RDC – Freddy Matungulu : « On ne peut plus se contenter d’un président pas tout à fait préparé à la fonction »
Esquisse de leur programme, machine à voter, fichier électoral… Vingt-et-un candidats en lice pour la présidentielle du 23 décembre en RDC se livrent chaque semaine à Jeune Afrique. Entretien du jour avec Freddy Matungulu.
C’est dans la salle de réunion de Congo na Biso (Notre Congo, son parti) qu’il a choisi de nous recevoir. L’entretien se déroule sous le regard témoin de Nelson Mandela, Étienne Tshisekedi et Alassane Ouattara, « des hommes qui [l’]inspirent » et dont les portraits triomphent sur le lieu. Freddy Matungulu, 63 ans, commence d’ailleurs par louer « l’intégrité, le sacrifice de soi et, surtout, le sens élevé de l’État » du héros de la lutte anti-apartheid, en Afrique du Sud.
L’ancien ministre salue ensuite la mémoire de l’opposant historique congolais avant de s’étendre sur la manière dont le président ivoirien a su « réinstaurer un contexte favorable aux investissements » dans son pays.
Comme ADO, Freddy Matungulu a travaillé au sein du Fonds monétaire international (FMI), à Washington. À l’avènement de Joseph Kabila au pouvoir en 2001, il revient au pays pour prendre les rênes du ministère de l’Économie, des Finances et du Budget. Mais, deux ans plus tard, il claque la porte et retourne au FMI. Aujourd’hui, l’économiste, qui a pris sa retraite anticipée, a réussi à se faire une place sur la scène politique en RDC. Il fait partie des « L7 », les sept leaders de l’opposition qui se cherchent un candidat commun.
Jeune Afrique : Longtemps considéré comme un technocrate, un « bon ministrable », vous vous présentez pour la première fois à la présidentielle. Qu’est-ce qui vous a décidé à franchir le pas ?
Freddy Matungulu : Tout est lié à mon expérience gouvernementale. Je suis entré au gouvernement par un concours de circonstances. Le président Laurent-Désiré Kabila venait d’être assassiné et son successeur, Joseph Kabila, promettait de faire autre chose que ce que nous voyions toujours en RDC.
J’ai travaillé pendant deux ans et j’en ai tiré deux leçons. La première : même en RDC, si le travail est effectué avec la maîtrise des paramètres et la connaissance des dossiers, on peut parvenir à des résultats. Nous avions ainsi passé d’une inflation à plus de 500 % à moins de 10 %. La deuxième leçon, c’est que ce sera toujours le politique qui aura le dernier mot. Dès qu’il n’est plus avec vous, vous vous arrêtez net. En ce moment là, vous devez faire un choix : soit devenir comme les autres et faire une croix sur vos idées pour le pays et sur vos convictions, soit partir.
Dans ce contexte, très rares sont les ministres qui décident de démissionner en RDC. Mais vous, vous l’avez fait. Pourquoi ?
Peut-être parce que j’ai vécu dans un environnement où les questions de gouvernance faisaient parties de mon plat professionnel quotidien. J’ai toujours considéré que ma démission a été intimement liée à mon profil. C’est pourquoi, en revenant une nouvelle fois au pays en 2015, je ne voulais pas refaire la même expérience. J’ai alors décidé d’aller sur la scène politique pour tenter de conquérir le pouvoir. Car c’est ce dernier qui me permettrait d’aller au bout de ma démarche : ouvrir la voie à l’expertise pour l’ensemble de la communauté congolaise.
Il nous faut un président qui sait d’abord s’encadrer lui-même avant d’encadrer les autres
C’est donc une candidature de civisme. On ne peut plus continuer à se contenter des présidents de la République qui ne sont pas tout à fait préparés à la fonction et qui sont encadrés. Depuis l’indépendance, c’est ce que nous avons fait et nous voyons aujourd’hui les résultats. Ça ne marche pas ! Je l’ai vécu aux premières loges, en ce qui concerne Joseph Kabila. Il nous faut un président qui sait d’abord s’encadrer lui-même avant d’encadrer les autres, un chef de l’État qui connaît les dossiers, dispose d’une expérience et qui est à mesure de faire la part des choses.
Quelles sont les grandes lignes du projet de société que vous voudriez présenter aux Congolais ?
Le grand problème ne réside pas au niveau du contenu d’un projet de société. Il se situe plutôt dans la capacité de faire ce qu’on a promis. C’est ce qui nous a toujours manqué dans ce pays. Aujourd’hui encore circulent nombre de marchands de rêves. Mais feront-ils le poids une fois mis à l’épreuve de la gestion du pays ? Mon projet de société met l’accent sur le contexte à la fois de sécurité, d’institutions fortes et de responsabilité. Car sans un contexte approprié, il ne saurait y avoir une relance de l’économie. Et le social, le vrai, ne se pratique que lorsque l’économie crée des emplois. Nous accorderons ainsi une attention particulière au système éducatif mais aussi à la santé.
C’est une élection à un seul tour : on n’aura pas le temps de se réajuster, se rassembler, de refaire des coalitions
Vous êtes l’un des « L7 », ces sept leaders de l’opposition qui discutent autour de la candidature commune. Pourquoi maintenant ?
Nous aurions dû en effet le faire bien avant. D’autant que le fait de se retrouver si nombreux comme candidats aujourd’hui, même si nous décidons tous demain de nous aligner derrière l’un d’entre nous, cela va toujours nous coûter quelques suffrages. Nous n’avons plus le temps de retirer nos candidatures de la liste définitive. Alors, plus vite on sera en mesure de s’accorder sur la question, mieux ça vaudra.
N’y aurait donc aucune chance d’aller à cette présidentielle en ordre dispersé ?
Y aller derrière l’un d’entre nous nous donne beaucoup plus de chances de gagner que si on devait y aller en ordre dispersé. Pourquoi ne pas le faire ? Sachant que c’est aussi une élection à un seul tour : on n’a pas le temps de se réajuster, se rassembler, de refaire des coalitions, comme c’est souvent le cas pour un scrutin à deux tours.
Existe-t-il tout de même une chance d’avoir un candidat commun de l’opposition d’ici le 15 novembre, comme annoncé à Pretoria ?
Il faut que nous ayons cette candidature commune. Il s’agit en fait, en tant que groupe, de la mutualisation de nos points faibles et de nos points forts. Certains d’entre disposent d’atouts politiques clairs, d’autres de compétences techniques manifestes. Nous avons bien travaillé récemment à Pretoria et nous poursuivons d’ailleurs des consultations bilatérales avec ceux qui sont ici, à Kinshasa, mais aussi avec ceux qui sont à l’étranger.
La machine à voter dispose de fonctionnalités extrêmement préoccupantes
De son côté, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) compte organiser ce scrutin avec la machine à voter. Quelle est votre opinion sur cette question qui divise la classe politique congolaise ?
Cette machine à voter dispose de fonctionnalités extrêmement préoccupantes : elle peut émettre et recevoir des données. Nous le savions déjà, mais des experts britanniques l’ont récemment confirmé.La Ceni a été attrapée en train de mentir parce qu’elle prétendait que sa machine n’était qu’une imprimante. Ce n’est pas le cas. S’obstiner à la maintenir, c’est de la mauvaise foi.
En fait, nous faisons face à un organisateur de l’élection en qui nous n’avons pas confiance et qui tient à utiliser une machine à voter capable de casser le lien entre le bulletin de vote que l’électeur va glisser dans l’urne et le résultat mis à la disposition de je-ne-sais-quel serveur.
Pourquoi les Congolais doivent vous choisir pour remplacer Joseph Kabila ?
Si l’objectif est de trouver des solutions aux problèmes complexes auxquels notre pays est confronté, je suis le mieux qualifié. Modestement, je suis fondé de dire que je représente la meilleure option pour remettre ce pays sur la voie du sérieux, du travail et du progrès économique et social. Aussi, je ne suis pas conflictuel et je suis disposé à travailler avec tout le monde.
(Rires) Je ne crois pas un mot à ce sondage de GEC et de Berci [Bureau d’études, de recherches et de consulting international] : un échantillon, répertorié en 2016, qui comprendrait moins de 2 000 personnes alors que nous parlons tout de même d’un fichier électoral – malgré toutes ses imperfections – d’au moins 40 millions d’électeurs.
Je connais personnellement Jason Stearns [directeur de GEC]. Je lui ai dit clairement que je n’accordais aucun crédit à son travail. Il connaît lui-même la nature des liens qu’il entretient avec certains d’entre nous et avec qui il travaille de façon presque permanente dans le cadre de ce processus électoral.
Comment résumeriez-vous les dix-sept ans de règne du président sortant, Joseph Kabila ?
Par un seul mot : catastrophe.
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