Chokri Ghanem

Président de la National Oil Company (NOC), la compagnie pétrolière nationale, et ancien Premier ministre libyen

Publié le 27 novembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Remercié lors du remaniement ministériel du mois de mars dernier, Chokri Ghanem, l’ancien Premier ministre libyen, avait mené durant trois ans – non sans susciter de vives oppositions – une série de réformes d’inspiration libérale : suppression des licences d’importation, disparition de monopoles publics, ouverture au secteur privé, baisse des tarifs douaniers, unification des taux de change…
En guise de lot de consolation, il s’est vu confier la présidence de la National Oil Company (NOC), la puissante compagnie pétrolière nationale. Il est vrai que cet économiste de formation est un spécialiste des hydrocarbures. Longtemps administrateur de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), à Vienne, il a, par la suite, été à l’origine d’un nouveau type d’appels d’offres internationaux baptisé Epsa IV (Exploration & Production Sharing Agreement), dont deux rounds se sont achevés en janvier et en septembre 2005. Jusqu’à tout récemment, en l’absence de titulaire du poste, il faisait office de ministre du Pétrole. À ce titre, il a supervisé le lancement du troisième round Epsa IV, le processus de vente de la filiale Tamoil Europe (distribution et raffinage), la fermeture de deux centrales d’achat européennes et une réorganisation du secteur.
C’est pourquoi la création, au mois de septembre, d’un Council of Oil & Gas (Conseil pour les affaires pétrolières et gazières, Coga) a suscité certaines interrogations. Présidée par Baghdadi Mahmoudi, le chef du gouvernement, cette instance regroupant tous les ministres « économiques » est en effet appelée à coiffer la NOC. Que faut-il en conclure ? Joint par téléphone, Chokri Ghanem s’en explique.

