Tibor Nagy, le nouveau « Monsieur Afrique » américain, entame sa première tournée sur le continent
Alors qu’il vient de débuter sa première tournée africaine depuis sa nomination, en septembre, l’ancien diplomate Tibor Nagy, récemment nommé secrétaire d’État adjoint aux Affaires africaines, entend incarner une nouvelle approche envers le continent. « Il convient aujourd’hui de regarder l’Afrique à travers le pare-brise, et non plus dans le rétroviseur », confiait-il à Jeune Afrique à la veille de son périple.
Quelques semaines après sa prestation de serment, le 17 septembre à Washington, Tibor Nagy, le secrétaire d’État adjoint aux Affaires africaines, pose le pied sur le continent. Pour sa première tournée dans ses nouvelles fonctions, il a choisi l’Afrique de l’Ouest. Après Lomé, le 1er novembre, il devait se rendre en Guinée du 2 au 4 novembre, puis rejoindre le Mali jusqu’au 7 novembre, avant de terminer par Abuja, qu’il quittera le 10 novembre.
L’occasion pour Tibor Nagy de prendre la température d’un continent qu’il connaît bien, puisque ce diplomate a été en poste pendant vingt ans en Afrique, au Togo, au Cameroun et au Nigeria, avant d’être nommé ambassadeur en Guinée puis en Éthiopie. À 69 ans, il remplace l’intérimaire Donald Yamamoto avec pour mission de renouer les liens entre Washington et un continent parfois exaspéré par les propos outranciers de Donald Trump.
Jeune Afrique : Pourquoi avoir choisi l’Afrique de l’Ouest pour votre première tournée sur le continent ?
Tibor Nagy : Il était très important pour moi de venir au Mali afin d’avoir une meilleure appréciation de la situation en recueillant les réactions de tous : du gouvernement, de mes propres services sur place, des différents acteurs impliqués dans la crise… D’autant qu’en février 2019, l’ONU rendra ses conclusions concernant les progrès réalisés dans le cadre des accords d’Alger…
Les maladresses répétées des troupes fédérales nigérianes ont poussé les populations dans les bras de Boko Haram
Ce qui pourrait avoir un impact sur la présence militaire américaine dans la région…
Je ne pense pas que cela changera fondamentalement notre implication sur le terrain. Tout le monde veut voir le Mali sortir de la crise. Notre objectif est de stabiliser l’ensemble de la région, en travaillant avec les gouvernements et avec nos différents alliés pour la débarrasser du terrorisme. Nos troupes au Niger continueront de sécuriser la zone, mais leur mandat est surtout de former et d’entraîner les forces armées locales. Ce sont ces dernières qui doivent gagner cette guerre et, pour cela, elles doivent se montrer plus professionnelles et apprendre à traiter correctement les civils. Ce sont les maladresses répétées des troupes fédérales nigérianes qui ont poussé les populations dans les bras de Boko Haram.
Quelle sera la teneur de votre message aux Maliens ?
Nous faisons face à plusieurs groupes terroristes que nous pourrions éliminer en combinant nos forces. Mais si rien ne vient combler le vide laissé, un autre groupe terroriste viendra prendre sa place. C’est ce qu’il s’est passé en Somalie et que nous voulons absolument éviter au Sahel. Nous devons donc travailler ensemble pour débarrasser la région du terrorisme, mais surtout pour consolider les services publics dans les secteurs de l’éducation, de la santé ou de la justice. Et aussi des opportunités d’emploi qui apporteront stabilité et développement.
Je suis plutôt optimiste quand je vois que la politique mise en place dans le cadre du G5 n’est pas uniquement d’ordre militaire. La population africaine doit doubler d’ici à 2050, et ces millions de jeunes Africains voudront exactement la même chose qu’en Occident : des emplois, toujours plus d’emplois.
La position américaine concernant la récente élection présidentielle camerounaise a été beaucoup plus distanciée que celles de la France ou de l’Union européenne. Pour quelles raisons ?
Nous avons félicité la population camerounaise pour la bonne tenue de ces élections. En Afrique, les États-Unis ne soutiennent pas des candidats mais des processus électoraux clairs et transparents. Le scrutin a été une réussite et il n’y a aucune raison de penser qu’il ne reflète pas le choix de la population. Néanmoins, et c’est peut-être là que notre position diverge, l’environnement général présente de sérieuses anomalies. Une large proportion d’électeurs n’ont pas pu aller voter dans les régions anglophones, par exemple.
