Proclamation de la République turque

Publié le 27 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

« Mon pacha, sois heureux, voilà une bonne chose pour la nation ! » lance Mustapha Kemal à Ismet Inönü, son fidèle second. Quelques instants plus tôt, ce 29 octobre 1923, à 20 h 30, les députés réunis à Ankara se sont prononcés en faveur de l’instauration de la République. Non sans réticences : on n’abandonne pas facilement un système politique vieux de cinq siècles, fût-il déliquescent ! Et pourtant, quinze années suffiront à Mustapha Kemal pour construire, sur les décombres de l’Empire ottoman, un État moderne, ouvert sur l’Occident et respecté dans le monde.
Mais avant de devenir « Atatürk » (le « père des Turcs »), Kemal fut le « Gazi » (le « Victorieux »), celui qui refusa la défaite et sut changer le cours du destin.
En 1914, le sultan Mehmet VI et le gouvernement jeune-turc font le mauvais choix en se rangeant aux côtés des puissances de l’Axe (Allemagne et Autriche-Hongrie). D’« homme malade de l’Europe », l’Empire ottoman devient la bête noire des Alliés. Le Royaume-Uni et la France le mettent en coupe réglée et favorisent les prétentions territoriales de la Grèce et de l’Italie. Insupportable pour tout patriote, a fortiori pour Mustapha Kemal, ce brillant officier qui a mis les Britanniques en échec aux Dardanelles, en 1915, et a été promu général ! Démissionnaire de l’armée, il réunit un Congrès national à Sivas (centre du pays), regroupe ses partisans autour d’Ankara, organise des élections dans les régions sous son contrôle et se fait élire chef du gouvernement par une Grande Assemblée nationale.

Désormais, c’est Kemal le rebelle qui aura la faveur du peuple, et non le pusillanime Mehmet VI, réfugié sur un navire de guerre britannique. Car le général refuse les clauses particulièrement humiliantes du traité de Sèvres, signé le 10 août 1920. Ce dernier attribue Smyrne et la Thrace orientale à la Grèce, la région d’Antalya à l’Italie et la Cilicie à la France. Il prévoit aussi la création d’un État arménien et d’un Kurdistan autonome, et la neutralisation des Détroits.
Doté de pouvoirs quasi dictatoriaux, Mustapha Kemal inflige de cuisantes défaites aux Grecs, les forçant, avec les Britanniques, à conclure un armistice (octobre 1922). Et il finit par obtenir le traité de Lausanne (24 juillet 1923), qui annule le précédent et permet à la Turquie de récupérer les Détroits, Istanbul et son arrière-pays européen, ainsi que toute l’Anatolie.
Fort de son prestige, Kemal en profite pour abolir le sultanat. Mais la révolution kémaliste va plus loin : fasciné par la France républicaine et jacobine, et persuadé que le déclin turc a été favorisé par l’omniprésence d’un islam rétrograde, il pousse la société sur la voie de la laïcité et de l’Occident.

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Il emprunte à la Suisse son code civil, à l’Italie son code pénal, à l’Allemagne son code du commerce. Puis il dissout les congrégations et, en 1924, abolit le califat. Le port du voile est interdit et la casquette à visière remplace – symboliquement – le fez traditionnel. À l’alphabet arabe, jusque-là utilisé pour retranscrire le turc, succède l’alphabet latin. Le calendrier grégorien et le repos du dimanche deviennent la norme. Kemal instaure l’égalité des sexes, interdit la polygamie et accorde le droit de vote aux femmes en 1934. Industrialisation, instruction obligatoire, l’oeuvre est considérable. Elle a profondément bouleversé une société traditionnelle et musulmane.
La démocratie, elle, s’est fait attendre : à la mort d’Atatürk, en 1938, un seul parti avait droit de cité. Même après l’instauration du multipartisme, en 1946, les militaires n’ont pas hésité à intervenir directement à chaque fois qu’ils estimaient les principes républicains en danger. De réformateur à l’origine, le kémalisme, culte de la personnalité aidant, s’est peu à peu figé en dogme. Il reste toujours aussi fascinant.

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