyait antimilitariste, ferait souffler un vent nouveau du côté de Damas. L’heureux époux d’Asma, une jolie informaticienne au look sophistiqué, qui s’était empressé de faire une tournée des capitales européennes, incarnait, du moins voulut-on le croire, le changement tant attendu. Voire une ouverture vers la démocratie. Les opposants syriens, qui continuent de croupir dans leurs geôles, ont été vite édifiés. La communauté internationale, elle, a perdu patience.
C’est paradoxalement le point fort de la politique d’Hafez al-Assad – l’emprise syrienne sur le Liban – qui met aujourd’hui dans l’embarras son successeur de fils. Lequel semble davantage le jouet de ses services secrets que leur chef… C’est en effet sous l’influence du général Rostom Ghazaleh, le patron des services syriens au Liban, que Bachar a imposé au petit voisin satellisé la prolongation du mandat du président Émile Lahoud. En toute illégalité… La Syrie a perdu, dans cette opération de septembre 2004, son principal allié, Rafic Hariri, naguère artisan des accords de Taëf (qui, en 1989, fixèrent les modalités de l’occupation syrienne et du désarmement des factions libanaises, mettant fin à quinze ans de guerre civile). Et Damas, dont Hariri s’était longtemps porté garant auprès de son ami Jacques Chirac, s’est aliéné, du même coup, l’indulgence de la France.
Plus grave, depuis la chute de Bagdad, la Syrie – comme l’Iran des mollahs – exaspère les États-Unis qui voient dans son régime baasiste (le dernier, depuis la chute de Saddam Hussein) un obstacle à leur grand projet de remodelage du Moyen-Orient. Résultat : en septembre 2004, le Conseil de sécurité des Nations unies, saisi par Washington et Paris, adoptait la résolution 1559, exigeant que la Syrie retire ses troupes (14 000 hommes) du Liban. Dernière étape : le 21 février dernier, George W. Bush sommait Damas de cesser de « soutenir le terrorisme », notamment en Irak. Bref, la menace se précise… (Voir l’analyse de Patrick Seale, pages 22-23.)
Le président syrien est-il en mesure d’y faire face ? Rien n’est moins sûr.
Car la donne, régionale et internationale, a beaucoup changé. L’Irak, qui a toujours constitué une sorte de glacis protecteur pour la Syrie – même au temps où les deux régimes se vouaient une
haine… fraternelle – est aujourd’hui occupé. Pressés par Washington de se démocratiser, les pays arabes ne se bousculent pas pour venir en aide au « frère » syrien de crainte d’irriter l’ogre américain. Encouragés par la mobilisation de la communauté internationale en leur faveur, les Libanais semblent déterminés, pour leur part, à recouvrer leur souveraineté et leur indépendance. Ils étaient 100 000, à Beyrouth, à manifester aux cris de « la Syrie dehors ! », le 21 février, une semaine après l’attentat contre Hariri. Quant aux nouveaux dirigeants palestiniens, dont la cause fut, par le passé, souvent instrumentalisée par Damas, ils songent surtout à reprendre les négociations de paix avec Israël. Conséquence : malgré le soutien, purement rhétorique, de l’Iran et de la Russie, la Syrie est isolée.
Or, dans ces circonstances délicates, Bachar se signale par un silence assourdissant. Cherche-t-il à gagner du temps, en attendant de pouvoir reprendre l’initiative au Liban et d’y redéployer ses pions – et ses plans ? Ou bien est-il à court d’idées ?
Sans doute est-ce l’explication la plus
plausible. À preuve : le jeune raïs (40 ans cette année) n’a rien trouvé de mieux à dire à Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue arabe, venu lui rendre visite après la manifestation beyroutine, que
son pays avait la « ferme intention de se retirer du Liban » conformément aux accords de Taëf. Une promesse de retrait qui a peu de chances de satisfaire les Libanais et la communauté internationale tant que sa portée et son calendrier n’auront pas été définis.
Ce n’est pas faute pour Bachar de s’être plongé dans le dossier. Son père ne lui avait-il pas appris que le Liban était l’antichambre de la Syrie, que tout changement dans l’un de ces États se répercutait dans l’autre ? Hafez al-Assad avait toujours veillé à maintenir ce pays dans son orbite, sinon sous sa coupe, multipliant les relais au sein de la classe politique locale, dont il connaissait la complexité et exploitait les contradictions. Au point qu’il entretenait, lui le musulman alaouite, de bonnes relations avec les chrétiens maronites. N’est-ce pas pour voler au secours de ces derniers qu’il envahit son voisin en 1976 ? De même, sans renier son panarabisme de façade, il n’hésita pas, en 1982, à ordonner le repli de ses troupes dans la plaine de la Bekaa et vers le nord du Liban, laissant les Palestiniens et les progressistes libanais se faire massacrer par les troupes d’invasion israéliennes, conduites par un certain Ariel Sharon. En 1991, prenant acte de la décomposition de l’Union soviétique, son ancien protecteur, il se ralliait sans états d’âme à la coalition anti-irakienne dirigée par Washington.
Tel un maître d’échecs, diversifiant ses coups pour mieux masquer son jeu, Assad père parvenait, tant bien que mal, à maintenir un équilibre des forces et à passer aux yeux de tous pour un facteur de stabilité dans une région instable.
Il avait préparé son fils aîné Bassel à lui succéder. Mais à la mort de ce dernier dans un accident de la route, le 21 janvier 1994, il rappelle Bachar de Londres. Une courte formation militaire – six mois -, et ce dernier est nommé colonel. Quatre ans plus tard, il « hérite » du dossier libanais. Le général Ghazi Kanaan, chef d’état-major du corps expéditionnaire, et le général Ghazaleh instruisent l’élève appliqué. En 2000, son père est emporté par une crise cardiaque. Mais ce dernier avait « verrouillé » la succession. Le chef d’état-major de l’armée syrienne, Hikmet Chihabi, et le patron des services de sécurité, Ali Douba, avaient été remerciés pour avoir émis des doutes sur les capacités du rejeton, et le parti Baas était aux ordres.
Pour l’héritier, la suite sera moins rose. Mais peut-on reprocher au jeune Bachar de n’avoir pas su faire fructifier son capital, voire de l’avoir dilapidé ? Après avoir donné l’illusion, au cours des deux premières années de sa présidence, de vouloir engager son pays sur la voie de la modernité, il n’est pas parvenu à s’imposer. Sans doute s’est-il laissé enfermer, peu à peu, dans un système parmi les plus hermétiques au monde, contrôlé par les services de renseignements et les clans mafieux. Totalement encadré par les anciens collaborateurs de son père, dont certains complotaient déjà alors qu’il n’était pas né, Bachar al-Assad donne l’impression d’être isolé dans son palais, marginalisé, peut-être même manipulé par quelques soldats de l’ombre. Au plan extérieur, ses louvoiements trahissent son incapacité à comprendre les changements intervenus dans le monde et à revoir les grandes lignes de sa politique étrangère.
Les masses arabes, qui ont cru, un moment, tenir enfin leur nouvel héros en la personne de ce géant à la voix chaude et au regard impassible, commencent à déchanter. L’héritier n’a pas l’étoffe d’un leader.

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