Srebrenica : massacre programmé

D’après deux ex-officiers bosno-serbes jugés à La Haye, les prisonniers musulmans de la ville martyre ont été exécutés sur ordre de Ratko Mladic.

Publié le 27 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

Huit ans après le massacre, près de Srebrenica, en Bosnie-Herzégovine, de sept mille Bosniaques musulmans – hommes, femmes et enfants -, le témoignage de deux officiers serbes de Bosnie devant le Tribunal pénal international (TPI) de La Haye n’a laissé aucun doute sur la manière dont la tuerie a été préparée et organisée. Les deux hommes, dont la déposition s’est prolongée sur une semaine, avaient déjà plaidé coupable de crimes contre l’humanité.
Le premier, Momir Nikolic, 48 ans, ancien professeur de mathématiques, était le chef des services de renseignements de la brigade de Bratunac. Le second, Dragan Obrenovic, commandait la brigade. Ils étaient tous les deux sous les ordres du général Ratko Mladic, et payés par la Serbie.
Le compte à rebours de l’opération Srebrenica commença en juin 1994. L’enclave était alors sous la protection des Casques bleus de l’ONU. La brigade reçut une directive où il était dit explicitement : « Il faut rendre la vie de l’ennemi insupportable et son séjour dans l’enclave impossible de sorte qu’il l’évacue en masse sans tarder, convaincu qu’il n’a aucune chance de survie. » Toute aide aux civils fut coupée, et les Casques bleus furent privés de vivres, de munitions et de carburant afin d’être « mis hors de capacité de combattre ». Le harcèlement dura jusqu’en mai 1995. Les troupes serbes de Bosnie, aidées par la police militaire serbe et des combattants volontaires venus de Serbie, préparèrent à ce moment-là l’assaut final : il eut lieu le 11 juillet.
« On s’attendait à ce que les forces musulmanes opposent une farouche résistance, a indiqué Nikolic, mais de résistance, il n’y en eut aucune. » Des milliers de civils tentèrent de se réfugier à la base des Nations unies à Potocari. Vainement. Le lendemain 12 juillet, à l’aube, au quartier général de la brigade de Bratunac, le général Mladic annonça son intention de liquider les prisonniers. Nikolic apprit la décision de l’un de ses supérieurs, le colonel Vujadin Popovic. « Il m’a dit que les femmes et les enfants devaient être expédiés à Kladanj, et les hommes gardés à part, a raconté Nikolic. Tous les balija [les musulmans] seraient abattus. Mon rôle était de coordonner les opérations. »
Ordre fut donné de rassembler les prisonniers à Bratunac, dans des écoles, un gymnase et un hangar. Puis de chercher des endroits où ils seraient exécutés, dont une usine de briques et une mine. Dans la journée du 13 juillet, Nikolic assista à une réunion où Mladic déclara à plusieurs centaines de musulmans qu’on était en train d’organiser leur transport. Plus tard, félicité par Mladic, Nikolic lui demanda ce qu’on allait en faire maintenant. Le général eut un geste d’empereur romain au bord de l’arène : le poing droit fermé, le pouce en bas. Ce même jour, il ordonna que les exécutions n’aient pas lieu à Bratunac, mais à Zvornik, à une quarantaine de kilomètres de là.
L’autre témoin, Dragan Obrenovic, a corroboré les déclarations de Nikolic. Devenu commandant de la brigade de Zvornik, il reçut l’ordre de se préparer à recevoir trois mille prisonniers. Comme il demandait pourquoi ils étaient envoyés à Zvornik plutôt que dans le camp de Batkovici, on lui répondit qu’il fallait les cacher à la Croix-Rouge et aux Casques bleus. Avant de les exécuter, comme le voulait Mladic. « Que pouvais-je faire d’autre ? J’avais peur », a-t-il expliqué au procureur du TPI.
Aux premières heures de l’aube, le 14 juillet, a raconté Nikolic, « j’ai vu un immense convoi partir de Bratunac en direction de Zvornik, avec à sa tête un véhicule blindé blanc de l’ONU volé aux Casques bleus et occupé par des policiers et des militaires serbes de Bosnie ».
Ni Obrenovic ni Nikolic n’assistèrent directement aux exécutions qui eurent lieu à Zvornik et durèrent quatre jours. Mais ils étaient parfaitement au courant. Obrenovic fut chargé d’organiser des équipes de fossoyeurs pour creuser des fosses communes. Nikolic, en septembre, participa aux opérations d’exhumation des cadavres, qui furent ensuite réenterrés dans des lieux secrets.
Les confessions comme celle de Nikovic sont rares au TPI de La Haye, où les inculpés ont plutôt tendance à tout nier ou à fanfaronner. Accusé de mensonge à propos de son témoignage sur Srebrenica par l’avocat d’un autre Serbe de Bosnie, parce qu’il avait faussement prétendu avoir participé à un autre massacre, il a expliqué qu’il s’était « chargé » par une sorte de fuite en avant, en pensant que c’était un moyen d’éviter qu’on lui reparle de cette période qui le « hantait ».
À un avocat de la défense, Michael Karnavas, qui lui demandait pourquoi il n’avait pas invoqué la convention de Genève, Nikolic a répliqué : « Croyez-vous vraiment que des gens qui ont entrepris de massacrer sept mille personnes se soucient de la convention de Genève ? »

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