[Tribune] Investir dans les acteurs locaux pour briser le cycle de la faim au Sahel
Dans ce texte cosigné avec Arlindo Carvalho, le président de la Croix-Rouge du Cap-Vert et du Groupe Sahel+, Abdoul Azize Diallo, président de la Croix-Rouge sénégalaise, s’insurge contre « une aide qui laisse les communautés incapables de se relever et de résister aux futurs chocs » et propose de travailler autrement.
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Abdoul Azize Diallo
Président de la Croix-Rouge sénégalaise, vice-président pour l’Afrique de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR)
Publié le 1 novembre 2018 Lecture : 3 minutes.
Assise dans une tente qui lui sert de logement, Zeina Mint Mahmoud n’a pas encore préparé le déjeuner. Il est presque 16 heures et ses enfants iront certainement au lit le ventre vide, à moins qu’un miracle ne se produise. Depuis l’échec des récoltes de l’année dernière, dues aux précipitations irrégulières, la famille de Zeina vivant dans le village de Mingui, à Magta-Lahjar, au sud-ouest de la Mauritanie, a été contrainte de consommer un petit repas par jour – ou rien du tout.
Leur situation n’a rien d’exceptionnel au Sahel, et c’est justement le problème.
D’après un rapport des Nations unies datant de juin 2018, quelque 5,8 millions de personnes à travers le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad, luttent quotidiennement pour subvenir à leurs besoins alimentaires les plus élémentaires, dont 1,6 million d’enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère. Une situation exacerbée par les déplacements des populations consécutifs aux conflits et risques sécuritaires dans la région (nord du Mali et bassin du lac Tchad).
Le retard et l’insuffisance des pluies notés dans de nombreux pays du Sahel, cette année, risquent encore de compromettre les récoltes et de briser l’espoir de milliers de familles qui dépendent de l’agriculture pluviale pour survivre.
Alors, que faut-il faire ? La Conférence internationale de haut niveau sur le Sahel qui s’est tenue en février dernier à Bruxelles, et la deuxième conférence sur le bassin du lac Tchad organisée récemment à Berlin, ont permis de s’accorder sur l’importance d’une réponse globale et multidimensionnelle mutualisant tant les efforts des acteurs humanitaires que ceux du développement. Elles ont également permis de souligner la relation inextricable qui existe entre les crises alimentaires, la sécheresse, le changement climatique, la violence dans la région, le renforcement de la résilience et le développement.
Au-delà des mots, Il faudra traduire les engagements et les recommandations en actions concrètes au niveau communautaire.
Si l’insécurité alimentaire est due en grande partie au déficit pluviométrique et à la sécheresse, les facteurs liés au changement climatique qui concourent à cette situation ne vont pas disparaître. Tout indique qu’ils vont s’amplifier dans les décennies à venir, avec un risque accru de mauvaises récoltes et, par voie de conséquence, la multiplication des personnes nécessitant une aide alimentaire.
Les solutions apportées ont toujours privilégié des réponses d’urgence, qui tout, en répondant aux besoins immédiats des communautés, ne permettent pas de résoudre durablement les situations de leur vulnérabilité.
Une aide qui laisse les communautés incapables de se relever et de résister aux futurs chocs est indigne par rapport aux efforts consentis. En travaillant autrement, il est possible d’y remédier : en liant la réponse d’urgence aux efforts de résilience, en plaidant pour une localisation accrue de l’aide, en renforçant l’action locale et les acteurs locaux avec le soutien des organisations nationales, régionales et internationales en cas de besoin, et en plaçant les communautés au cœur des interventions.
La Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) œuvre déjà dans ce sens. Malgré nos efforts, de nombreuses lacunes et carences subsistent, auxquelles les acteurs doivent s’efforcer de remédier, notamment le manque de financement pour appuyer les acteurs locaux, ainsi que les activités de préparation et de prévention des crises.
Nous devons investir davantage dans le renforcement de la résilience des communautés en amont des crises et pendant le relèvement, à travers un partenariat à tous les niveaux (local, national, régional et international). Des capacités et des systèmes communautaires renforcés et durables permettent aux communautés locales de faire face à tout choc futur.
Il urge de le faire, car une nouvelle crise alimentaire de grande ampleur se profile encore au Sahel, en raison du déficit pluviométrique constaté dans de nombreux pays. Ce qui risque de placer les communautés dans des situations de fragilité accrue et de pousser certains à être tentés de répondre aux sirènes de la migration, de la violence et de l’extrémisme.
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