De la revanche dans l’air

Requinqué par le fléchissement de Nicolas Sarkozy dans les sondages, le Parti socialiste ambitionne, lors des municipales des 9 et 16 mars, de conquérir ou de conserver toutes les villes grandes et moyennes.

Publié le 28 janvier 2008 Lecture : 6 minutes.

La classe politique, qui adore les faux débats, se demande s’il faut « nationaliser » ou, plus étonnant, « politiser » les élections municipales et cantonales des 9 et 16 mars. Comme si, au soir des résultats, la principale question ne sera pas, dans l’embrouillamini de milliers de scrutins comportant une part variable de local et de national, de déterminer qui a gagné et qui a perdu. D’analyser comment la majorité présidentielle s’est sortie de ce premier test, moins d’un an après la victoire de Nicolas Sarkozy. Et de mesurer ce qui reste du crédit du Parti socialiste dans le « peuple de gauche ». Avec une double interrogation subsidiaire concernant les « équations » respectives de Ségolène Royal et de François Bayrou.
Singulière élection dans ce pays qui ne ressemble à aucun autre. Avec 36 679 villes, bourgs et villages (dont la moitié ont moins de 2 000 habitants), la France compte à elle seule davantage de communes que toute l’Europe réunie. Autant de situations, autant de cas particuliers où l’on vote moins pour un parti que pour un homme et son équipe. Il n’est donc pas rare que les électeurs se contredisent d’une consultation à l’autre, sans pour autant se déjuger. Ils choisissent le candidat qui leur paraît le meilleur pour s’occuper de leurs affaires et qui a lui-même passé librement ses alliances sans trop se préoccuper des états-majors parisiens. Ce qui explique que « Monsieur le Maire » reste le personnage politique préféré des Français. Les vingt ministres qui se présentent, malgré les controverses sur le cumul des mandats, seront fiers et rassurés d’ajouter ce titre aux fleurons de leur carrière.
N’écoutant une fois de plus que ses pulsions – « énergétiques », selon la pittoresque expression de Tony Blair -, Sarkozy a promis de s’engager, parce que, dit-il, « la conception même d’élections dépolitisées est absurde ». A-t-il, depuis, tendu l’oreille aux conseils de prudence ? 79 % des électeurs sont défavorables à son implication dans ce qu’ils considèrent comme des enjeux locaux. « Il a plus de coups à prendre que de bénéfices à espérer », lui rappelle le politologue Dominique Reynié.
Par nature et presque par vocation, les élections dites locales servent de défouloir aux mécontentements de l’opinion entre deux consultations nationales. Elles desservent par conséquent les pouvoirs en place, systématiquement désavoués depuis trente ans. Pour la droite, elles ne seront sûrement pas une promenade de santé. La popularité du chef de l’État a sensiblement fléchi dans les catégories de la population qui font et défont les scrutins, ces « plus de 50 ans » aujourd’hui déconcertés, voire choqués, par sa façon de tenir son rôle et de se tenir lui-même. Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, loin d’entraîner le chef de son gouvernement dans la baisse, il le rehausse par contraste dans l’opinion. « Nicolas Sarkozy n’ira pas faire campagne pour tel ou tel maire », précise Claude Guéant, le secrétaire général de l’Élysée. Il se déplacera dans les villes où sa visite est souhaitée et où sa présence ne risque pas de renforcer la mobilisation de l’opposition. Il s’en est réparti la liste avec François Fillon, son Premier ministre.
Ainsi n’était-il pas désiré à Bordeaux, où Alain Juppé s’est contenté de l’accueillir à l’aéroport. C’est que Monsieur le Maire, favori des sondages, s’émancipe, préfère par exemple son logo personnel à celui de l’UMP et confesse qu’il n’est plus sûr aujourd’hui que Jacques Chirac lui ait rendu service en le distinguant comme « le meilleur d’entre nous ». À Paris, Françoise de Panafieu s’avance à pas prudents. Comme on lui demandait, il y a trois mois, si le président la soutiendrait dans sa campagne, elle s’exclamait : « Et comment ! » Elle admet toujours la nécessité de son intervention, mais s’empresse d’ajouter qu’il y a « une juste mesure à trouver ». D’autres maires de la majorité ne tiennent nullement à apparaître comme les candidats de l’Élysée et préfèrent, à Rouen par exemple, jouer « le rassemblement des Français sans parti ».

