Les talibans contre-attaquent

Renaissant de leurs cendres, les anciens maîtres du pays opposent désormais une résistance acharnée au pouvoir et à ses alliés de l’Otan.

Publié le 27 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Triste anniversaire, triste bilan. Cinq ans après le déclenchement de l’opération « Liberté immuable » décrétée par les États-Unis au lendemain des attentats du 11 Septembre pour débusquer al-Qaïda et chasser les talibans du pouvoir, l’insécurité ne cesse de gagner du terrain en Afghanistan. Le 12 novembre, un rapport du Conseil commun de surveillance et de coordination (JCMB), composé de représentants du gouvernement afghan et de la communauté internationale, est venu confirmer la tendance : « L’insurrection a entraîné la mort de plus de 3 700 personnes [insurgés et civils] depuis janvier 2006, soit quatre fois plus qu’en 2005. » Mais plus que le regain d’influence talibane dans ses bastions traditionnels du Sud (Kandahar, le Helmand, le Zaboul et l’Ourouzgan), c’est la résistance armée que les insurgés opposent à la Force internationale d’assistance à la sécurité (Isaf), une émanation de l’Otan forte de 20 000 hommes, qui surprend.
Dans le Sud, face aux 10 000 soldats de l’Isaf – essentiellement américains, canadiens, britanniques et néerlandais -, qui ont pris le relais de l’US Army en juillet dernier, les talibans ne se contentent plus, comme en 2005, d’aligner une centaine de combattants menant des actions de guérilla sporadiques et décousues. Ils disposent désormais de bataillons de trois cents à quatre cents hommes, bien entraînés et capables de soutenir des combats de forte intensité. En septembre, lors de « l’opération Médusa », les affidés du mollah Omar ont certes perdu près de trois cents hommes dans la région de Kandahar. Mais l’Isaf, de son côté, en a perdu une vingtaine. Son responsable, le général David Richards, et James Jones, le commandant des forces de l’Otan dans le monde, reconnaissent d’ailleurs sans ambages que les combats acharnés qui se déroulent dans le Sud sont comparables à ceux de la Seconde Guerre mondiale ou de la guerre de Corée. Leur adversaire, doté de mortiers et de moyens de communication modernes, se hasarde parfois jusque dans le centre du pays. Et peut se replier dans les zones tribales pakistanaises frontalières qui échappent à tout contrôle. Or l’Otan a d’autant plus intérêt à obtenir des résultats rapides qu’à partir de février 2007 les États-Unis lui confieront la sécurité de l’ensemble du territoire, ne laissant sur place que 8 000 hommes sous commandement exclusivement américain.
Pour faire face à cette transition difficile, les responsables de l’Isaf souhaitent que les forces mises à leur disposition soient mieux réparties. L’Allemagne, l’Italie, la Belgique ou la France – qui dispose de 1 200 hommes à Kaboul – sont régulièrement sollicitées pour fournir des renforts dans les zones les plus dangereuses. Mais les quatre pays se montrent très réticents. Le président du Conseil italien Romano Prodi, par exemple, s’il exclut pour le moment de retirer ses 2 000 soldats, réclame la tenue d’une conférence internationale pour faire le point sur la situation. Lors de la conférence de Bonn, il y a cinq ans, la communauté internationale s’était en effet engagée en faveur de la reconstruction de l’Afghanistan. Or, comme le souligne le rapport du JCMB, l’insécurité a eu un impact direct sur le développement économique, qui se révèle « beaucoup plus lent et géographiquement limité » qu’escompté. Plus de 60 % des foyers n’ont toujours pas l’électricité et 80 % n’ont pas accès à l’eau potable. Quant à la démocratisation, malgré la tenue d’élections libres, elle se heurte à des murs locales que plus de vingt années de guerre n’ont fait que conforter. L’État afghan n’existe tout simplement pas. L’armée nationale (30 000 hommes), en cours de formation, n’est pas en mesure de combattre seule, et l’on voit mal comment ses effectifs pourraient atteindre 70 000 hommes d’ici à 2009 comme cela est prévu par les accords de Bonn. Toute personne loyale au gouvernement étant devenue la cible privilégiée des insurgés, les vocations – et la motivation – se font d’autant plus rares que les salaires sont dérisoires.
Résultat : sur ce vide sidéral, trafiquants de drogue, mafieux en tout genre, seigneurs de la guerre et talibans prospèrent. Prébendes, clanisme et islamisme radical minent un territoire éclaté dont le président, Hamid Karzaï, calfeutré dans un palais et un quartier dignes de la « zone verte » de Bagdad, ne tient même pas la capitale, Kaboul, qui n’échappe plus à la violence. En mai, des émeutes qui avaient éclaté en réaction à une « bavure » de l’armée américaine ont fait dix-sept morts. Le 9 septembre, un attentat suicide a été perpétré à deux pas de l’ambassade américaine. Phénomène inquiétant : ce type d’attentat se multiplie depuis 2006, sur le « modèle » irakien. Plus de trente ont été commis cette année, contre un seul en 2001, six en 2002 et vingt et un en 2005.
De l’insécurité découle tout le reste. Les Occidentaux ont largement perdu la guerre contre le pavot. Leurs campagnes d’éradication ont eu des effets pervers : les paysans dont les récoltes avaient été détruites n’ont pas été indemnisés, ou si peu. Surendettés, ils sont retombés sous la coupe des trafiquants. Au point que la culture de cette plante, qui entre dans la composition de l’héroïne, est en plein boom : sa production a crû de 59 % cette année, et l’Afghanistan fournit désormais 92 % de la production mondiale. Or, selon une estimation de l’ONU, 15 % des bénéfices de ce trafic tombent dans l’escarcelle des talibans et des mafias
Dominée par la drogue, l’économie l’est aussi par la corruption, qui gangrène tous les secteurs, à commencer par la justice. Écurés par les promesses qu’ils ne voient jamais se concrétiser et par le détournement massif de l’aide étrangère, les Afghans ont peu à peu perdu toute confiance dans leur gouvernement. Plus inquiétant, les critiques ne ménagent plus Hamid Karzaï. Son art du compromis et ses manières insinuantes à l’égard des seigneurs de guerre, d’abord jugées habiles, passent désormais pour de l’indécision et de la pusillanimité. Lui-même affirme qu’il ne briguera pas un troisième mandat en 2009. Mais qui pourrait avoir envie de régner sur un tel chaos ?

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