Les lycéens recalent le gouvernement

Le mouvement de protestation déclenché par les élèves de terminale prend de l’ampleur. Et fait planer la menace d’une année blanche.

Publié le 28 janvier 2008 Lecture : 4 minutes.

Depuis le 17 janvier, des milliers de lycéens de terminale ont déserté leur établissement pour protester contre une surcharge des nouveaux programmes pédagogiques. Limité à 18 wilayas (départements) sur les 48 que compte le pays, le mouvement de contestation s’est déroulé jusque-là dans le calme, mais un dérapage n’est pas à exclure. Déjà mis à mal par une série de grèves dans la fonction publique qui ont peut-être sonné le glas du pacte social signé en septembre 2006 avec les partenaires sociaux (syndicats et patronat), le gouvernement d’Abdelaziz Belkhadem fait face, cette fois, à une fronde plus complexe à gérer. Et à des revendications qui n’émanent pas d’une catégorie socioprofessionnelle précise et qui porteraient, par exemple, sur le pouvoir d’achat. En outre, le mouvement des lycéens est dépourvu de toute représentation et ne s’appuie sur aucune organisation interlocutrice, le cas échéant.
Deux autres facteurs compliquent un peu plus la situation : d’abord, la jeunesse des protestataires et, par conséquent, l’imprévisibilité de leur réaction en cas de bras de fer avec les forces de l’ordre. Tout le monde a encore en mémoire les tragiques événements d’octobre 1988 qui avaient fait, selon certaines sources, des centaines de morts. Des dizaines de milliers de jeunes avaient alors provoqué des manifestations durement réprimées par l’armée, réquisitionnée par le président Chadli Bendjedid. Second facteur aggravant, la conjoncture politique actuelle, marquée par la tentation du Front de libération nationale (FLN, dirigé par le Premier ministre Abdelaziz Belkhadem) de faire réviser la Constitution afin de permettre au président Abdelaziz Bouteflika de briguer, en avril 2009, un troisième mandat. Difficile de mener à bien une telle opération sur fond d’agitation sociale.

Un mystérieux tract sur le net
Pourquoi les lycéens boudent-ils leurs classes ? Qu’en pensent leurs parents ? Leurs enseignants ? Comment le pouvoir réagit-il ? La prochaine session du baccalauréat est la première depuis l’introduction des nouveaux programmes inscrits dans les réformes du secteur éducatif. Et les élèves de terminale refusent d’être les cobayes d’un système marqué par une surcharge pédagogique. L’idée d’une grève du cartable est partie, selon le ministère de l’Éducation, d’un mystérieux tract diffusé sur Internet dénonçant le volume de travail imposé par les nouveaux programmes. Le mouvement a, dans un premier temps, touché les établissements de la capitale, puis s’est étendu, telle une traînée de poudre, à une vingtaine de grandes villes. Tizi-Ouzou, Constantine, Oran, Annaba. Marches silencieuses et manifestations bruyantes autour des établissements se multiplient. La fédération des parents d’élèves se prononce en faveur de la contestation et propose au gouvernement d’ouvrir un dialogue avec les lycéens. En voyage officiel à Illizi, dans le sud du pays, le ministre de l’Éducation, Boubakeur Benbouzid, tente de rassurer les élèves : « Jamais nos établissements n’ont atteint le taux de 80 % du programme pédagogique prévu. Les sujets du bac seront établis sur la base des programmes effectués en classe. » « Faux ! rétorque Fatiha, professeur de physique-chimie dans un lycée de la capitale. Les sujets du bac de l’année dernière, par exemple, portaient sur l’électricité. Or ce chapitre est vraiment en fin de programme, c’est dire si les garanties du ministre sont infondées. »
Les inquiétudes des lycéens ne sont vraiment pas des caprices d’adolescents. « Les élèves les plus brillants se plaignent de surmenage, déplore notre prof de physique. Le travail de ma fille m’a toujours donné pleine satisfaction. Ce n’est qu’arrivée en terminale qu’elle a commencé à se plaindre du volume de travail qu’elle doit effectuer en dehors de la classe pour pouvoir suivre les cours. » Quelques voix se sont élevées contre la politique de Benbouzid. « Une réforme ne se décrète pas », assure le sociologue Mohamed Ghoulamallah, qui dénonce une « déconnexion entre ceux qui imposent la réforme et ceux qui la subissent ». Bref, une réforme inscrite dans une vision bureaucratique a peu de chances d’être une grande réussite.

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« Ya taghout ! Ya taghout ! »
Au fil des jours de mobilisation, des délégations d’élèves sont reçues par les directions de l’Éducation (inspections académiques). Mais le dialogue tourne court. Les marches et leur lot d’arrestations se poursuivent. Le mouvement se durcit et s’étend à de nouvelles wilayas. Il suscite d’abord la sympathie avant de nourrir rapidement quelques inquiétudes. C’est que de nouveaux slogans fleurissent, comme « Ya taghout, ya taghout, Benbouzid satamout ! » (Tyran, ô tyran, Benbouzid t’es mort !). Une terminologie qui renvoie à celle du Front islamique du salut (FIS, dissous en mars 1992) quand il occupait le devant de la scène politique. Furieux de faire l’objet de ce qui s’apparente à une fatwa, Benbouzid met fin à son attitude conciliante. Il menace de considérer les grévistes comme des absents, avec toutes les conséquences que cela suppose sur les inscriptions pour le baccalauréat. Par ailleurs, il dénonce la récupération politique d’un mouvement de contestation pédagogique. Et accuse, sans les nommer, les forces de gauche emmenées par le courant trotskiste. Louisa Hanoune, présidente du Parti des travailleurs (26 députés et première force de l’opposition à l’Assemblée nationale), s’insurge et affirme que les revendications des lycéens sont légitimes. Quant à Belkhadem, il minimise la gravité de la situation : « Il n’y a pas d’agitation sociale, a-t-il déclaré en marge d’un forum des investisseurs arabes, à Alger, le 21 janvier. Comment un pays que l’on dit en ébullition peut-il attirer autant d’investissements [une vingtaine de milliards de dollars attendus en 2008 pour les seuls pays arabes] ? » Mieux vaut, en effet, que les manifestations de jeunes continuent de se dérouler dans un esprit bon enfant

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