Nous ne disposons d’aucune garantie quant au bon déroulement des élections en RDC
Êtes-vous optimiste concernant l’organisation de la présidentielle en RDC à la date prévue, le 23 décembre ?
Je me contente d’espérer que nous puissions avoir l’élection la plus juste possible à cette date. Toutefois, d’importants problèmes subsistent pour pouvoir faire avancer le processus. Le régime a, par exemple, empêché la tenue d’un meeting de l’opposition à Lubumbashi il y a quelques jours. Est-ce que cela signifie qu’il veut restreindre davantage un espace politique déjà très étroit ? Attendons pour en juger… Mais aujourd’hui, il nous faut bien reconnaître que nous ne disposons d’aucune garantie quant au bon déroulement de ces élections.
Comment analysez-vous les changements en cours dans la corne de l’Afrique ?
C’est l’événement le plus intéressant à suivre actuellement en Afrique, voire même dans le monde. Abiy Ahmed est le parfait exemple de ce qu’un véritable leader politique peut faire pour son pays. Il a réussi cet incroyable changement en interne en ouvrant le champ politique, en libérant les prisonniers politiques… Puis il a enclenché ce mouvement vers l’extérieur en réchauffant les relations, longtemps glaciales, avec l’Érythrée. Cet air chaud souffle aujourd’hui sur Djibouti, la Somalie et les deux Soudans.
L’Afrique a-t-elle plutôt besoin d’hommes forts ou d’institutions fortes ?
D’institutions fortes, évidemment. Leur absence est à l’origine de la tragédie que vivent de nombreux pays, et pas seulement en Afrique. Pour asseoir la réussite d’un pays il lui faut des piliers. Là encore, l’Éthiopie en est un parfait exemple. Abiy Ahmed a dévoilé un aspect très significatif de ce qu’il pense, estimant qu’il ne fallait plus voir les opposants comme des ennemis mais comme des concurrents. C’est un concept rare en Afrique, et c’est à mes yeux l’essence même de la démocratie. Pour la première fois, dans l’un des pays les plus importants du continent, nous avons un dirigeant prêt à accepter de quitter le pouvoir dans le respect des institutions.
Que répondez-vous à ceux qui pensent que votre intérêt pour l’Afrique est proportionnel à celui de la Chine ?
C’est faux ! Notre intérêt grandit car de plus en plus d’Américains commencent à réaliser le potentiel de l’Afrique. La jeunesse africaine a la capacité de dynamiser la croissance économique du continent et du reste de la planète.
Je ne peux blâmer les Africains d’avoir fait des affaires avec les Chinois, qui étaient les seuls à s’intéresser à eux
Et que vous inspire l’implication des Chinois sur le continent ?
Je ne peux blâmer les Africains d’avoir fait, pendant des années, des affaires avec les Chinois, qui étaient alors les seuls à s’intéresser à eux. Notre travail consiste maintenant à montrer aux entrepreneurs américains que nous sommes prêts à soutenir leurs investissements en Afrique. Contrairement aux Chinois, nous pouvons les en convaincre mais pas les y contraindre. Les États africains doivent faire leur part de travail en établissant un environnement favorable et équitable en matière de litiges commerciaux, de facilité d’entreprendre, d’accès à la formation… La réalité, c’est que ce sont les entreprises occidentales qui créent l’emploi, qui procèdent aux transferts de technologies, qui construisent le marché du travail de demain en Afrique.
Les États-Unis verraient-ils aujourd’hui l’Afrique à travers un double prisme : économique et sécuritaire ?
Nous avons une vision du continent qui a bien changé depuis la Guerre froide. Nous le voyons aujourd’hui comme un partenaire mature, disposant d’un potentiel énorme dans de nombreux domaines. Il convient de regarder l’Afrique à travers le pare-brise et non plus dans le rétroviseur.
On reproche à votre administration, par rapport à la précédente, d’avoir pris ses distances avec les oppositions et les représentants de la société civile…
Je peux vous assurer que plusieurs rencontres ont eu lieu ces derniers mois à Washington avec les opposants de certains pays. Sur place, rien n’a changé : nos ambassades sont là pour maintenir un dialogue constant avec les les représentants de l’opposition et de la société civile, quitte à provoquer parfois l’agacement des pouvoirs en place. Nous parlons avec tout le monde et nous continuerons de le faire.
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