Jeune Afrique : Comment jugez-vous l’évolution des activités de la NOC avant votre arrivée ?
Chokri Ghanem : Pendant longtemps, la politique du gouvernement s’est bornée à tenter d’améliorer les performances des compagnies nationales, NOC comprise, et des administrations. Par la suite, nous nous sommes efforcés de promouvoir davantage de transparence et de compétition en ouvrant les portes à l’investissement étranger, notamment à travers les deux rounds d’Epsa IV. Les compagnies américaines, absentes de Libye pendant toutes les années d’embargo, sont également revenues. Au total, plus de trente nouvelles compagnies se sont installées. Cela représente beaucoup d’investissements. Nous poursuivons cette politique de transparence avec le lancement d’un troisième round d’appel d’offres. Plusieurs blocs seront ainsi attribués le 20 décembre.
On parle d’un possible report de ce troisième round
Non, non, mille fois non ! Je puis vous assurer qu’il n’y a aucune chance pour que cela se produise. Sauf si nous ne sommes plus de ce monde.
Certains opérateurs s’inquiètent de la création du Coga
L’opération a été largement mal comprise. L’objectif du Coga est d’assister la NOC, pas de lui mettre des bâtons dans les roues. Les décisions qui étaient auparavant prises par le Comité général du peuple [Conseil des ministres] le seront désormais par la nouvelle instance, qui n’a d’ailleurs pas de rôle exécutif, mais essentiellement consultatif. Elle émettra des avis, donnera des conseils, mais elle n’est pas censée se substituer à la NOC.
Cela ne va-t-il pas vous compliquer la tâche ?
Non, pas du tout, elle est déjà assez compliquée comme ça ! La vérité est qu’elle va s’en trouver clarifiée.
Le prochain round pétrolier sera-t-il différent des précédents ?
Il ne sera pas très différent, mais notre décision d’attribuer tel ou tel marché ne sera plus uniquement fondée sur la part de la production revenant à la NOC. Elle prendra en compte des critères comme la réalisation d’infrastructures, le bonus [« ticket d’entrée » pour l’octroi d’un permis d’exploration] ou le nombre de puits à forer.
Lors du dernier round, certaines compagnies se sont vu attribuer des blocs avec une part de la production extrêmement faible : 8 %, contre 92 % pour la NOC. Que se passera-t-il si l’une d’elles découvre du pétrole, mais n’a pas les moyens de développer le projet dans de telles conditions ?
Tout cela, c’est de la spéculation. Nous y penserons lorsque le cas se présentera. Je doute que les compagnies, petites ou grandes, qui investissent de l’argent dans des forages ou d’autres opérations en Libye aient oublié de faire des études de faisabilité. Vous imaginez bien qu’elles ont envisagé toutes les conséquences de leur engagement. Celles qui ont choisi de concourir avec une très faible marge ne sont pas venues simplement pour mettre de l’argent afin de remporter un marché, tout en sachant qu’elles n’auront pas les moyens d’assumer. Vous estimez qu’un pourcentage de 8 %, c’est peu, mais, croyez-moi, l’opération reste rentable.
Où en est la vente de Tamoil ?
Nous touchons au but. La préqualification a eu lieu, les data rooms [séances de remise d’informations] vont s’ouvrir. Nous en sommes à négocier les détails.
La rumeur selon laquelle Carlyle aurait remporté le contrat est donc fausse ?
Il ne s’agit pas de rumeurs. Carlyle fait bel et bien partie des compagnies avec lesquelles nous négocions. Mais rien n’est fait. Nous ne sommes pas loin d’un deal, mais je ne souhaite pas vous en donner la date précise.
Quels investissements envisagez-vous en aval ?
Nous négocions avec plusieurs compagnies la remise à niveau de nos cinq raffineries. La Libye ayant l’avantage d’être géographiquement proche de l’Europe, nous allons créer des joint-ventures avec des compagnies prêtes à investir et à faire du transfert de technologie. Cela vaut aussi pour la modernisation de nos usines pétrochimiques [éthylène, polyéthylène, etc.] et pour les unités de la Sirte Oil Company [ammoniac, méthanol, urée]. Pour les raffineries, le montant de l’investissement pourrait atteindre 7 milliards de dollars. Le chiffre sera d’environ 3 milliards pour la pétrochimie et compris entre 2 milliards et 3 milliards pour la Sirte Oil.
La Libye a-t-elle une stratégie gazière ?
Oui, bien sûr. Nous disposons d’ores et déjà d’un gazoduc sous-marin capable d’acheminer 10 milliards de m3 par an vers l’Italie. Mais il nous reste encore de nombreux projets à développer. C’est pourquoi nous allons prochainement créer au sein de la NOC un département spécialement consacré à l’exploration du gaz, à sa production et, bien sûr, à la construction de gazoducs. Nous construisons également un tronçon de gazoduc entre le complexe de GNL de Marsah el-Brega [180 km à l’ouest de Benghazi] et Mellita [sur la côte, à 80 km à l’ouest de Tripoli]. À côté de notre gazoduc vers l’Italie, un autre grand gazoduc est donc en construction. Nous sommes désormais en mesure d’alimenter nos centrales électriques, nos usines de ciment et notre industrie sidérurgique avec du gaz plutôt que du fuel. Une nouvelle centrale électrique devrait par ailleurs être construite à Ras Lanuf. Il y a un mois, nous avons commencé à produire sur le champ de Tahaddi, à raison de 250 millions de pieds cubes [soit 7 millions de m3 par jour]. Nous voulons découvrir, produire et exporter davantage de gaz.
De nouvelles privatisations vont-elles avoir lieu ?
Oui, nous sommes en train de privatiser la distribution du pétrole et du gaz. Sont concernées la grande compagnie appelée Brega [stations-service], mais également une société de catering [restauration] et une compagnie de forage. Nous sommes en train d’en discuter, mais ces privatisations seront réservées à des investisseurs libyens. Nous espérons parvenir à des résultats plus concrets avant la fin de l’année.

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