Retour aux sources

Les Journées cinématographiques de Carthage ont fêté leur quarantième anniversaire du 11 au 18 novembre. L’occasion de renouer avec leur vocation première, le film africain et arabe. La fête en plus.

Publié le 27 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Pour les JCC (Journées cinématographiques de Carthage), qui se sont déroulées du 11 au 18 novembre, Tunis avait revêtu son costume des beaux jours : avenues arborant les portraits des cinéastes invités, salles de cinéma rafraîchies, espaces culturels et anciens palais ouverts aux manifestations parallèles, piano-bar au Colisée pour les cinéphiles, clôture réglée – une fois n’est pas coutume – comme du papier à musique. Pour les habitants de l’intérieur du pays, Tunis a assuré une large couverture radiophonique et télévisuelle faisant vivre à l’heure du septième art la ménagère de Tozeur tout autant que l’instituteur de Béja. Quant à ceux qui ne jurent que par la trace écrite, le cinéphile Hédi Khélil leur a fourni pour l’occasion un pavé de 800 pages sur le cinéma local*, de quoi garnir intelligemment les rayons de leurs bibliothèques ! Bref, les Tunisiens auront mis le paquet pour cette 21e édition dont le mot d’ordre fut : retour aux sources.
En effet, voulant se démarquer de la tendance qui avait failli transformer le plus ancien rendez-vous cinématographique arabo-africain en une manifestation arabo-arabe ou européenne, le cinéaste Férid Boughedir, à qui avait été confiée la direction artistique de cette session, a voulu renouer avec la vocation première des JCC, autrement dit « valoriser les productions du continent et les spécificités liées à l’appartenance géographique et culturelle africaine et arabe ».
Pas de paillettes, donc, hormis la présence à l’ouverture de l’actrice italienne Ornella Mutti venue, en réalité, jouer un court-métrage en Tunisie. Pas de stars égyptiennes, non plus, mais un effort sur la sélection, un excellent cru de 228 films entre compétition – et ce bien que les festivals de Marrakech et de Ouagadougou poussent certains cinéastes du continent à faire défection aux JCC -, rétrospectives et panoramas. Pour ce qui est de ces derniers, un coup de projecteur sur les pays émergents d’Amérique latine et d’Asie a donné la part belle à la Corée du Sud (14 films), considérée comme le symbole de la résistance à l’industrie hollywoodienne et l’un des hérauts de l’exception culturelle.
Autre signe de fidélité aux objectifs premiers des JCC, les hommages ont concerné cette année des artistes du continent tels que le cinéaste ivoirien Henri Duparc, récemment disparu, l’Égyptien Yousri Nasrallah, mort le 30 août dernier, ou son compatriote l’écrivain Naguib Mahfouz. Mise en exergue également d’une tranche de l’histoire du continent avec la projection en ouverture du film Indigènes de Rachid Bouchareb.
Enfin, plaçant cette édition sous le slogan « le Sud regarde le Sud » et tenant à montrer qu’un festival peut être à la fois sérieux et festif, les organisateurs ont programmé des soirées dansantes à thème (Afrique du Sud, Mali, Brésil, Argentine et Tunisie), permettant d’introduire pour la première fois les JCC dans les palais de la médina de Tunis et faisant découvrir aux invités le patrimoine historique local.
Une première également, côté presse : la création d’un site Web ainsi que des projections quotidiennes des films en compétition pour les journalistes. Notons, au passage, que si les JCC continuent à souffrir d’une mauvaise couverture des médias occidentaux, elles bénéficient de l’affluence d’un public fidèle et exigeant qui reprend à chaque festival le chemin des salles de cinéma. Pour l’anecdote, les mêmes spectateurs qui entraient voir des films argentins ou sud-coréens avec entrain se posaient bien des questions devant les productions du Golfe et de l’Afghanistan : « On se demande d’ores et déjà quel type de femmes [voilées ou non, s’entend] nous allons découvrir dans les films du sultanat d’Oman ou de l’Afghanistan ! » Comme quoi, on n’échappe jamais à l’actualité. Chassez le voile
Côté palmarès, la Tunisie a raflé le plus grand nombre de prix, preuve que le cinéma du pays hôte est en train de renouer avec la qualité après une décennie de production pour le moins inégale. L’Afrique subsaharienne, lauréate du Tanit d’argent et du Prix spécial du jury pour les longs-métrages (voir encadré), s’est également distinguée. L’on a regretté, certes, qu’aucune mention ne soit venue récompenser un beau film comme Bab’Aziz du Tunisien Nacer Khemir ou l’excellent Dunia de la Libanaise Jocelyne Saab. Le palmarès des JCC n’aura pas échappé à la pression de la conjoncture politique et diplomatique : un geste d’amitié a été ainsi adressé au Maroc à travers le Prix d’interprétation féminine octroyé au très moyen Tarfaya, de même que certaines distinctions accordées aux productions palestiniennes ont relevé davantage du soutien politique que de la consécration du talent.
De fait, si le palmarès n’a pas soulevé de réelles polémiques, ce sont les interventions du jury et des lauréats, lors de la clôture, qui auront marqué cette session. Et d’abord le discours militant du président du jury, l’écrivain libanais Elias Khoury, axé sur la liberté d’expression, la dénonciation de la censure, et la recommandation – jugée déplacée par les Tunisiens – de doter les JCC d’un « cadre indépendant du ministère de la Culture ». « De quel droit un jury international s’immisce-t-il dans les structures tunisiennes ? » Telle a été en gros la réplique des responsables locaux.
Dans la brèche ouverte par un Khoury, les lauréats tunisiens se sont engouffrés avec une facilité déconcertante, transformant la scène du Colisée en tribune militante. La palme revient à Nouri Bouzid, qui, le bras levé en signe de victoire, gratifia son public d’un : « Nous vaincrons la peur ! », phrase pour le moins étrange dans la bouche de celui qui venait de remporter le Tanit d’or et dont le film n’avait subi aucune censure. Commentaire d’un des hommes de culture présent : « Bouzid a perdu une occasion de se taire ! »

* Abécédaire du cinéma tunisien, de Hédi Khélil, édité par l’auteur, 800 pages, 50 dinars (environ 30 euros).

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires