In God they trust

Le « facteur religieux » joue dans l’élection présidentielle un rôle beaucoup plus important que partout ailleurs en Occident. État des lieux (saints).

Publié le 28 janvier 2008 Lecture : 6 minutes.

À veille du Super Tuesday (« super mardi ») du 5 février, au cours duquel 22 États sur 50 se prononceront, les premières primaires de la campagne présidentielle américaine sont loin d’avoir clarifié la situation. Sur les quatorze candidats à la candidature qui s’étaient fait connaître avant le 3 janvier, six sont encore en course. Cinq d’entre eux ont remporté au moins une primaire.
Chez les républicains, Mike Huckabee est arrivé en tête dans l’Iowa, Mitt Romney dans le Wyoming puis le Michigan, et John McCain dans le New Hampshire et en Caroline du Sud, le 19 janvier. Depuis 1980, tous les républicains qui l’ont emporté dans ce dernier État ont représenté leur parti lors de l’affrontement final. Quant à Rudolph Giuliani, l’ancien maire de New York, il joue sa campagne à quitte ou double sur la primaire de Floride, le 29 janvier.
Chez les démocrates, Barack Obama est sorti vainqueur dans l’Iowa et Hillary Clinton dans le New Hampshire et le Nevada, mais les deux favoris restent au coude à coude. Et John Edwards n’a pas renoncé. Mais, comme chez les républicains, la Caroline du Sud, où la primaire démocrate n’a eu lieu que le 26 janvier, pourrait peser lourd dans la balance. Le fait que Hillary n’y ait pas mis le paquet, au moins dans la dernière ligne droite, et s’y soit fait représenter par son mari donne à penser qu’elle ne comptait pas trop sur cet État à forte majorité noire.

Bataille des valeurs
Les choix des électeurs sont toujours fonction d’un héritage historique, comme la question noire, et/ou d’oppositions sur les valeurs morales, qui déterminent des « blocs » électoraux relativement stables. Quel sera cette année le rôle du faith factor, le facteur religieux ? Deux livres récents explorent ce rapport entre religion et politique constitutif de l’identité nationale américaine depuis trois siècles : De la religion en Amérique, du chercheur français Denis Lacorne, et États-Unis : une nation divisée, du politologue canadien Hans-Georg Betz*.
Première donnée de base : un sondage CBS News d’avril 2005 sur « l’ampleur de la religiosité et de la foi ». Ses résultats sont éloquents :
– pourcentage d’adultes américains qui déclarent croire en Dieu : 82 % ;
– pourcentage d’adultes américains qui déclarent croire en une puissance supérieure : 9 % ;
– pourcentage d’adultes américains qui déclarent ne croire ni en l’un ni en l’autre : 8 %.
Cette religiosité s’accompagne d’un antidarwinisme assez stupéfiant. Selon un autre sondage NBC News (8-10 mars 2005), à la question « Quelle est, à votre avis, l’explication la plus vraisemblable de l’origine de la vie humaine sur terre : l’évolution ou le récit biblique de la Création ? », 57 % des personnes interrogées ont répondu la Création et 33 % l’évolution (10 % n’en ayant pas la moindre idée). Réponses corroborées par un sondage Gallup pour USA Today/CNN (8-11 septembre 2005) montrant que 66 % des protestants et 38 % des catholiques américains sont convaincus que « Dieu a créé les êtres humains sous leur forme actuelle, exactement comme on peut le lire dans la Bible ».
La répartition précise des croyants entre les différentes obédiences religieuses est quasi impossible (voir encadré), mais le phénomène clé est l’importance prise par l’évangélisme, dont l’origine remonte au premier « Grand Réveil » (Great Awakening), en 1734. « Solidement ancré dans le paysage américain à partir du milieu du XIXe siècle, il est devenu la forme la plus courante et la plus banale du protestantisme américain » (Lacorne).
Le point commun à tous les évangélistes est qu’ils croient à la vérité littérale de la Bible et au pouvoir rédempteur du Christ. Ce sont des « chrétiens qui ont vécu une seconde naissance » après une rencontre personnelle avec le Seigneur, des born again Christians (expression que Lacorne traduit par « chrétiens régénérés »). Les trois quarts sont blancs, 15 % afro-américains et 5 % hispaniques.

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De Carter à Bush
Selon un sondage Fox News (novembre 2005), 15 % seulement des personnes interrogées estimaient que la religion devrait être totalement exclue de la vie publique, alors que 91 % des évangéliques étaient convaincus du contraire (Betz).
Le born again Christian le plus célèbre est évidemment le républicain George Walker Bush. Le plus oublié est peut-être le démocrate Jimmy Carter, southern Baptist qui priait jusqu’à vingt-cinq fois par jour et donnait des cours d’instruction religieuse. Son élection facile, en novembre 1976, écrit Lacorne, a « démontré combien la conquête de l’électorat sudiste, blanc, baptiste et conservateur, était nécessaire pour accéder aux plus hautes fonctions de l’État ; une leçon que n’allaient pas oublier ses adversaires républicains ».
En 2000, la stratégie électorale adoptée par le Grand Old Party a en effet permis à George W. Bush de recueillir 76 % des voix des évangélistes blancs, contre 24 % pour Al Gore. Quatre ans plus tard, il fera encore mieux : 77,5 %, contre 22,5 % pour le démocrate John Kerry. Cette stratégie, Lacorne lui donne un nom : la « sudisation ». Le Parti républicain, écrit-il, s’est employé « à propager les valeurs d’un certain obscurantisme et à mêler objectifs religieux et considérations politiques pour mieux fidéliser un électorat de chrétiens régénérés ». Grâce à « la politisation systématique de problèmes de société centrés sur l’avortement, l’homosexualité, la prière à l’école, le financement public des écoles religieuses et la déségrégation scolaire », il a conduit la droite évangélique à « abandonner ses vieilles racines démocrates ».
Le tournant avait été pris dès 1964. Cette année-là, le candidat républicain Barry Goldwater n’obtint que 38,5 % des voix (contre 61,1 % à Lyndon B. Johnson), mais l’emporta dans cinq des États du Grand Sud avec une majorité de 55 %. Explication : la signature, en juillet 1964, de la loi sur les droits civiques, qui non seulement interdisait toute discrimination sur les lieux de travail et les espaces publics, mais privait de fonds fédéraux les hôpitaux, écoles ou universités qui maintiendraient des pratiques discriminatoires fondées sur la race. Commentaire, ce jour-là, du Texan Lyndon Johnson : « Je crois que nous venons de livrer le Sud au Parti républicain. » De fait, après trente ans de domination démocrate seulement interrompue par un bref intermède Eisenhower, tous les présidents américains depuis 1968 (Richard Nixon) ont été républicains. Tous, sauf deux : les Sudistes évangéliques Jimmy Carter et Bill Clinton, ce dernier, il est vrai, très modéré.

Majorité morale
La consolidation du soutien de la droite évangélique aux républicains date de Ronald Reagan, qui, en 1980, récupéra 60 % du vote sudiste blanc – et 80 % quatre ans plus tard. Divorcé et indifférent à la religion dans sa vie personnelle, Reagan bénéficia de l’appui décisif de la « Majorité morale » du prédicateur fondamentaliste Jerry Falwell. Les chevaux de bataille de ce dernier : la lutte contre l’avortement (légalisé par la Cour suprême en 1973), la restauration de la prière à l’école et la dénonciation des pratiques « sécularisantes » des élites libérales. En 1989, le relais fut pris par la « Coalition chrétienne » du pasteur pentecôtiste Pat Robertson. Depuis, le Grand Old Party dispose dans cette frange de l’opinion d’une base sûre. Même défait en 1992, George Herbert Bush réussit à conserver la majorité dans sept États du Sud.
Il ne résista pas, en revanche, au slogan de Bill Clinton : « It’s the economy, stupid ! » (« C’est l’économie, imbécile ! »), qui cernait avec justesse la préoccupation essentielle des Américains à la veille de la présidentielle, il y a quinze ans. Le lundi noir du 21 janvier dernier dans les Bourses mondiales et la peur de la récession marquent aujourd’hui le grand retour des considérations économiques dans la campagne. Cette fois, il n’est pas sûr que les évangélistes trouvent la parade.

* De la religion en Amérique. Essai d’histoire politique, de Denis Lacorne, Gallimard, 248 pages, 15 euros.
Etats-Unis : une nation divisée. Guerre culturelle et idéologique, de Hans-Georg Betz, Autrement, 240 pages, 19 euros.

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