Les secrets d’Abidjan
Grandes manoeuvres électorales, vrais-faux coups d’État, jeu de la France et des pays voisins, argent, trafics, manipulations… Enquête au pays des mystères.
Recrus de fatigue, chancelant entre lassitude et espoir, les Ivoiriens retiennent leur souffle. Que leur réserve 2008 ? Fin de crise ? Élection présidentielle ? Levers de soleil radieux sur la lagune ? Ou l’inverse : dérapage incontrôlé, sortie de route, retour à la case cauchemar ? Où les mène cet étrange attelage que forment depuis bientôt un an un président qui ne l’est plus constitutionnellement et un Premier ministre issu d’une rébellion par définition illégale ? Nul n’étant en mesure de trancher et nul n’osant parier sur le scénario idyllique d’une présidentielle incontestable dès juin, l’heure est au chaud-froid, au clair-obscur et aux vaticinations de salons. Côté pile, c’est vrai, la Côte d’Ivoire a mûri dans la crise et beaucoup d’indicateurs sont passés au vert. Les médias de la haine se sont tus, la ligne de démarcation a été démantelée, Alassane Ouattara et tous les leaders politiques d’envergure sont éligibles, les voisins jouent un rôle positif, Paris a soigné sa « gbagbophobie », le dialogue direct entre protagonistes a remplacé les oukases onusiens, la Banque mondiale est de retour, Chinois, Indiens, Israéliens, Américains et Français se bousculent au portillon des affaires. Côté face, au mieux, la Côte d’Ivoire fait du surplace et les mêmes araignées demeurent tapies au fond des mêmes têtes. Désarmement des supplétifs, reconversion des grades, identification et listes électorales – ce fameux stock volatil de deux à trois millions d’électeurs à inscrire, objet de toutes les craintes et de toutes les convoitises – constituent autant d’obstacles que le pouvoir est tenté de franchir en force, afin d’imposer une élection au forceps. Un pouvoir dont les compagnons de route délaissés et les camarades frustrés ne sont pas les derniers à dénoncer les tares, lesquelles, au-delà, minent aujourd’hui l’ensemble de la société ivoirienne. Cinq années de guerre civile larvée ont laissé des traces boueuses dans les comportements, la moralité et le civisme des chefs, petits ou grands, à quelque camp qu’ils appartiennent : kalachnikovs et francs CFA sales, corruption et impudicité, sexe, trafics, perte de repères, tribalisme galopant, caisses occultes remplies au Sud par l’argent du cacao, du café, du port et du pétrole, au Nord par celui du bois, du diamant, de l’or et du coton. Terreau pollué donc, sur lequel, par on ne sait quel miracle, devraient pousser les fleurs de la réconciliation et d’une élection présidentielle que chacun des trois principaux protagonistes – Gbagbo, Ouattara, Bédié – est intimement persuadé de pouvoir et de devoir remporter, tout résultat négatif étant a priori le produit des fraudes de l’adversaire.
À ce jeu du « moins par moins égale plus », comme le qualifiait récemment l’ivoirologue français Christian Bouquet, jeu qui se joue le plus souvent au cÂur des mystères de la nuit, loin des regards indiscrets, et qui consiste à miser sur les lassitudes, les divisions, le goût du lucre, les petits calculs personnels, bref sur la nature humaine, un homme apparaît très nettement supérieur à ses concurrents : Laurent Gbagbo. Peu lui importe à lui d’être élu en 2008 à l’usure, aux points ou par défaut, pourvu qu’il le soit. La victoire, avait l’habitude de dire son ennemi Jacques Chirac, revient toujours à celui qui en veut le plusÂ
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