Le tournant des législatives

L’opposition pourrait bien profiter de la division du camp présidentiel pour faire un retour remarqué dans l’Hémicycle à l’issue du scrutin le 17 décembre prochain.

Publié le 27 novembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Plus de 850 candidats pour seulement 120 sièges La commission électorale gabonaise a annoncé avoir enregistré un nombre record de candidatures pour les législatives du 17 décembre, auxquelles la majorité comme l’opposition se présentent en ordre dispersé. Plus de la moitié des postulants sont issus de la quarantaine de formations qui composent la mouvance présidentielle. S’y ajoutent un certain nombre d’indépendants, pour la plupart des transfuges des partis au pouvoir qui n’ont pas obtenu l’investiture de leur état-major. Cette pléthore de candidatures rend encore plus ardu le petit jeu de pronostics dont sont friands les connaisseurs du landerneau politique gabonais.
Face à cet éparpillement du jeu politique, le Parti démocratique gabonais (PDG) du président Omar Bongo Ondimba (OBO) est la seule formation représentée dans chaque circonscription, tandis que son principal allié, le Rassemblement pour le Gabon (RPG), le défie dans une soixantaine de circonscriptions. Cette concurrence entre formations « amies » vire d’ailleurs à la caricature à Libreville, où le Premier ministre issu des rangs du PDG, Jean Eyéghé Ndong, sera opposé à son vice-Premier ministre Paul Mba Abessole, chef de file du RPG. Une belle empoignade en perspective entre deux hommes qui se vouent une animosité réciproque.
Cette anarchie dans le camp présidentiel pourrait profiter à l’opposition, forte d’une dizaine de partis et présente dans un tiers environ des circonscriptions. Parmi eux : l’Union du peuple gabonais (UPG) de Pierre Mamboundou, qui aligne plus de 80 candidats, et l’Union gabonaise pour la démocratie et le développement (UGDD) de Zacharie Myboto, ex-fidèle de Bongo Ondimba devenu sa bête noire, qui en présente près de 70. Ces deux challengeurs du chef de l’État lors de la présidentielle de 2005 devraient reconquérir leur mandat parlementaire le 17 décembre avec d’autant plus de facilité que leurs adversaires respectifs ne brillent pas vraiment par leur charisme. Mamboundou avait perdu sa circonscription de Ndendé, dans le sud du pays, pour avoir boycotté les législatives de 2001. Et Myboto avait dû rendre son siège de député de Mounana, dans le Sud-Est, en démissionnant du PDG en 2005.
Les probabilités de voir l’opposition faire un retour significatif au Parlement sont fortes. Mais dans quelle mesure ? Car de l’élection de la future Assemblée dépend la composition du gouvernement, que Bongo Ondimba ne manquera pas de remanier. À l’issue de son investiture, il avait nommé le 21 janvier 2006 une équipe élargie et transitoire de 49 membres, clairement établie pour remercier tous ceux qui avaient, de près ou de loin, contribué à sa réélection. Et pris le risque de susciter la réprobation du FMI, toujours très attentif à la maîtrise du train de vie de l’État. Mais c’est moins pour plaire aux bailleurs de fonds que pour tirer les enseignements du scrutin du 17 décembre prochain, révélateur du véritable rapport des forces politiques sur le terrain, que le boss devrait revoir le casting gouvernemental en janvier prochain.
Mais plusieurs inconnues subsistent, à commencer par le nom du Premier ministre. Selon une règle non écrite, ce poste revient à un Fang originaire de la province de l’Estuaire. Emmanuel Nze Bekale, ex-ministre et ancien PDG d’Air Gabon, ou Adrien Nkoghé Essingone, directeur général des Caisses de stabilisation et de péréquation (DGCSP) ? Leurs noms reviennent régulièrement, mais une autre règle non écrite plaide en faveur du maintien du tenant du titre : Jean Eyéghé Ndong a accédé à la primature il y a seulement dix mois, un poste auquel tous ses prédécesseurs sont restés au moins trois ans.
Deuxième interrogation : sur quelle majorité parlementaire s’appuiera le futur gouvernement ? Si l’opposition fait une percée, sera-t-elle, d’une manière ou d’une autre, associée à l’exécutif ? Seule certitude, l’éventualité d’un gouvernement d’union nationale ne semble pas gêner outre mesure le chef de l’État, qui a déclaré, le 15 novembre, aux 120 candidats investis par le PDG qu’il n’avait pas peur de la cohabitation. Une manière de préparer les caciques de sa formation à toutes les possibilités, y compris celle de voir certains de ses adversaires les plus virulents faire un bout de chemin à leurs côtés.
« Compte tenu du contentieux qui subsiste entre lui et le président, il est peu probable de voir Myboto revenir aux affaires, estime un exégète du microcosme librevillois. Mais le rapprochement spectaculaire opéré entre OBO et l’irréductible Mamboundou ces derniers mois est peut-être annonciateur de quelque chose. » En tout cas, les deux hommes vivent une véritable « lune de miel », après avoir eu des relations plutôt difficiles. À la suite de la descente de police au siège de l’UPG dans la nuit du 20 au 21 mars dernier, Mamboundou s’est réfugié plusieurs semaines durant à l’ambassade d’Afrique du Sud. Avant d’accepter de rencontrer le chef de l’État le 19 avril, alors que leur dernière entrevue remontait à plus de vingt ans. Les deux hommes sont tombés d’accord pour ouvrir un dialogue afin d’instaurer un climat apaisé avant la tenue des législatives. Devenu de facto le chef de file de l’opposition, Mamboundou est, depuis, traité comme un interlocuteur privilégié par OBO, à tel point que sa sollicitude provoque des grincements de dents au sein du PDG, où certains ont l’impression que l’ennemi d’hier est un peu devenu « le chouchou du patron ». Cela le rend-il pour autant ministrable ? Pour Mamboundou, il serait certainement profitable de disposer enfin d’une expérience gouvernementale dans la perspective, plus lointaine, de la succession du chef. Lequel conforterait, lui, son image d’arbitre paternaliste et consensuel, tout en signifiant à sa propre majorité qu’il reste le seul maître du jeu. Divisés par les querelles intestines, minés par les ambitions personnelles, les leaders de la mouvance présidentielle et le PDG en particulier ont préféré privilégier leurs propres intérêts au détriment de l’union, se plaçant d’emblée dans la perspective de l’après-OBO.
Il est vrai que le chef lui-même a évoqué sa propre succession au cours de la campagne pour la présidentielle de décembre 2005, en indiquant qu’il proposerait aux Gabonais, le moment venu, « trois ou quatre personnes » susceptibles de prendre le relais. Avant de demander publiquement : « Faut-il les choisir maintenant ? Ou bien à la fin de mon mandat ? Ou bien à la fin de ma carrière politique ? » Pour lui, la réponse, a priori, n’est pas d’actualité. Agacé par les manuvres de moins en moins discrètes des éventuels prétendants à sa succession, il a sifflé la fin de la récréation : « Je serai candidat en 2012 si Dieu me prête vie », a-t-il déclaré sur RFI le 23 octobre dernier, tout en précisant qu’il n’avait pas de dauphin présumé. « Qui vous dit que la succession est ouverte ? Il ne faut pas que les gens commencent à s’entretuer pour rien, ce serait ridicule », a conclu OBO pour mettre un terme, ne serait-ce que provisoire, aux appétits de ses barons pédégistes. Fait inédit pour une campagne législative, le boss a même cru nécessaire de descendre en personne sur le terrain en entamant, le 21 novembre, une tournée républicaine qui doit le conduire dans les neuf provinces du pays. Plus pour rappeler qu’il reste seul maître à bord que pour soutenir le PDG.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires