Abdoulaye Bio-Tchané

Après six années au FMI, l’ancien ministre béninois de l’Économie accède à la présidence de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). habile et efficace, il doit relancer l’institution fragilisée par un intérim de deux ans.

Publié le 28 janvier 2008 Lecture : 5 minutes.

« C’était certain et réglé depuis longtemps. Abdoulaye Bio-Tchané voulait le poste de gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), mais il a fini par accepter la présidence de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), qui lui était offerte », explique un conseiller du président béninois, Yayi Boni, après le sommet de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui s’est tenu à Ouagadougou le 17 janvier dernier. De fait, pour mettre un terme à l’intérim qui s’éternisait depuis le départ de Charles Konan Banny, en décembre 2005, de la BCEAO et de Yayi Boni, en janvier 2006, de la BOAD, les chefs d’État sont allés au plus simple. Pas de remise en cause d’une règle tacite. La Côte d’Ivoire conserve la Banque centrale avec Philippe-Henry Dacoury-Tabley (voir J.A. n° 2454). Et le Bénin permet au directeur Afrique du Fonds monétaire international (FMI) de revenir dans la sous-région après six années passées à Washington.
« Il ne m’aurait pas déplu de retourner comme gouverneur à la BCEAO, une institution que je connais bien pour y avoir travaillé, mais il fallait pour cela que les chefs d’État tranchent la question de la rotation des postes. Quoi qu’il en soit, je suis enthousiaste. Dans la relance de la croissance économique et la lutte contre la pauvreté, la BOAD joue un rôle fondamental », explique le nouveau président, qui affirme « ne pas avoir fait campagne puisque sa candidature était présentée par son pays ». « C’est l’homme de la situation. Son parcours professionnel est impeccable et ses références sont incontestables. Il connaît tous les chefs d’État de la région », se réjouit un cadre de la BOAD pressé que son institution renoue avec « un leadership clair », retrouve « une dynamique » et entame « des réformes ». Projets d’infrastructures, soutien au secteur privé, développement rural les engagements financiers de la Banque n’ont cessé de progresser depuis une dizaine d’années. Pour autant, le tassement de la croissance économique dans la zone à 4,5 % en 2007 contre 6,2 % sur l’ensemble du continent, la menace d’un retour de l’inflation provoqué entre autres par la flambée des cours des hydrocarbures, la crise énergétique et les incessants délestages électriques, les résultats mitigés de la campagne agricole 2007-2008 sont autant de signes qui prouvent que la BOAD pourrait faire plus et mieux.

Volonté politique et réalisme économique
Pour cela, Abdoulaye Bio-Tchané dispose de plusieurs atouts. Tout d’abord son profil et son caractère. Regard doux, phrasé paisible et simplicité bienveillante, cet homme âgé de 55 ans et père de trois enfants dispersés entre le Bénin, l’Afrique du Sud et le Canada n’en demeure pas moins un homme à poigne. Rigoureux, déterminé et doté d’une grosse capacité de travail, il a fait preuve d’une grande habileté durant toute sa carrière. « Malgré son expérience dans les différentes institutions régionales, il a dû s’adapter et renforcer sa maîtrise des dossiers. Mais il a su écouter, s’appuyer sur les bonnes personnes et notamment ses adjoints, qui ont toujours été de solides techniciens. Au final, il s’est imposé, a acquis une légitimité et a marqué le FMI de son empreinte. Qui plus est, grâce à ses nombreuses tournées sur le continent, il a noué un contact avec tous les décideurs, développé ses aptitudes de diplomate et s’est constitué un prestigieux carnet d’adresses », explique un fonctionnaire international. Avant de louer son « talent pour les relations humaines ». « Toujours accessible, il répond aux mails, donne son avis et écoute tout le monde », conclut-il.
Ce n’est pas une raison pour se laisser influencer ou rompre devant l’adversité. Lors de sa brève incursion dans le champ politique, en 1998, comme ministre de l’Économie et des Finances sous la présidence de Mathieu Kérékou, ses sorties tonitruantes contre la corruption ont laissé des traces. Chacun, à Cotonou, se souvient des enquêtes qu’il avait commanditées sur le dossier de la privatisation de la Société nationale de commercialisation des produits pétroliers (Sonacop) et qui visaient le repreneur, l’homme d’affaires Séfou Fagbohoun, un proche de Kérékou. Originaire de Djougou (Nord), Bio-Tchané risquait gros. Et si, en janvier 2002, il a finalement quitté le marigot béninois et ses innombrables intrigues, l’avenir lui a donné raison. Fagbohoun est aujourd’hui poursuivi par la justice de son pays et la Sonacop est retournée dans le giron de l’État.

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Prise de fonctions dans quelques semaines
Obstiné sans être obtus, homme de conviction mais dépourvu de dogmatisme, il sait aussi infléchir son discours et réviser ses certitudes. Son passage au FMI l’a prouvé. Libéral bon teint et adepte de la rigueur budgétaire, il a accompagné l’assouplissement des ajustements structurels lorsque les coupes dans les dépenses publiques devenaient insupportables pour les populations. Devant la fragilité des filières de production, il a adouci les recettes « clés en main » préconisant des privatisations douloureuses et dommageables pour les économies nationales. Réaliste sur les capacités financières des pays, il a enfin défendu les annulations de dettes. En revanche, cet aggiornamento ne peut être considéré comme un aveu d’échec. Adepte de la bonne gouvernance et fervent partisan du soutien au secteur privé, il appelle à la poursuite des réformes pour efficacement lutter contre la pauvreté. « Le FMI a fait un travail considérable et je suis fier d’y avoir contribué », tranche-t-il. À n’en pas douter, cette alchimie mêlant volonté politique et réalisme économique constituera la feuille de route de la BOAD.
Son nom a été évoqué, en 2001, pour succéder au Guinéen Lansana Kouyaté au poste de secrétaire exécutif de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Il a, semble-t-il, envisagé de se lancer dans la bataille présidentielle béninoise en 2006. « On m’a prêté beaucoup d’intentions, mais le plus important est que je n’ai pas été candidat », rétorque l’intéressé. « Aujourd’hui, d’épais dossiers l’attendent sur son bureau de Lomé, à commencer par la crise dans le secteur énergétique. Pour remédier à ce déficit de production et interconnecter les réseaux électriques, de gros investissements sont nécessaires et cela implique une augmentation des contributions des États », estime un cadre de la BOAD. La personnalité de Bio-Tchané saura, sans doute, faire la différence pour convaincre les capitales. Face à l’afflux de liquidités et l’arrivée de capitaux étrangers dans la sous-région, via les institutions internationales et les fonds d’investissement, la Banque pourrait également se montrer plus active. Sur la période 2000-2006, ses bons et obligations ont représenté en moyenne 12 % du marché de la dette publique en zone UEMOA, qui est passé de 79 milliards de F CFA en 2001 à 383 milliards en 2006. « Mais l’intérim l’a privé d’une capacité d’initiative pour tirer meilleur parti de ses ressources », assure un économiste africain qui en appelle à une structuration du marché financier régional. Abdoulaye Bio-Tchané a quelques semaines pour se préparer, fixer ses priorités et choisir ses hommes. Sa prise de fonctions n’est pas prévue avant la fin du mois de février. Il a envoyé un SMS à ses collaborateurs en ce sens.

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