Pulsions impériales

Publié le 27 octobre 2003 Lecture : 2 minutes.

La pensée de William Safire, le très influent, très conservateur et très pro-israélien columnist du New York Times, donne parfois le vertige. En tout cas, l’éditorial que, le 16 octobre, il a consacré à la Syrie, ce chef de file du « refus arabe » à la politique américaine en Irak et au Moyen-Orient, mériterait de rester comme un morceau d’anthologie.
La clé de voûte de sa démonstration est que les États-Unis « ont le droit de se défendre ». Sans doute, mais contre qui ? Oussama Ben Laden et ses fanatiques ? Oui, assurément, mais la traque du chef d’el-Qaïda se révélant un peu plus difficile que prévu, tout se passe comme s’il fallait absolument trouver un ennemi de substitution. Saddam Hussein, en son temps, joua le rôle avec conviction. Depuis sa chute, les faucons du Pentagone ont le regard obstinément tourné du côté de Damas et de Téhéran…
Bachar el-Assad doit être le premier surpris de découvrir qu’il menace si peu que ce soit l’hyperpuissance américaine, mais c’est ainsi : il ne s’oppose pas comme il le devrait aux allées et venues sur son territoire des terroristes baasistes et/ou islamistes. Pis, selon Safire, il jugerait que « l’intérêt stratégique de la Syrie est d’encourager la guérilla contre la coalition et le gouvernement irakien en gestation ». Mais les forces américaines, qui disposent sur le terrain de 140 000 hommes surentraînés et suréquipés, ne sont-elles pas, elles aussi, incapables de s’opposer aux infiltrations des poseurs de bombes ? Et ces derniers ne transitent-ils pas aussi volontiers par la Jordanie, ce grand allié de l’Amérique, que par la Syrie ? Tout cela ne tient pas debout, mais c’est sans importance : le monde entier est fermement invité à se plier à la volonté de William Safire et de ses amis.
Le FMI, par exemple, devrait, paraît-il, exiger le remboursement des 3 milliards de dollars d’argent sale prétendument déposés par Saddam Hussein dans les banques syriennes. La Turquie, la Jordanie et l’Irak (désormais américanisé) seraient bien inspirés de réduire au strict minimum leurs relations commerciales avec leur voisin, aggravant ainsi les sanctions prévues par le Syrian Accountability Act. Les Nations unies ne feraient que leur devoir en votant une résolution très contraignante pour exiger le retrait des troupes syriennes du Liban, tandis que le pape devrait quand même songer à s’opposer avec plus de vigueur à « l’oppression » des chrétiens maronites. Quant aux Européens, Safire comprend mal qu’ils s’obstinent à ne rien faire pour enrayer le trafic de cocaïne dans la vallée de la Bekaa…
Sans doute ce réquisitoire est-il largement inspiré par des considérations de politique intérieure. Il témoigne de l’âpreté de la lutte d’influence engagée entre le Congrès et l’administration Bush, d’une part, les « faucons » du Pentagone, et les « colombes » du département d’État, de l’autre. Il n’empêche : rarement les pulsions impériales de l’Amérique se seront exprimées avec autant de brutalité que sous la plume de William Safire !

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