3 questions à Joseph Maïla

Politologue né à Beyrouth, spécialisé dans la sociologie des conflits, directeur à Paris du Centre de recherche sur la paix et de l’Institut de formation à la médiation et à la négociation (Ifomene). Dernier ouvrage publié : De Manhattan à Bagdad (avec Mo

Publié le 27 novembre 2006 Lecture : 2 minutes.

Jeune Afrique : Comment qualifieriez-vous la situation du Liban à la veille de ce 21 novembre ?
Joseph Maïla : Encore traumatisé et fragilisé par les effets de la guerre qui s’est déroulée sur son sol l’été dernier, le Liban se trouve à un carrefour de son histoire. Il est sommé de répondre à une question cruciale : Comment les Libanais vont-ils gérer leur pays après la fin de la présence syrienne ? Comment la politique peut-elle y reprendre ses droits dès lors que les principaux protagonistes, livrés à eux-mêmes après les accords de Taëf, ont, semble-t-il, renoncé à résoudre leurs conflits par les armes ?
La paix civile résistera-t-elle à ce nouveau drame ?
Je crois que oui, même si la phase émotionnelle que nous traversons actuellement doit nous inciter à la plus grande prudence. En effet, le Hezbollah est entré dans une logique de capitalisation politique de la victoire remportée sur Israël. Il cherche à en maximiser les profits à l’intérieur du système politique libanais, ce qui le dissuade de déclencher de nouveaux troubles. Et le comportement d’Amine Gemayel, appelant les siens à s’abstenir de toute vengeance, est aussi un facteur d’espoir. On a remarqué la « tenue », avant et pendant les obsèques, de ceux qui portent le deuil, leur volonté d’inscrire leur douleur dans le cadre de la nation tout entière. À l’évidence, le dialogue, qui avait avancé avant la guerre, peut encore être repris, à condition que les grandes puissances aident à renouer les liens en sécurisant le Liban dans son environnement et dans ses frontières, ce qui est la mission de la Finul. Car, si je ne prétends pas que « l’étranger » soit la cause unique des malheurs des Libanais, je suis convaincu que leur pays souffre de n’être pas au diapason de sa région, voire d’être à contre-courant.
Reste donc, une fois de plus, « la main de l’étranger ». De la Syrie ?
Une fois de plus, en effet Lors de l’assassinat de Rafic Hariri, on s’était déjà demandé si la Syrie n’avait pas perdu la tête. Comme aujourd’hui, on pourrait s’interroger sur les raisons qui lui feraient se tirer une balle dans le pied alors même qu’elle participe à une possible sortie de crise par la reprise de ses relations diplomatiques avec l’Irak et qu’elle redevient – sauf pour la France ! – un interlocuteur « incontournable », voire fréquentable, dans les relations internationales. Chaque fois qu’on tue au Liban, on est confronté à la même rationalité et à la même déraison. Mais aujourd’hui, la présence d’une enquête et d’un tribunal internationaux changera peut-être la donne. Je ne veux me substituer ni à l’une ni à l’autre. Je constate simplement que, si le Liban n’a, pour l’Iran, qu’une importance de nature symbolique, il revêt en revanche, pour Damas, un intérêt tout particulier : c’est l’Alsace-Lorraine plus Hong Kong, car, en plus, on y fait des affaires ! Le projet de mise en place sous l’égide de l’ONU d’un tribunal international pour juger les assassins de Rafic Hariri, qui ne peut se faire sans l’accord de Beyrouth, frappe donc de plein fouet une dictature aux abois, déjà mise à la porte du pays par le Mouvement du 14 mars, un régime qui peut bien avoir choisi la logique du bunker contre les promesses d’une éventuelle « désostracisation ».

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