[Tribune] L’AFD doit oser le privé pour répondre à l’urgence en Afrique
Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement, doit « oser le privé pour répondre à l’urgence en Afrique ». C’est l’avis défendu par l’ancien général français Bruno Clément-Bollée.
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Bruno Clément-Bollée
Ancien commandant de l’opération Licorne, en Côte d’Ivoire, et consultant en matière de sécurité
Publié le 5 novembre 2018 Lecture : 4 minutes.
Victoire. La France va enfin « révolutionner » son aide publique au développement. Elle était sinistrée depuis longtemps. Restructurations, remises en question de l’approche, bousculements des procédures, affectation d’important budget supplémentaire sont censés traduire la volonté de passer à l’acte. Toutefois, on reste encore dans le déclaratoire. Et la partie est loin d’être gagnée. Les décideurs évoquent eux-mêmes qu’il reste encore à inventer le nouveau logiciel d’un mode opératoire renouvelé. Ainsi, dans le budget 2019, 1 milliard d’euros d’autorisations d’engagements supplémentaires viendront s’ajouter aux 10,4 milliards d’engagements, dont la moitié pour l’Afrique. Ce budget est intégralement confié à l’Agence française de développement. C’est peut-être là que les choses se compliquent.
Il semble y avoir une incapacité viscérale de l’Agence à travailler dans l’urgence
Récemment, des autorités du Mali, du Niger, de Guinée, de Guinée-Bissau, de Centrafrique et des Comores m’ont demandé de les aider à concevoir des projets pour renforcer la stabilité de l’État jugée fragile. Pour certains, avouons quand même que c’est un euphémisme. J’ai alors constaté l’absence totale du moindre projet réalisé sur le terrain, alors qu’à Paris les décideurs avaient, nous disait-on, mobilisé en urgence l’AFD. Il semble y avoir une incapacité viscérale de l’Agence à travailler dans l’urgence.
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Sans être expert du développement, j’entends juste les réflexions incessantes sur les lourdeurs administratives inhérentes à son organisation déjà quand elle travaille sur le temps long. Mais qu’en est-il des situations d’urgence en Afrique, priorité des priorités ?
L’Agence se réfugie derrière les sacro-saintes procédures techniques et financières à respecter, d’une inimaginable lourdeur
Aux plans structurel et technique d’abord, le constat est dramatique. La décision politique se heurte à l’incapacité persistante de traduire en action concrète la volonté d’agir dès qu’on parle d’urgence. L’AFD, incontournable acteur en la matière, décide de tout : action à mener, pertinence des projets, financement, rythme de déploiement… La durée d’instruction des dossiers est incompatible avec les situations d’extrême urgence, notamment en Afrique. L’Agence se réfugie derrière les sacro-saintes procédures techniques et financières à respecter, d’une inimaginable lourdeur. Inquiétant.
Au plan décisionnel, aussi, c’est l’Agence qui décide de la concrétisation des projets à mener. On parle de concertation, de dialogue, d’association à la décision, d’appropriation même… mais le partenaire n’a, dans la réalité, pas vraiment son mot à dire. Désolant.
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Au plan de la mise en œuvre des projets, enfin, le pré-carré est sacré. L’AFD considère qu’elle est seule à détenir la compétence et, donc, décide seule de qui doit agir sur le terrain. Les sociétés privées sont bannies par principe, soupçonnées, entre autres, de pratiquer des marges bénéficiaires incompatibles avec la nature désintéressée des projets. Pire, leurs compétences sur ces sujets ne sont même pas reconnues. Quand l’arrogance le dispute au dogmatisme. Désespérant.
Qu’on ne s’y méprenne, c’est la machine AFD que je dénonce, pas ses agents. J’ai côtoyé trop de ses experts, remarquables à tous points de vue, pour ne pas leur rendre sincèrement hommage. Mais comme il faut aller malgré tout de l’avant. Je voudrais, à défaut de ne pouvoir le rencontrer, m’adresser au directeur de l’AFD [Rémy Rioux, ndlr] : « Puisque vous avez été nommé à la tête de la puissante Agence, auréolé du prestige d’expert qualifié et de grand réformateur, raison du choix de votre nomination, Monsieur le Directeur, je vous lance le défi : en Afrique, osez le privé pour répondre à l’urgence. »
Plus concrètement, je vous propose d’examiner un projet précis aux Comores. La situation sociale y est épouvantablement difficile, autant qu’à Mayotte, ayant là, nous Français, autant intérêt à agir que les Comoriens. Début 2018, cherchant à stabiliser la situation régionale, un projet relatif à l’insertion de la jeunesse comorienne a retenu l’attention des autorités politiques des deux pays, le Service civique d’aide à l’insertion. Il s’agit d’intégrer un outil interministériel apte à former socialement, puis professionnellement, et enfin, après un stage d’apprentissage et de cohésion sociale, à accompagner l’insertion de 1 000 jeunes Comoriens par an. Des projets de même nature ont déjà été mis en œuvre avec succès dans d’autres pays africains.
À ce stade, l’Agence évalue que, dans le meilleur des cas, la société retenue ne pourra pas commencer à œuvrer avant, au plus tôt, fin 2019-début 2020, procédures obligent. Je vous propose une expérience de laboratoire. Puisque le besoin d’agir urgemment est avéré, l’aval politique donné pour le projet, sa pertinence reconnue et son ingénierie adaptée à la situation, décidons de tout remettre en question, habitudes, conditionnalités, procédures… Bref, agissons rapidement.
D’expérience, il faut six mois pour mettre en place le projet avant de recruter la première promotion. Et cela est compatible avec la légitime nécessité de contrôle de la dépense publique et de vérification du résultat obtenu sur le terrain. Nous apprendrons tous beaucoup et l’expérience contribuera certainement à trouver ce fameux nouveau logiciel d’un mode opératoire renouvelé.
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