De l’énergie à revendre

Grâce à son savoir-faire dans l’offshore profond, la compagnie nationale brésilienne poursuit une ambitieuse stratégie de développement à l’international.

Publié le 27 novembre 2006 Lecture : 8 minutes.

Elle ne cesse de monter en puissance. L’entreprise brésilienne de pétrole et de gaz Petroleo Brasileiro SA, plus connue sous le nom de Petrobras, est à l’image d’un pays devenu, en quelques années, une grande puissance émergente. La compagnie pétrolière, quatorzième mondiale (devant ENI et Petronas), n’est d’ailleurs pas étrangère à cette irrésistible ascension. Grâce à elle, le géant sud-américain a accédé, le 21 avril dernier, à l’autosuffisance énergétique. Un exploit quand on sait que le Brésil, il y a encore trente ans, importait la totalité de ses besoins et que sa balance était toujours déficitaire dans les années 1990. Mieux : avec 10,2 milliards de dollars de profits en 2005, meilleure performance de l’histoire économique du sous-continent, Petrobras est désormais la première entreprise d’Amérique latine. Une prouesse rendue possible par la mise en service de la plate-forme flottante « P50 ». Le Brésil ne produisait en effet que 1,75 million de barils par jour (b/j) au début de 2005 pour une demande intérieure de 1,9 million de b/j. Le lancement de cet immense monstre de métal pouvant pomper jusqu’à 180 000 b/j sur le gisement d’Albacora Leste, dans le bassin de Campos de l’État de Rio de Janeiro, a permis de combler ce « gap » tout en faisant basculer le Brésil dans le club très fermé des pays exportateurs. En couvrant la demande de 185 millions d’habitants sans devoir passer par le marché international, Petrobras a concrétisé le rêve de plus d’une nation industrialisée. Une performance d’autant plus remarquable qu’elle est le fait d’une entreprise publique créée en 1953 dans un secteur traditionnellement réservé à l’investissement et aux opérateurs privés. Désormais, le Brésil produit plus que le Koweït, la Libye, l’Angola, et devrait bientôt dépasser le Nigeria, si l’on en juge par les prévisions de croissance. Car Petrobras vise une augmentation significative de sa production dans les prochaines années. Une hausse obtenue à partir des gisements existants au Brésil et servie par une ambitieuse stratégie de présence sur les marchés extérieurs. Entre 2001 et 2005, plus de 31 milliards de dollars ont été injectés dans la recherche ; 22,5 % de ce volume, soit 7 milliards, ont été consacrés à des activités d’exploration dans le monde. Un second plan, adopté en mai 2005, prévoit un budget de 56 milliards de dollars sur cinq ans, dont 12 destinés aux seuls marchés à l’étranger. Objectif : atteindre 2,5 millions de b/j d’ici à 2010 et 4,5 millions en 2015. Dans l’hypothèse du maintien du prix du baril autour de 60 dollars, ce sont 100 millions de dollars supplémentaires qui tomberont chaque année dans l’escarcelle du Brésil.
« Nulle autre compagnie que la nôtre ne possède une telle capacité d’expansion », se félicite son président, José Sergio Gabrielli. Petrobras est déjà présente dans dix-huit pays où l’exploration et l’exploitation de nouveaux sites permettront de consolider la jeune vocation d’exportateur net. Une stratégie qui repose en partie sur l’achat d’actifs, comme une prise de participation de 50 % dans la raffinerie de Pasadena (Texas) et le rachat envisagé de la raffinerie Nansei Sekiyu. Située sur l’île d’Okinawa, d’une capacité de 100 000 b/j, cette acquisition facilitera la pénétration du marché asiatique. L’autre axe d’intervention réside dans l’acquisition de blocs, notamment dans le golfe du Mexique, où Petrobras opère déjà sur 180 champs, mais aussi sur le continent africain, devenu l’objet de toutes les attentions depuis le début des années 2000 sous la présidence du Français Henri Philippe Reichstul.
