[Chronique] Allah n’aime pas les francophones
En Tunisie, les islamistes ont fort peu apprécié le discours d’Emmanuel Macron à Erevan, lors duquel il a notamment fustigé les « obscurantistes ».
Dans un discours prononcé lors du sommet de la Francophonie – qui s’est tenu les 11 et 12 octobre à Erevan, en Arménie –, Emmanuel Macron n’a pas tari d’éloges sur la Tunisie et sur son président, Béji Caïd Essebsi, « initiateur de mesures modernistes ». Il en a profité pour fustiger les « obscurantistes » opposés à ces mêmes mesures. Suivez mon regard. La réponse des islamistes n’a pas tardé. Le vendredi suivant ce discours, dans plusieurs mosquées du pays, des imams ont recommandé à leurs ouailles de ne plus enseigner le français à leur progéniture.
Cette réaction s’inscrit dans une bataille contre la langue française menée depuis la révolution par les nahdhaouis, alliés pour l’occasion à d’indécrottables nationalistes arabes. Elle prend pour cibles les francophones locaux, souvent traités de « chiens de la France », quand ils ne sont pas accusés de koufr (« mécréance »). Et cela produit de l’effet.
L’idiome de « l’ennemi colonisateur »
Par crainte de déplaire à ces identitaires de tout poil, les politiques de gauche, pourtant excellents francophones, se sont mis à s’exprimer en arabe – quitte à le baragouiner. Leurs allocutions empruntent aux versets et sont truffées de références à la littérature classique. La quasi-totalité du courrier étatique est rédigée en arabe, y compris, parfois, les invitations à l’adresse des étrangers. Je me souviens même de l’effarement du philosophe Edgar Morin venu donner une conférence dans la capitale tunisienne et qui avait vu ses propos traduits devant un parterre de francophones patentés conscients, eux aussi, du grotesque de la situation.
De fait, le mensonge visant à faire passer le français pour l’idiome de « l’ennemi colonisateur » va à l’encontre de l’histoire d’une Tunisie où la langue de Molière a fait partie du patrimoine culturel bien avant la colonisation, en 1881. Le français fut, en effet, la première langue étrangère entrée au pays. La Constitution tunisienne de 1861 tout autant que le Pacte fondamental de 1857 se sont élaborés en étroite liaison avec les valeurs véhiculées par cette langue. Laquelle était parlée par les élites locales, comme dans le reste du bassin méditerranéen.
>>> A LIRE – [Editorial] Pourquoi la Francophonie a besoin de l’Afrique
Marginaliser les élites et les cadres francophones
Le français fut enseigné au collège Sadiki dès sa création, en 1875, à l’initiative du général Kheireddine Pacha après une visite à Paris. Il servit d’outil pour la lutte contre la colonisation avant d’être enseigné, au lendemain de l’indépendance, à des générations de Tunisiens qui y voyaient une fenêtre sur le monde et le moyen d’apprentissage des idées de démocratie et de liberté.
Même les auteurs arabophones reconnaissaient qu’ils s’étaient construits avec cette langue, et certains allaient jusqu’à regretter publiquement de ne pas la maîtriser, à l’instar du grand poète Abou el-Kacem Chebbi, qui aimait se comparer à un « oiseau volant avec une seule aile », l’arabe.
C’est dire si la diabolisation du français est une grossière manipulation destinée à entretenir la marginalisation des élites et des cadres francophones, quand elle n’entend pas fermer la porte à des questionnements philosophiques et à l’esprit critique, condamnant ainsi certains à l’enfermement communautaire et à l’abrutissement religieux.
Les islamiqtes ne sont que des analphabètes bilingues ! Rien du français, et un arabe boiteux et crépusculaire !
Une question se pose cependant : ces islamistes qui prétendent réapprendre la langue du Coran aux Tunisiens, la connaissent-ils vraiment ? L’écrivain arabophone Hassouna Mosbahi est persuadé du contraire : « Ce ne sont que des analphabètes bilingues ! Rien du français, et un arabe boiteux et crépusculaire ! Mais plus que d’un déficit de langues, ces gens-là souffrent d’un complexe culturel : à travers la haine du français, c’est un modèle de société moderniste et laïque qu’ils rejettent. »
Face à cette mentalité régressive et dans ce contexte de guerre socioculturelle larvée, on se pose la question suivante : comment la Tunisie se prépare-t-elle à accueillir le prochain sommet de la Francophonie, prévu en 2020 ?
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