Du maquis à la présidence

Pour sa première visite officielle en France, le chef de l’État a été reçu avec les honneurs. Malgré les accusations d’entorses aux droits de l’homme.

Publié le 27 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Pour sa première visite officielle en France, du 9 au 11 novembre, le président du Burundi, Pierre Nkurunziza, a certes eu droit au menu proposé à tout chef d’État africain séjournant officiellement à Paris (entretien avec Jacques Chirac à l’Élysée, dîner au Quai d’Orsay, rencontre avec les patrons du Medef). Mais il a dû aussi répondre aux interpellations sur l’arrestation à Bujumbura, en juillet et août 2006, des anciens président et vice-président de la transition, Domitien Ndayizeye et Alphonse Kadege, pour une présumée tentative de coup d’État.
Petite épreuve dont Pierre Nkurunziza, arrivé au pouvoir en août 2005, se serait sans doute passé pour un premier séjour chez l’ami français. L’Hexagone est devenu, en effet, le principal partenaire de Bujumbura au sein de l’Union européenne (UE). Son aide bilatérale (pour le désarmement et la démobilisation des anciens rebelles ainsi que pour l’appui à la Commission électorale indépendante) a doublé en cinq ans. La signature d’un document-cadre de partenariat (DCP) d’un montant de 47 millions d’euros pour une période de quatre ans a ainsi sanctionné la visite de Pierre Nkurunziza à Paris.
Pour le reste – les critiques contre son régime -, l’ancien maquisard devenu président s’en tient à une seule ligne de défense : « Le Burundi sort d’une crise profonde et nous menons une nouvelle lutte pour ramener tout le monde sur le droit chemin », a-t-il confié à Jeune Afrique en marge de son séjour parisien. À propos de la corruption, par exemple, il trouve « exagéré » de dire qu’elle s’est généralisée. Et il évoque l’adoption d’une loi et la création d’une brigade anticorruption, « malgré les résistances rencontrées au niveau de l’Assemblée nationale ». Avant de souligner que des actions de terrain menées jusqu’à présent pour lutter contre ce fléau ont conduit à l’arrestation de certains fonctionnaires indélicats et contribué à l’augmentation des recettes de l’État de l’ordre de « 20 % chaque mois ». Y a-t-il eu une tentative de coup d’État en août dernier ? Nkurunziza n’en démord pas : le complot visant à le renverser est réel, et les anciens dignitaires arrêtés seront jugés. Quant aux exactions imputées aux services de sécurité, il s’agirait de règlements de comptes, de bavures et de « conflits personnels ».
À 43 ans, cet ancien professeur d’éducation physique, qui est passé par la rébellion, semble avoir les pieds sur terre et, surtout, savoir où il va. Consolider la paix, après l’accord de cessez-le-feu signé le 7 septembre avec le dernier groupe rebelle, le Parti pour la libération du peuple hutu-Forces nationales de libération (Palipehutu-FNL), reste sa principale préoccupation. L’histoire sanglante de son pays l’a profondément et personnellement marqué. En 1972, d’abord. Son père, parlementaire et gouverneur de province, est assassiné lors de massacres qui frappent les Hutus. « Même si je savais qui a tué mon père, cela n’aurait plus d’importance, car j’ai déjà pardonné », déclare-t-il. En 1993, deux de ses frères, engagés dans la rébellion à la suite de l’assassinat du président Melchior Ndadaye, sont tués. Deux ans plus tard, Nkurunziza, professeur à l’université du Burundi, à Bujumbura, échappe à la mort après une attaque de l’armée, alors dominée par les Tutsis. C’en est trop, il rejoint la rébellion et ne tarde pas à en devenir le principal leader.
Aujourd’hui chef de l’État, Nkurunziza veut que ses compatriotes touchent les dividendes de la paix. Il faut pour cela augmenter les salaires. Ce à quoi la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) restent opposés. « C’est une question de bon sens, lâche-t-il, agacé. Les salaires sont très bas au Burundi : les officiers supérieurs touchent 70 dollars par mois, les enseignants du secondaire moins de 50 dollars, les hommes de troupe 10 dollars. À l’université, qui est fermée depuis trois mois, les traitements des professeurs vont de 100 à 200 dollars. » Il espère que l’amélioration des salaires évitera aux cadres de son pays d’aller chercher de meilleures conditions de vie dans les pays voisins.
De fait, Pierre Nkurunziza a décidé de gouverner autrement, pour en finir avec « quarante ans de mensonges ». Ainsi, deux à trois fois par semaine, il quitte Bujumbura pour visiter l’arrière-pays, entrer directement en contact avec la population, sans oublier de s’adonner à une de ses passions : le football, au poste d’attaquant.
Vivre en bonne intelligence avec tous ses voisins lui paraît fondamental. Avec le Rwanda, « tout va très bien », affirme-t-il. La polémique née en avril 2005 au sujet de l’arrivée massive de Hutus rwandais au Burundi et des conditions de leur rapatriement appartient au passé. « On avait manipulé ces gens en leur disant de fuir pour éviter d’être traduits devant les tribunaux gacaca, relève Nkurunziza. Maintenant ils sont rentrés dans leur pays. » La situation en République démocratique du Congo ne le laisse pas non plus indifférent. Mais il se garde bien de prendre position pour l’un ou l’autre des protagonistes : Bemba ou Kabila. « Je suis pour la démocratie. Soutenir tel ou tel n’est pas mon problème », dit-il.
De même, à ceux qui dans son pays continuent à parler de « parti hutu » et de « parti tutsi », Pierre Nkurunziza répond : « Cette salade n’est plus de saison. » Il n’attend qu’une chose pour parachever la réconciliation nationale : une commission Vérité-Réconciliation. Et rappelle que lui-même, une fois arrivé au pouvoir, avait demandé pardon à ses compatriotes pour les actes commis par la rébellion.

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