Que veut la Syrie ?

Le droit de veto que Damas se sent obligé d’exercer sur le choix du président a plusieurs motivations, dont la principale est la préservation de ses intérêts vitaux. Explication.

Publié le 28 janvier 2008 Lecture : 5 minutes.

Rien ne donne à penser que l’interminable crise libanaise sera bientôt résolue. La principale raison est que l’élection d’un président libanais n’est pas une affaire purement libanaise. De nombreuses puissances extérieures ont leur mot à dire. Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue arabe, s’est évertué à tenter une médiation entre les factions libanaises rivales et leurs soutiens extérieurs. En vain. Ces puissances extérieures comprennent des rivaux régionaux comme l’Arabie saoudite et l’Iran, mais aussi l’Égypte, la France, les États-Unis et même Israël – par le truchement des États-Unis. Mais le plus important de ces acteurs est la Syrie, pour laquelle ce qui se passe au Liban est une question vitale. À tort ou à raison, elle se sent obligée d’exercer son droit de veto sur le choix du président libanais.
Le bruit court à Damas que le président Bachar al-Assad a demandé à Amr Moussa d’aller à Riyad porter un message conciliateur au roi Abdallah. Il aurait même indiqué qu’il ne ferait rien sans s’être d’abord assuré de l’appui du royaume saoudien. Si ces rumeurs sont confirmées, elles peuvent être le signe d’une détente dans les relations interarabes et, par conséquent, laisser espérer une avancée au Liban. Selon certains observateurs, le sommet arabe de mars peut donner l’occasion de débloquer la situation et de permettre l’élection d’un président libanais. D’autres, plus pessimistes, croient qu’aucune décision ne pourra intervenir avant les législatives libanaises, plus tard dans l’année, qui peuvent modifier l’équilibre actuel du pouvoir entre la majorité et l’opposition.
Un problème clé semble être que la Syrie n’a plus confiance dans le général Michel Souleimane, le commandant en chef de l’armée libanaise, dont on espérait qu’il serait un président acceptable pour toutes les parties. Souleimane a noué des liens étroits avec la Syrie dans les années 1990, quand l’armée libanaise a été reconstituée avec l’aide syrienne après la guerre civile. L’an dernier, lorsque le Liban a mené une dure bataille contre une violente faction islamiste retranchée dans le camp palestinien de Nahr al-Barid, la Syrie a fourni à l’armée libanaise les munitions dont elle avait le plus grand besoin.
La candidature du général Souleimane est ainsi apparue comme une concession faite à la Syrie. Mais Damas ne semble plus lui faire confiance, pensant qu’il est passé dans le camp américano-saoudien, d’autant qu’il se murmure que le général s’est récemment rendu en secret en Arabie saoudite, où il aurait donné des gages sur ses futures prises de position. De toute façon, le général n’est pas une marionnette. S’il est élu, il y a de fortes chances qu’il soit un président indépendant. C’est un risque que la Syrie ne semble pas vouloir courir.

Equilibre des forces
Que veut la Syrie au Liban ? On peut commencer par rappeler ce dont elle ?ne veut pas. Elle ne veut pas renvoyer son armée au Liban, où elle est restée vingt-neuf ans, de 1976 à 2005. Mais elle ne peut pas non plus accepter à Beyrouth un gouvernement hostile. Elle veut la garantie que le futur pouvoir libanais reconnaisse et respecte ses intérêts vitaux – politiques, économiques et stratégiques.
Damas semble avoir trois préoccupations immédiates. La première concerne le tribunal international mis en place pour juger les assassins de Rafic Hariri, l’ancien Premier ministre libanais, tué le 14 février 2005. Les meurtriers n’ont pas encore été identifiés, et pourraient ne l’être jamais. La Syrie est moins préoccupée par le verdict éventuel que par un procès qui pourrait durer des mois, voire des années. Le tribunal sera en droit de convoquer des dizaines, voire des centaines de témoins. La procédure s’éternisera et sera inévitablement politisée. Il est probable que ce procès sera utilisé par les ennemis de la Syrie pour l’attaquer, et même la déstabiliser. Elle craint que ce tribunal ne devienne une sorte d’épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête.
La deuxième préoccupation de la Syrie est qu’un régime libanais hostile pourrait, avec le soutien international, chercher à désarmer le Hezbollah, le parti chiite et la milice alliés à la fois à l’Iran et à la Syrie qui ont tenu Israël en échec lors de la guerre de l’été 2006. Or, aux yeux de la Syrie, l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah est la seule force capable de résister aux pressions et aux agressions israéliennes et américaines.

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Espace géostratégique unique
La troisième préoccupation syrienne est un basculement encore plus marqué de l’équilibre régional. Sa crainte est que si la coalition antisyrienne (l’Alliance du 14-Mars) consolide sa position au Liban, elle ne soit tentée, ou contrainte, de conclure une paix séparée avec Israël, sur le modèle de l’accord du 17 mai 1983 négocié sous l’égide américaine. Cette paix séparée a menacé d’attirer le Liban dans l’orbite d’Israël – un danger mortel, du point de vue de la Syrie, qui n’a été écarté que lorsque Hafez al-Assad a réussi à faire annuler cet accord.
L’obsession de la Syrie est que l’influence israélienne s’exerce au Liban, d’une manière ou d’une autre, si sa propre influence est éliminée ou réduite. Avec Damas à deux pas de la frontière libanaise, ce serait un danger fatal. La Syrie demande donc qu’elle-même et son voisin soient réunis, non pas dans un cadre politique formel, mais dans un espace géostratégique unique, capable de faire face à des ennemis extérieurs. C’est l’un des objectifs fondamentaux de la politique étrangère de la Syrie. Mais le prix à payer est lourd. Il a fait achopper l’entente avec la France, qui a fait d’énormes efforts, pour aboutir à un règlement du problème libanais. Mais comme Paris s’érige en champion de l’indépendance libanaise, la Syrie voit dans ses efforts une menace pour ses propres intérêts vitaux. Il y a aussi un prix intérieur très lourd à payer pour cette obsession sécuritaire. Toute opposition est durement réprimée, y compris « l’opposition patriotique » des intellectuels, des militants des droits de l’homme, de la gauche et des islamistes modérés. Une telle politique est très mauvaise pour l’image de la Syrie en Occident. Sortir de prison ces patriotes pleins de bonne volonté et engager avec eux le dialogue devraient être une priorité.
Le souci que peut avoir la Syrie de la survie de son régime est compréhensible : les États-Unis ont écrasé l’Irak ; ils menacent l’Iran ; ils ferment les yeux sur les massacres des Palestiniens par Israël ; ils ont apparemment donné leur accord au raid aérien mené par Tsahal en septembre dernier contre de mystérieuses installations militaires dans le nord-est de la Syrie. En outre, Washington continue d’imposer des sanctions unilatérales à la Syrie et refuse de mettre à l’ordre du jour le problème du plateau du Golan, occupé par Israël depuis 1967. Seuls un allègement des tensions régionales et de vrais progrès du processus de paix israélo-arabe pourraient permettre au « printemps de Damas », qui avait marqué les premiers mois de la présidence de Bachar, de s’épanouir à nouveau.

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