Le bonheur est dans le duty free

Reportage dans les coulisses des boutiques « sous douane ». Fait rare : ici, ce sont les hommes qui dépensent le plus Surtout ceux qui sont en partance pour l’Afrique.

Publié le 27 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, terminal 2F, mardi 7 novembre, 15 heures. Malgré les nouvelles consignes de sécurité sur le transport des liquides, vous êtes passé sans problème aux différents contrôles. Tous vos bagages sont en soute, vous vous sentez finalement soulagé. Homme d’affaires, vous revenez de Londres et votre avion pour Johannesburg part dans une heure et demie. Comme à chaque fois que vous passez à Paris, vous décidez de flâner dans les boutiques duty free. Trois quarts d’heure plus tard, vous revenez chargé de parfums, confiseries, chocolats pour la famille et les amis. Vous n’avez pas oublié de vous faire plaisir avec un baladeur numérique, un iPod Apple 2G dont le prix vous a semblé intéressant.
Ce scénario se renouvelle des centaines de fois chaque jour dans les boutiques duty free des aéroports du monde. Et, le plus souvent, l’acteur principal est du genre masculin. À croire que le contexte de l’aéroport, ou celui du voyage, modifie profondément ses habitudes. Shopping et lèche-vitrines, habituellement perçus comme des activités futiles, deviennent ici un réflexe naturel. Par exemple, en centre-ville, seul un homme sur cent entre dans une parfumerie sans être accompagné. Dans les boutiques d’aéroport, ils sont 21 % à le faire ! Selon une étude menée en janvier 2006 par la société Aéroports de Paris (ADP) sur le comportement d’achat des hommes en aéroport, ces derniers se libèrent et prennent leur autonomie ; ils adoptent un comportement radicalement différent qu’à d’autres moments, par exemple quand ils accompagnent leur épouse dans leur shopping. Or 63 % des grands voyageurs sont des hommes. Plus d’un sur deux (52 %) entre dans les boutiques et un sur trois achète. Et, dans ce cas, il achète plus : les hommes dépensent 43 euros en moyenne contre 36 pour les femmes.
Retour à Roissy. Homme d’affaires congolais, François fait partie des acheteurs « avertis », de ceux qui s’y connaissent en duty free. « J’achète à Paris parce que j’ai remarqué que c’était moins cher que dans les autres capitales européennes. Et puis, ici, il y a de l’espace, les boutiques sont belles, on a envie d’acheter », explique-t-il. After-shave pour lui, sac à main de grande marque pour son épouse, chaussures de sport dernier cri pour son fils, chocolats fins ou vin pour ses cadeaux d’affaires, tout y passe. « Je voyage trois à quatre fois par mois, et à chaque passage en duty free, j’y laisse 300 à 400 euros », raconte-t-il en souriant.
Fodé, pour sa part, rentre en Guinée, à Conakry. Ancien officier de marine, il est aujourd’hui homme d’affaires et se déplace fréquemment entre les capitales européennes et l’Afrique du Sud. Il se considère comme un acheteur organisé. Il sait ce qu’il veut et va droit au but : « Mes achats se concentrent sur trois produits, les cravates, les chaussures et les CD de musique chrétienne. Je fais de véritables collections, j’ai des centaines de disques, une cinquantaine de cravates. À Roissy, il y a un grand choix. C’est moins cher qu’à Genève mais plus cher qu’au Cap. » Il ne dépasse jamais un budget de 300 euros. Avec de tels montants, rien d’étonnant à ce que la clientèle africaine soit appréciée. « Ils sont toujours souriants, élégants, agréables et très bons acheteurs », se réjouit Karine, vendeuse de parfums.
En tout, 78,7 millions de voyageurs ont fréquenté en 2005 les deux aéroports parisiens d’Orly et de Roissy. Sur ce total, les destinations africaines représentent plus de 8 millions de passagers, en progression de 9,6 % en un an. Aéroports de Paris, qui gère les boutiques, a bien compris l’intérêt commercial que représentent ces voyageurs particuliers. Clients captifs pendant quelques heures, avec un fort pouvoir d’achat, aimant le raffinement et le luxe, ils sont prêts à « acheter » l’image de Paris. « Une de nos meilleures ventes est une tour Eiffel remplie de bonbons », s’amuse Serge Chiron, responsable des 25 boutiques duty free d’Aelia, une filiale du groupe Lagardère. Le parfum Light of Champs-Élysées est également un must. Sur 16 000 m2 (plus de deux stades de football), 164 boutiques attendent les voyageurs sous douane. Une surface commerciale qui devrait augmenter de 47 % d’ici à 2007. Dans l’aérogare qui accueillera le géant d’Airbus, l’A380, 3 300 m2 de commerces sont déjà prévus.
Côté boutique, les produits sont classiques : parfums, alcool et tabac, mode et maroquinerie, gastronomie et confiserie, horlogerie et bijouterie, photo, musique et son. Côté vente, sur les 322 millions d’euros de chiffre d’affaires des boutiques ADP, les parfums et cosmétiques dominent (118 millions), suivis des alcools et tabacs (96 millions) et de la mode et maroquinerie (34 millions). « Les Africains achètent énormément de parfums, qui représentent 60 % de leur achat », indique Serge Chiron, chiffres à l’appui. Virginie, hôtesse dans une boutique de parfums située ?en sous-sol, précise le type d’achat : « Les femmes aiment les parfums très fruités, très épicés et les hommes les ?parfums forts. »
Pour les clients qui n’ont pas de limite de prix, les produits existent, comme cette bouteille de vin de Bordeaux mouton-rothschild 1945 à 13 000 euros ou une montre tout en or à 23 000 euros. Entre boutiques, on s’échange des histoires de ventes mémorables. « Un client nigérian vient régulièrement acheter du champagne Roederer Cristal à 110 euros la bouteille. Il en emporte systématiquement 12 ou 24, explique Mustapha, au rayon vins. Un autre a acheté pour 2 000 euros de vins français pour honorer les convives au mariage de sa fille. Il racontait à tout le monde qu’il allait recevoir 1 000 chameaux en guise de dot, alors il pouvait bien offrir le vin ! » Côté parfum, Karine raconte qu’elle a vendu pour 1 700 euros de parfums à un seul homme, car il voulait offrir un flacon à chacune de ses femmes L’embarquement pour Conakry est annoncé. Les boutiques se vident tout à coup, avant de se remplir à nouveau de clients en partance pour le Maroc.

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