Le parti du roi… et du peuple

En lançant le Mouvement de tous les démocrates, Fouad Ali El-Himma cherche à réhabiliter l’action politique. Vaste programme !

Publié le 28 janvier 2008 Lecture : 5 minutes.

Fin 2007, on avait annoncé dans le jeu des pronostics que Fouad Ali El-Himma ferait parler de lui en 2008. C’est chose faite. En ce début d’année, l’ancien ministre délégué à l’Intérieur, qui passait à juste titre pour être le plus proche collaborateur du roi et qui ne s’est guère éloigné du Palais en devenant député, crée l’événement politique majeur, mais, curieusement, il s’impose de se tenir à l’arrière-plan. Cet accès d’humilité relève d’une stratégie politique bien précise.

Le 17 janvier a été diffusé un texte intitulé : « Pour un mouvement de tous les démocrates ». En termes simples, ne sacrifiant point à la rhétorique idéologique habituelle, ce sont « les citoyennes et les citoyens de divers horizons », appartenant à « différentes sensibilités politiques », qui regrettent le « déficit de mobilisation des élites » et dénoncent même les « attitudes de démission et la passivité ». Ils ne manquent pas de rappeler le faible taux de participation (37 %) aux législatives de septembre 2007. En se référant aux « fondamentaux de la nation » et aux « valeurs démocratiques », ils « affirment avec force la nécessité d’une initiative nationale ouverte à tous les démocrates, indépendamment de leurs appartenances partisanes ». Il est question d’« authenticité et modernité », le label du groupe parlementaire d’El-Himma. C’est tout.

Discrétion affichée

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Mais ce sont les signataires qui donnent toute son importance à cette prose d’une sobriété recherchée. El-Himma ne figure pas en tête mais noyé au milieu d’une dizaine de noms. La première place revient à Aziz Akhenouch, entrepreneur dynamique dans l’agrobusiness et les médias, entre autres, ministre de l’Agriculture. On compte sur lui pour relancer un secteur longtemps laissé en friche. Un moment affublé de l’étiquette MP (Mouvement populaire, berbériste), il n’appartient en fait à aucun parti. Il y a également Ahmed Akhchichine, le ministre de l’Éducation, qui, lui, a longtemps milité dans le Mouvement du 23-Mars (extrême gauche). Un autre nom attire l’attention : Mustapha Bakkoury, patron de la Caisse des dépôts et consignations. Il fait partie de cette « génération M6 » peuplée de quadras qui ont fait les grandes écoles et qui sont en train de bâtir le nouveau Maroc. En signant l’Initiative, ce technocrate apprécié et respecté de tous accomplit sans doute là son premier geste politique.

La politique, Salah El-Ouadie Assafi est tombé dedans quand il était petit. Sa famille a été de tous les combats, sous le protectorat comme après l’indépendance. Père, mère, frères et soeurs, tout le monde a tâté de la prison. Salah, poète comme son père, militant du 23-Mars, a eu droit à dix ans et a été un des piliers de l’IER (Instance Équité et Réconciliation). On peut relever encore, parmi les signataires, Mohamed Cheikh Biadillah. Ce médecin était, dans les années 1970, un des militants sahraouis qui allaient fonder le Polisario, mais il ne s’est jamais éloigné du royaume. Il était ministre de la Santé dans le précédent gouvernement. Une seule femme : Khadija Rouissi, célèbre militante des droits de l’homme, dont le frère avait disparu pendant les « années de plomb ».