De l’Angola à la Guinée équatoriale en passant par le Nigeria, São Tomé e Príncipe, la Libye ou la Tanzanie, l’Afrique voit d’un bon il l’arrivée de ce nouvel acteur susceptible de nouer des partenariats, notamment avec les pays lusophones, qui sont aussi d’importants producteurs, à l’instar de l’Angola. Pour ce faire, Petrobras s’appuie sur un atout maître : son savoir-faire en matière d’exploration et de pompage dans l’offshore profond, une technologie sur laquelle ses ingénieurs planchent depuis le second choc pétrolier, à la fin des années 1970. La compagnie brésilienne est en effet l’une des toutes premières à avoir créé des plates-formes flottantes et creusé au plus profond de l’eau. Jusqu’à 1 000 mètres dans un premier temps, puis 2 000 et 3 000 mètres actuellement. Elle est aussi l’une des rares à percer si loin la croûte terrestre. Jusqu’à 2 000, voire 3 000 mètres sous le niveau de la mer, soit une distance totale pouvant atteindre plus de 6 kilomètres, en attendant mieux Au Nigeria, Petrobras est présente sur plusieurs gisements qu’elle partage avec d’autres majors (Texaco, Chevron, Exxon, Statoil). Elle a investi 460 millions de dollars pour l’exploitation du champ d’Agbami, dans le Delta du Niger, qui sera opérationnel dès 2008, et plus de 960 millions pour exploiter celui d’Akpo. En Angola, où elle produit déjà, l’exploration du bloc 34, dans le bassin du Congo, atteint 2 500 mètres de profondeur.
Parallèlement, la compagnie est sur tous les fronts sud-américains, des débouchés naturels où se trouvent ses plus importants clients. L’Argentine est un solide partenaire. La firme y possède 26 blocs, dont 16 sont en production, et opère sur 23 % de ses réserves de gaz. Deux milliards de dollars sont investis au Venezuela dans la construction d’une raffinerie en partenariat avec la compagnie Petroleos de Venezuela (PdVSA). En Colombie, de nouvelles exploitations entreront en production dès 2007.
Géopolitique, pétrole et gaz n’étant jamais très éloignés, l’évolution du contexte sud-américain a toutefois contrarié certains chantiers, la question la plus sensible étant la décision du nouveau président bolivien, Evo Morales, de nationaliser le secteur des hydrocarbures et du gaz. Sur fond de slogan nationaliste – « Le pétrole et le gaz sont à nous ! » -, cette mesure, qui touche directement deux raffineries de Petrobras, a bien failli tourner à l’incident diplomatique, le gouvernement bolivien refusant de verser une quelconque contrepartie financière à sa prise de contrôle. L’enjeu est géostratégique. Deuxième pays d’Amérique latine par les réserves après le Venezuela, la Bolivie partage également sa plus grande frontière avec le Brésil. Accusée de percevoir des « revenus inadéquats et irrationnels » et d’« impérialisme », l’entreprise brésilienne, qui a déjà investi plus de 1 milliard de dollars, opère sur 46 % des réserves de gaz et raffine presque la totalité de la production pétrolière du pays. En outre, le Brésil importe quotidiennement 30 millions de m3 de gaz bolivien, soit la moitié de sa consommation.
La décision de La Paz de prendre possession des raffineries via l’entreprise publique Yacimientos Petrolíferos Fiscales Bolivianos (YPFB) devait intervenir fin octobre, conformément au décret de nationalisation accordant cent quatre-vingts jours aux entreprises étrangères pour renégocier leurs contrats. La ligne de défense de Brasília est de maintenir la légalité des siens, qui courent théoriquement jusqu’en 2019, tout en faisant pression pour dénoncer le caractère « unilatéral » de la nationalisation. « La patience dans les relations internationales a ses limites », avait même prévenu le président brésilien en s’adressant à son homologue. Une tension qui, au final, a précipité la démission du ministre bolivien des Hydrocarbures, Soliz Rada. Les moyens de tempérer, voire d’infléchir la position bolivienne semblent avoir porté leurs fruits. Petrobras a menacé de quitter le pays et de ne plus y investir un seul cent Or, techniquement, la Bolivie n’est pas en mesure d’exploiter elle-même son potentiel énergétique, le Brésil contribuant à la formation de son PIB à hauteur de 18 %. De fait, fin octobre, seules les négociations sur les conditions d’exploitation des ressources pétrolières et gazières avaient avancé, Petrobras s’engageant à acquitter davantage de taxes. Pour sa part, le dossier ultrasensible des raffineries fera l’objet de négociations ultérieures. Motif d’optimisme pour Petrobras : « Les entreprises brésiliennes sont importantes pour la Bolivie », a souligné le président Morales.
