Soros, de Gaulle, Mahathir …

Publié le 27 octobre 2003 Lecture : 5 minutes.

Trois hommes très connus ont encore fait parler d’eux cette semaine. Il se trouve que l’un est juif, l’autre chrétien, mais nous a quittés il y a trente-trois ans, et le troisième musulman.

George Soros. Ses parents, juifs hongrois, ont échappé par miracle, en 1944, à la persécution hitlérienne, et son pays d’origine a vécu par la suite sous le joug de Staline (et de ses successeurs).
Devenu américain et grand financier, il a amassé une des plus grosses fortunes du monde en spéculant, notamment, sur les grandes monnaies. En un seul coup, et qui a fait sa célébrité, il a gagné 1 milliard de dollars en pariant sur la dévaluation de la livre sterling.
Depuis, il gère ses gains et l’argent des autres, ce qui lui permet de continuer à s’enrichir tout en faisant gagner 30 % par an à ceux qui lui confient leur fortune.
Pour se faire pardonner, pour montrer qu’il n’a pas oublié ses origines, il est devenu philanthrope et a aidé la Hongrie et les autres pays d’Europe de l’Est en utilisant l’Open Society Institute, qu’il a fondé en 1987.
Aujourd’hui, il rayonne sur une galaxie de trente-trois fondations, dont l’une en Afrique du Sud et l’autre en Haïti ; il leur verse plusieurs centaines de millions de dollars par an, prélevés sur ses bénéfices.

la suite après cette publicité

Cet homme qui se veut désormais philosophe du capitalisme et censeur de ses excès (il a écrit plusieurs livres sur le sujet) va faire une entrée fracassante en politique : dans une ou deux semaines, il partira en guerre contre George W. Bush et sa politique, dont il dit plus de mal que vous n’en avez lu dans ce journal.
Écoutez :
« J’ai vécu les dictatures allemande et soviétique et, par conséquent, lorsque j’entends le président Bush dire « ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous « , une alarme sonne dans ma tête et je pense à ce que disaient les dirigeants de l’URSS aux démocraties populaires : « Vous êtes libres tant que vous faites ce que nous vous disons de faire. » »
« La manière dont Bush et son administration ont exploité le 11 septembre 2001 et la direction dans laquelle ils conduisent le monde m’amènent à penser que nous ne sommes plus dans une situation normale. »
« Il ne s’agit plus d’une crise du capitalisme, comme je l’ai écrit dans un de mes livres, mais d’une recherche de domination du monde, qui a pour prétexte la lutte contre le terrorisme. »
« La trop rapide et trop facile victoire militaire des États-Unis en Irak les a renforcés dans l’idée, fausse et dangereuse, que, dotés d’une puissance militaire sans équivalent, ils peuvent viser et atteindre leurs objectifs internationaux par la force. »
À 73 ans, et fortune faite, George Soros a décidé de mettre son intelligence et ses moyens financiers à la disposition du candidat démocrate capable de battre George W. Bush à l’élection de novembre 2004.
À suivre.

Le deuxième homme dont je voudrais vous reparler est un des plus grands du XXe siècle : Charles de Gaulle, mort le 9 novembre 1970. L’occasion m’en est donnée par le De Gaulle, mon père (567 pages, édité par Plon à Paris), un livre d’entretiens entre son fils, l’amiral Philippe de Gaulle, et Michel Tauriac, lui-même écrivain et journaliste de grande qualité.
Le livre apprend beaucoup, même à ceux qui ont énormément lu sur de Gaulle, et, surtout, rectifie ce qu’on croit savoir. C’est, en quelque sorte, de Gaulle vu par un autre lui-même, qui l’aime, et qui, aussi honnête et lucide qu’il s’efforce d’être, ne peut s’empêcher de magnifier ses qualités.
L’Algérie et l’Afrique subsaharienne sont très présentes dans ce témoignage, dont nous publierons des extraits dans une prochaine livraison.
Pour vous en donner un avant-goût, j’ai cueilli ceci :
Sur l’Algérie
« Il pensait qu’il était trop tard pour que ce pays s’intègre à la France, qu’il aurait fallu le faire avant la guerre ou, à la rigueur, tout de suite après. »
« En juin 1958, m’a-t-il confié, je me suis dit : pourquoi ne pas essayer de miser sur la victoire militaire contre le FLN, sur la promotion à la citoyenneté entière de tous, sur le plan de Constantine, etc. ? Mais, au bout de dix-huit mois, je me suis aperçu qu’on ne parviendrait plus à faire basculer les Arabes de notre côté. »
Sur l’Afrique subsaharienne
« Elle a beaucoup de chemin à faire, car je crains qu’elle ne soit plongée dans une guerre civile permanente qui durera peut-être plus d’un siècle. »
« Les pays africains vont se battre entre eux, répétait-il, car les frontières sont complètement arbitraires. Le colonisateur les a figées, mais une fois qu’il a disparu, les réalités ethniques reprennent le dessus. »

Mon troisième homme est Mahathir Bin Mohamad. Premier ministre de Malaisie depuis vingt-deux ans, il quitte volontairement sa fonction dans une semaine.
Nous vous en dirons plus sur lui dans notre prochain numéro, car sa performance mérite les nombreuses pages que nous allons lui consacrer.
Mais est-il l’antisémite qu’ont vilipendé cette semaine les plus grands journaux d’Europe et d’Amérique, et, à leur suite, des hommes politiques qu’on pouvait croire hommes d’État ?

Je ne le connais pas, mais j’ai lu des centaines de pages de lui et sur lui. Et j’ai lu dans son intégralité le discours dans lequel se trouvent les propos qui lui ont valu d’être accusé d’antisémitisme, ce que n’ont pas fait, faute de temps, la plupart de ceux qui se sont empressés de protester contre ces propos.
Je crois pouvoir dire ceci :
1. Les très bons journalistes qui ont entendu son discours sur place, dont Jean-Claude Pomonti, correspondant du Monde, n’ont pas parlé d’antisémitisme.
2. Un grand journaliste français (et juif), Alexandre Adler, a écrit dans Le Figaro que, pour Mahathir Bin Mohamad, « les juifs sont une sorte de Chinois particulièrement redoutables bien qu’ils ne disposent pas du même arrière géopolitique que « les fils du ciel » ». Ce jugement me paraît frappé au coin du bon sens.
3. Les Asiatiques, dont fait partie Mahathir Bin Mohamad, comme les Subsahariens, n’ont pas de contentieux direct avec les juifs.
4. La relation historique et religieuse entre juifs et musulmans est moins lourde de contentieux que celle entre juifs et chrétiens.
Ce ne sont pas les musulmans qui se sont rendus coupables de l’Holocauste. Ni, d’ailleurs, les chrétiens, mais des chrétiens ou des gens issus de la chrétienté.
5. Le conflit israélo-arabe, vieux de plus d’un demi-siècle, pollue les relations entre ces deux communautés et, au-delà, entre islam et judaïsme, mais ne fait pas, heureusement, de chaque musulman un antijuif, ni de chaque juif un antimusulman.

la suite après cette publicité

J’en conclus qu’un homme de l’âge, de l’envergure et de l’expérience de Mahathir Bin Mohamad ne doit pas être taxé à la légère d’antisémitisme sur la base de trois phrases tirées hors de leur contexte par des journalistes trop pressés.
Le combat contre l’antisémitisme, et plus généralement contre le racisme, est une chose trop sérieuse pour laisser à des politiciens en mal de popularité et à des journalistes peu conscients du poids des mots la possibilité de l’instrumentaliser.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires