La fracture

Les résultats de l’élection historique à la tête de l’État révèlent un pays déchiré. Comment le président Joseph Kabila compte-t-il faire pour recoller les morceaux ?

Publié le 27 novembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Avec l’attitude, digne et calme, des électeurs congolais ; avec l’effort exceptionnel de la communauté internationale pour accompagner la naissance d’une démocratie étouffée par quarante-cinq années de trompe-l’il et de mascarade ; avec la performance plus qu’honorable d’une commission électorale indépendante pourtant chargée de tous les maux et avec, bien sûr, la victoire attendue du candidat Joseph Kabila, on retiendra ceci de la présidentielle congolaise du 29 octobre : la carte d’un pays coupé en deux dans le sens de la longitude, celle de deux Congo séparés par une fracture politique, culturelle et historique et qui, pourtant, sont condamnés à vivre ensemble. À l’est de cette ligne Nord-Sud crûment mise au jour par les résultats du scrutin, on parle le swahili et les flux commerciaux sont orientés vers l’Afrique anglophone – qu’elle soit australe ou orientale. C’est ici que Joseph Kabila, originaire à la fois du Katanga et du Maniema, a fait le plein de ses voix – entre 82 % et 98 % des suffrages.
À l’Ouest règnent le lingala, le sentiment d’appartenance à l’espace francophone et une manière d’être et de vivre très bantoue que les swahiliphones ont vite fait de traduire par manque de sérieux – eux dont les lingalophones se méfient pour leur aptitude présumée à la dissimulation. Jean-Pierre Bemba, l’enfant de l’Équateur, y a raflé la majorité des voix avec des scores évoluant entre 61 % et 97 %, selon les provinces. Pendant trente-sept ans, de l’indépendance, en 1960, à la chute de Mobutu en 1997, le pouvoir a été à l’Ouest, géré (ou plutôt exercé) à partir d’une capitale, Kinshasa, où il était chez lui. Depuis près de dix ans et pour encore cinq années au moins, il est à l’Est.
Cette bipolarisation et ce retournement historique ont des causes diverses. Démographique : les swahiliphones sont désormais plus nombreux en RD Congo que les lingalophones. Technique : le taux de participation dans les cinq provinces de l’Est a été plus élevé que dans les six de l’Ouest. Culturelle : les alliances contractées par les deux candidats dans le camp de leur adversaire n’ont guère pesé face au réflexe d’allégeance communautaire et ethnique. À titre d’exemple : ni Antoine Gizenga ni Nzanga Mobutu, tous deux ralliés à Kabila au second tour, ne sont parvenus à entraîner derrière eux leur région d’origine – ce qui a l’avantage de laisser les mains libres au nouvel élu. Quant aux électeurs des deux Kasaïs, dont le leader Étienne Tshisekedi s’est jusqu’au bout fourvoyé sur la voie sans issue du boycottage, ils ont, semble-t-il, sonné l’heure de la marginalisation (et de la retraite) définitives de cette figure controversée de la vie politique congolaise en se rendant aux urnes à près de 50 %. Là encore, la pulsion géographique a été la plus forte.
Au-delà des péripéties immédiates et de la tentation que pourraient éprouver certains extrémistes floués de rendre le pays ingouvernable, deux questions de fond se posent pour Joseph Kabila. La première est de savoir s’il accordera à l’opposition, dont le chef de plein droit, fort de son score de 42 % des voix, est Jean-Pierre Bemba, un vrai statut lui permettant de croire en une alternance démocratique. Certes, un code des prérogatives réservées aux quatre ex-vice-présidents de la transition (dont Bemba) est en préparation – il prévoit notamment une sécurité et des émoluments conséquents. Mais il faudra aller beaucoup plus loin, c’est-à-dire partager la gestion du pays avec « l’autre Congo », celui des perdants, pour panser les plaies et enterrer les morts. La seconde question est simple : comment résorber la fracture ouverte un certain 29 octobre ? La tâche est complexe, mais réalisable, à condition de faire le bon diagnostic.
L’Est, qui a beaucoup plus souffert de la guerre que l’Ouest, avait des attentes spécifiques et urgentes : la paix, la sécurité et la réunification. L’Ouest, lui, a avant tout des exigences sociales : niveau de vie, routes, écoles, hôpitaux. Jusqu’ici, toute l’action de Kabila a consisté à répondre aux besoins de l’Est – non pas parce qu’il en est originaire, mais parce qu’il est impossible de développer un pays sans l’avoir auparavant pacifié. Désormais, les deux Congo en sont au même point : équivalence des urgences et des exigences, besoin impératif et absolu de développement économique et de lutte contre la misère. Cette communion d’espérances de tous les Congolais, née dans les urnes d’un scrutin historique, est pour le nouveau chef de l’État la chance essentielle d’échapper à la fatalité géopolitique d’une carte qui fait peur.

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