Enfin, pour accompagner son essor, la firme brésilienne mise résolument sur la diversification. Et de quelle manière, puisqu’elle est un acteur internationalement reconnu dans la production et la généralisation des biocarburants. En pointe sur les énergies de substitution, le Brésil parie depuis longtemps sur ce type de carburants, en particulier l’éthanol, un dérivé de la canne à sucre, du blé, ou de la betterave. Cette culture à l’avantage écologique évident réduit de 95 % les rejets de dioxyde de carbone et permet parallèlement de stimuler l’agriculture, dont les exportations souffrent du renchérissement structurel du real face au dollar. Une loi inspirée par le président Luiz Inácio Lula da Silva obligera d’ailleurs à coupler systématiquement ce biocarburant au gazole à partir de 2008.
Dans cette filière, la grande victoire de Petrobras est la mise au point, en 2005, du « HBio ». Ce carburant non polluant, obtenu à partir de l’huile de soja ou de colza, présente les mêmes caractéristiques moléculaires que le gazole et émet une très faible quantité de dioxyde de soufre. L’étape industrielle a été franchie avec succès ; 256 000 m3 d’huile de soja seront produits en 2007 et 425 000 en 2008, principalement dans les raffineries des États du Sud (Minas Gerais et Rio Grande do Sul). À terme, l’objectif est d’exporter ce carburant propre dans des pays en développement. Des recherches sont en cours à partir d’autres végétaux, comme le ricin ou le palmier.
Malgré des investigations poussées sur une technologie d’avenir, la firme brésilienne, comme toutes les compagnies pétrolières, n’échappe pas aux critiques de nombreux détracteurs en tête desquels les associations de défense de l’environnement, le monde paysan, les communautés villageoises et indigènes. Celles-ci ne manquent pas de pointer les activités effectuées dans des zones écologiquement fragiles ou de condamner une tendance hégémonique en Amérique latine. Régulièrement épinglée, Petrobras a fait l’objet l’an dernier d’un brûlot signé par une équipe de journalistes et de chercheurs brésiliens, publié par la Fédération des organisations pour l’assistance sociale et l’éducation (Fase). Cet ouvrage, Petrobras : intégration ou exploitation ?, évoque une violation des législations environnementales pour mieux explorer des sites naturels protégés, à l’exemple du parc national Yasuni, en Équateur. En Colombie, l’entreprise est accusée de forer à proximité de la source de plusieurs fleuves. En Bolivie, des pollutions multiples ont été décelées dans les nappes phréatiques. Au Pérou, l’exploitation de gisement de gaz s’effectue à proximité de réserves indigènes au risque de mettre en danger l’équilibre de ces régions. Les exemples abondent. Plus globalement, la major brésilienne est régulièrement épinglée pour les pollutions qu’elle provoque et de nombreux accidents fatals à ses salariés. En 2000, 1 million de litres de brut se sont déversés dans la baie de Guanabara, à Rio de Janeiro. L’incident le plus dramatique s’est produit en mars 2001 avec le naufrage d’une plate-forme en haute mer suite à l’explosion de l’un de ses flotteurs. Un accident au cours duquel onze ouvriers ont péri et qui poussera Henri Philippe Reichstul à la démission. Une enquête gouvernementale avait alors jugé sévèrement la « course au profit » de Petrobras…

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