Au Maroc, la discrétion, disons affichée, d’El-Himma n’a servi à rien. De toutes ces signatures, on n’a retenu que celle de l’« ami du roi ». Et l’on n’a vu dans le Mouvement de tous les démocrates que le prélude au parti d’El-Himma, assimilé, les choses étant ce qu’elles sont, au parti du roi. Comme il se doit, c’est du côté du PJD (islamiste) et de l’USFP (Union socialiste des forces populaires) qu’on note les commentaires les plus hostiles. « Cette initiative ne sert pas les intérêts de la transition démocratique », lit-on dans At-Tajdid, le quotidien islamiste. Driss Lachguer, membre du bureau politique de l’USFP, va jusqu’à considérer El-Himma comme « une menace pour la démocratie ». Un autre dirigeant socialiste se demande si le projet de l’ancien ministre ne dénote pas des « caractéristiques tunisiennes » (parti unique ou dominant). Tout cela n’est « qu’illusion », à en croire le quotidien du PPS (Parti du progrès et du socialisme).

Mais l’objectif n’est pas de fonder un nouveau parti, rétorquent les auteurs de l’Initiative du 17 janvier, comme s’il s’agissait d’une accusation infamante. À preuve, argumente El-Ouadie, plusieurs signataires appartiennent à des formations qu’ils n’ont guère l’intention de quitter. Pas question, insistent El-Himma et ses amis, de rééditer l’expérience des partis de l’administration sous le règne de Hassan II, le FDIC, le RNI, l’UC. Driss Basri, l’ordonnateur de la vie politique sous l’ancien régime, est mort et enterré. Dans le même ordre d’idées, on devrait bannir désormais l’expression « parti du roi ». D’ailleurs, si le texte du 17 janvier évoque les « fondements de la nation » (qui signifient ici monarchie, islam, langue arabeÂÂÂ), on chercherait en vain toute mention directe de la monarchie et du roi. Et un tel oubli ne peut être qu’intentionnel et, bien entendu, chargé de sens. Le message ? Le but n’est pas de créer un énième « parti du roi », mais « un mouvement de tous les démocrates ».

Il fallait faire quelque chose

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Le nouveau Maroc, le Maroc de la liberté et des chantiers, souffre d’un grave handicap : il n’a pas la classe politique qu’il mérite. On le constate dans les débats (ou plutôt leur absence) du Parlement ou dans le faible intérêt pour les élections. Les partis classiques, et notamment la gauche, ont perdu leurs attaches populaires depuis qu’ils sont au pouvoir tandis que les islamistes, qui ne sont pas exactement des parangons de modernité, croissent et prospèrent. Il fallait faire quelque chose. C’est sans doute parce qu’il était conscient de ces dangers que Mohammed VI a jeté El-Himma dans l’arène politique à la veille des élections. Celui-ci était en service commandé. Sa mission n’était pas aisée : mise à niveau de la classe politique. Il s’est fait élire haut la main, a constitué un groupe parlementaire d’une cinquantaine de députés et tient entre ses mains le gouvernement Abbas El-Fassi, qui, depuis l’origine, ressemble plus à un gouvernement de fortune que de réforme. Reste le plus dur : réhabiliter l’action politique de manière à donner au palais les relais dans le pays dont il a besoin dans son oeuvre de modernisation.
vases communicants

Cette deuxième étape de la mission assignée à El-Himma a commencé le 17 janvier. Ayant écarté la solution de facilité que constitue la création immédiate d’un parti, il se lance dans une entreprise résolument prudente et pragmatique dont les résultats sont loin d’être acquis. De par sa formation au collège royal, de par son itinéraire, il n’est pas certain que l’ancien ministre ait les prédispositions à cet égard. Il s’est en tout cas entouré de nombreux militants qui ont fait leurs preuves sur le terrain. Ses chances de succès dépendent de ce qu’il va faire, mais aussi de ce qui se passe au sein des autres partis et singulièrement à l’USFP. La crise de la formation socialiste, qui ne semble pas s’apaiser, profite au Mouvement de tous les démocrates. On a même l’impression que le phénomène des vases communicants joue à plein. Un détail intéressant : c’est Bachir Znagui qui est chargé de la communication de l’Initiative du 17 janvier. Ancien prisonnier politique (quinze ans), il fut rédacteur en chef de Libération, le quotidien socialiste. Il siège toujours au Conseil national de l’USFP. Pour combien de temps encore ?

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