Les dix commandements
En 2001, avec 65 villes de 15 000 à 30 000 habitants arrachées au PS et au PC, la droite avait largement remporté l’élection, même si la perte de Lyon et, surtout, de Paris avait jeté une ombre sur sa victoire. Son objectif n’en est pas moins aujourd’hui de « s’emparer de toutes les grandes villes ». Pour y parvenir, elle compte sur l’élargissement et la féminisation de ses listes, où elle se targue d’accueillir 18 % de femmes et un millier de personnalités de l’ouverture.
Pour achever de ratisser large, l’UMP a fixé à ses candidats une charte en dix points – comme les Commandements des Écritures -, avec en tête l’engagement le plus populaire, s’il ne sera pas le plus facile à tenir : « Les impôts locaux point n’augmenteras », aussitôt suivi, écologie oblige, de cette promesse : « Émissions de CO2 tu limiteras. » Fillon espère le basculement de Lyon, où Gérard Collomb règne depuis 2001, et de Lille, fief de Martine Aubry. Pour Paris, « c’est plus compliqué ».
Le Premier ministre résume la stratégie de ses troupes : l’élection ne doit pas se faire contre Sarkozy. Quel qu’en soit le résultat, le gouvernement et les réformes continueront. Le rectificatif arrive-t-il trop tard pour corriger le premier engagement spontané du chef de l’État ? François Hollande, le premier secrétaire du PS, persiste, c’est de bonne guerre, à n’en tenir aucun compte et martèle son slogan d’un simplisme sans doute mobilisateur : lorsqu’il mettra son bulletin dans l’urne, chaque électeur, dans chaque commune, devra se prononcer sur la politique du président et de ses ministres.
Faire de l’élection une contre-épreuve nationale, c’est aussi l’intérêt – et le pari – de Ségolène Royal, plus que jamais déterminée « à aller jusqu’au bout », c’est-à-dire jusqu’à la conquête de la direction du PS. Une fois encore, elle a pris les devants et la tête de la campagne, malgré les récriminations rageuses des « éléphants ». C’est de nouveau en « première opposante du chef de l’État » qu’elle entame à toute allure sa seconde vie politique, déjà invitée dans une centaine de villes où elle ira prêcher le vote-sanction contre un régime « passé en huit mois de l’assurance que tout est possible à la constatation que les caisses sont vides ».
Toujours aussi hostile à l’ouverture sarkozienne, dont il n’a sans doute pas fini d’inventorier les dégâts, et circonspect, pour le moins, envers les offres du MoDem de François Bayrou, le PS a verrouillé les tentations. Les listes communes ne pourront être constituées qu’avec un parti figurant dans l’opposition et approuvant le programme des socialistes et de leurs alliés. Les ambitions de Hollande ne sont pas moindres que celles de Fillon : garder la moitié des conseils généraux et redevenir le premier parti de France dans toutes les villes grandes et moyennes. Il ajoute cette consigne sarcastique pour sortir les dirigeants du parti de leur sinistrose : « Dites du bien de vous, ça changera ! »
S’il ne confond pas les municipales avec le troisième tour de l’élection présidentielle, il n’est pas le seul, Rue de Solférino, à en faire une sorte d’avant-premier tour de la revanche, en 2012. « Tout commence là, estime Bruno Le Roux, le secrétaire national aux élections. Il n’y a pas une minute à perdre. »
Ségolène Royal en marche forcée dans le pays, Dominique Strauss-Kahn en visite surprise au dernier Forum du PS, Bertrand Delanoë en embuscade à Paris, François Fillon en tête dans les sondages, Nicolas Sarkozy en réserve piaffante à l’Élysée La bataille s’annonce aussi rude qu’incertaine.

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