Guinée-Bissau : selon Domingos Simões Pereira, du PAIGC, « le président Vaz ne veut pas des élections législatives »

La date de clôture du recensement électoral en Guinée-Bissau vient à nouveau d’être prorogé, laissant craindre un report des législatives, initialement prévues le 18 novembre. Pour Domingos Simões Pereira, ancien premier ministre bissau-guinéen et président du PAIGC, cette prolongation a un responsable : le président José Mario Vaz, qu’il accuse de bloquer le processus électoral afin de s’arroger tous les pouvoirs.

L’ancien Premier ministre bissau-guinéen Domingos Simões Pereira, le 30 octobre 2018 à Paris. © Camille Millerand/Jeune Afrique

L’ancien Premier ministre bissau-guinéen Domingos Simões Pereira, le 30 octobre 2018 à Paris. © Camille Millerand/Jeune Afrique

Publié le 2 novembre 2018 Lecture : 5 minutes.

Depuis sa destitution par le président José Mario Vaz, en août 2015, l’ancien Premier ministre Domingos Simões Pereira, qui préside le principal parti du pays, est au cœur de la crise institutionnelle qui secoue la Guinée-Bissau. Trois années d’impasses successives, qui auront vu se succéder chefs de gouvernement et accords de sortie de crise. Le dernier en date, signé à Lomé le 14 avril 2018, sous le parrainage de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), a abouti à la désignation d’un Premier ministre de consensus, Aristides Gomes, chargé de conduire le pays aux législatives.

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Le recensement électoral a, depuis, pris du retard. Entamé le 20 septembre, il devait prendre fin le 20 octobre. Mais il a été reporté au 20 novembre. Et le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), majoritaire au Parlement avec 42 députés sur 102, commence à perdre patience. Domingos Simões Pereira, son président, reste un élément clé dans la résolution de cette crise. Depuis son limogeage du gouvernement, il a repris les rênes de ce parti historique. Aujourd’hui, il demande que le scrutin ait lieu dans les délais impartis.

En attendant, « DSP » sillonne le monde à la rencontre de la diaspora bissau-guinéenne. Après Lisbonne, au Portugal, Domingos Simões Pereira était à Paris, où Jeune Afrique a pu le rencontrer le 30 octobre 2018, dans un hôtel du quartier d’affaires de La Défense.

Jeune Afrique : Quelles sont aujourd’hui les relations entre le PAIGC et le président de la République, José Mario Vaz ?

Le président a demandé et obtenu un soutien du PAIGC aux élections présidentielles de 2014. Aujourd’hui, il est évident que notre parti a retiré tout soutien au président de la République. Il n’y a plus aucune attache entre nous.

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Pourquoi le PAIGC ne l’a-t-il pas exclu, comme il l’a fait en 2016 pour 15 députés dissidents ?

Dans le système bissau-guinéen, pour être candidat à l’élection présidentielle il faut s’éloigner des partis politiques. Même s’il a demandé et obtenu le soutien du PAIGC pour les élections présidentielles de 2014, on ne peut pas dire que le président José Mario Vaz se résume à un militant du PAIGC, et l’exclure. Il est censé être au-dessus des partis.

Au PAIGC, on estime que les élections doivent avoir lieu cette année

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Le 19 avril, les députés ont adopté un projet de loi visant à prolonger jusqu’en novembre la neuvième législature, qui devait prendre fin le 23 avril. Mais il semble que les élections, prévues le 18 novembre, seront à nouveau repoussées. Quand se tiendront-elles ?

Selon nos informations, le Premier ministre a soumis une nouvelle proposition au président de la République, avec trois dates possibles : le 16 décembre, le 30 décembre ou le 27 janvier 2019. Au PAIGC, on estime que les législatives doivent avoir lieu cette année. Si nous devions dépasser la fin de 2018, nous mettrions en cause notre propre Constitution, qui dit qu’on renouvelle la législature tous les quatre ans. Donc en principe, si les dernières élections ont eu lieu en avril 2014, de nouvelles élections auraient dû se tenir en avril 2018. Ou, au plus tard, en novembre !

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La date de clôture du recensement électoral a été repoussée au 20 novembre. Pourquoi ?

Les raisons techniques évoquées pour justifier ce report ne tiennent pas. La réalité, c’est que le président de la République ne veut pas de ces élections. Il entend coupler la présidentielle aux législatives, ce qui lui permettrait de repousser ces dernières en 2019. Bref, il cherche à gagner du temps. Sinon, comment expliquer que les agents recenseurs arrivés à Paris depuis une vingtaine de jours ne puissent accéder à leur matériel, bloqué à l’ambassade ?

Le président a une seule idée en tête : mettre en place un gouvernement d’initiative présidentielle

Le scénario est le même à Lisbonne. Et c’est pire encore en Guinée-Bissau. On bloque les équipements et l’on prétend que le recensement n’avançant pas, les élections ne sauraient avoir lieu. Il s’agit d’une stratégie bien pensée pour mettre en échec le processus de recensement et l’ensemble du calendrier électoral.

Ces reports seraient donc planifiés, selon vous ?

Depuis qu’il a destitué le gouvernement en août 2015, le chef de l’État a une seule idée en tête : mettre en place un gouvernement d’initiative présidentielle, ce qui n’est pas prévu par notre Constitution. Grâce à la Cédéao, et après cinq gouvernements de transition, nous sommes tombés d’accord sur un gouvernement qui sera chargé de préparer les élections.  Mais dans la mesure où le président de la République veut pouvoir compter sur un gouvernement qu’il contrôle, il essaie de mettre ce processus en échec. Sa stratégie consiste à créer une situation de blocage afin de réclamer tous les pouvoirs.

Si les législatives ne se tiennent pas en 2018, que fera le PAIGC ?

Je pense que le peuple bissau-guinéen ne le permettra pas. Malgré les retards et la nouvelle date de clôture du recensement, nous estimons que ces législatives doivent se tenir au plus tard en décembre. Si un consensus se dégageait pour le repousser jusqu’en janvier 2019, nous exigerions un accompagnement de la Cédéao. Tout argument visant à décaler cette date mettrait en cause la stabilité du pays. Dans cette hypothèse, nous tiendrions le président de la République et tous les partis qui gravitent autour de lui responsables de ce qui pourrait survenir en Guinée-Bissau.

Ce qui nous manque, c’est la culture démocratique

Combien de députés espérez-vous obtenir au Parlement ?

Nous espérons recueillir au minimum l’équivalent de nos résultats de 2014, c’est-à-dire 57 députés, afin d’avoir la majorité absolue. Le PAIGC est bien placé pour prétendre à ce résultat.

Ne craignez-vous pas un nouveau blocage si le parti vous proposait comme premier ministre en cas de victoire ?

Le dernier congrès du PAIGC, en janvier 2018, a analysé la question et apporté des changements qui devraient faciliter les choses. Avant, il n’y avait pas d’alternative : en cas de victoire aux législatives, le chef du parti en tête était forcément candidat au poste de Premier ministre. Aujourd’hui, il est le premier candidat mais il peut proposer d’autres noms que le sien.

Que manque-t-il aujourd’hui à la Guinée-Bissau pour revenir à la normalité institutionnelle ?

Ce qui nous manque, c’est la culture démocratique. Il faut que les gens comprennent que la démocratie fixe une limite à l’exercice du pouvoir. Ce n’est pas parce que le peuple vous a élu une fois que vous devez rester indéfiniment en fonction.

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