Axelle Jah Njiké : « Je milite pour le droit des femmes à disposer de leur sexe au sens propre comme au figuré »
Pour l’auteure franco-camerounaise, Axelle Jah Njiké, à l’origine du blog Parlons plaisir féminin, le féminisme doit d’abord passer par l’intime. Une question politique qui irrigue les rapports entre les individus.
Camerounaise d’origine, installée à Paris depuis l’enfance, Axelle Jah Njiké n’est pas là où l’on attend une femme et encore moins une femme noire. Depuis 2015, elle blogue sur la sexualité féminine, ou plus exactement sur le plaisir féminin en alimentant sa plateforme de chroniques, fragments littéraires, revues de presse… Alors qu’elle n’est qu’une fillette, cette boulimique de littérature dévore l’espace jeunesse de sa bibliothèque de quartier, puis les rangées littéraires réservées aux adultes.
Elle tombe sur Sexus d’Henri Miller et en vient naturellement à découvrir sa muse Anaïs Nin, auteure de Venus Erotica. Axelle a douze ans. « La littérature érotique m’a sauvée la vie », affirme celle qui a été victime de viol à l’âge de 11 ans dans la maison qui l’a vue grandir. « Elle m’a permis de me réapproprier mon intimité, ma sensorialité et ma sexualité », analyse-t-elle. La révélation, elle la trouvera également du côté de l’auteure africaine-américaine, Maya Angelou, et son autobiographie Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage, où il est question pour l’écrivain d’affronter ses traumatismes, dont le viol, à travers le processus littéraire. L’identification est toute trouvée.
Un féminisme incarné
Axelle peut s’en sortir et devenir quelqu’un, « écrivain, comme [son] icône, mère, amante, activiste », maître de son corps. De cette initiation livresque, elle accouchera quelques années plus tard de l’œuvre collective, Volcaniques, une anthologie du plaisir. Un recueil de nouvelles emmené par l’écrivain franco-camerounais Léonora Miano, donnant la parole à onze auteures « afropéennes » sur les questions du corps féminin et de la sensualité. « Les gens n’ont pas compris, vu ma culture, comment je pouvais me permettre d’écrire de la littérature érotique. Il a fallu que je raconte mon histoire pour expliquer comment j’en étais arrivée là », explique la blogueuse.
Pour elle, il n’est pas question d’exhibitionnisme « mais d’un vœu d’authenticité », envers ses lecteurs. « Je ne suis pas un concept. Le féminisme doit être incarné, et il l’est pour moi à travers l’histoire de mes parents », détaille celle qui admire le féminisme « super concret » des Sud-Américaines et des Africaines comme Chimamanda Ngozi Adichie.
Entre deux extraits de Fleurs du désert de la Somalienne Waris Dirie, et de King Kong Theorie de la Française Virginie Despentes, Axelle raconte l’histoire de sa mère, de son mariage forcé et de son rapport à la sexualité, laquelle « ne lui a jamais appartenue ». Mais aussi de la décision qu’elle a prise, des années d’ « empêchements » plus tard, de « choisir enfin l’amour » malgré la pression sociale et culturelle. « Je voulais aussi incarner les possibles. Pour moi-même, ma fille de 25 ans, et pour d’autres jeunes femmes ».
Derrière la question de la sexualité, il y a, bien sûr, celle de l’amour. A commencer par l’amour de soi. «Dans la communauté afro, le groupe prévaut sur l’individu. C’est encore plus difficile pour les femmes. Nous sommes conditionnées à faire passer les besoins des autres avant les nôtres, note-elle.
Là où le féminisme est compliqué dans les communautés noires, c’est qu’il nous oblige à nous affirmer en tant que personne, quitte à remettre en question ce qu’il se passe dans notre propre cellule familiale : la première révolution est à faire à l’intérieur et non à l’extérieur pour ne plus être perçue comme l’épouse de, la sœur ou encore la mère de », assure-t-elle.
Un féminisme « païen » et inclusif
A 45 ans, Axelle Jah Njiké est sans doute la seule auteure noire à s’emparer des questions de sexualité féminine sur la toile. « Nous, les Noirs, sommes circonscrits aux questions liées à la discrimination et au racisme. On n’existe pas en dehors de cela et on refuse d’aller sur les autres sujets comme la parentalité, le couple et le sexe », observe-t-elle.
Héritière du courant féministe des années 70 impulsé par le mouvement de libération des femmes (MLF) en France, elle refuse pourtant – même si elle partage les idées – de s’enfermer dans une pensée théorique. C’est dans l’expérience, l’observation empirique, que celle qui a quitté l’école à 17 ans, puise sa réflexion.
Consciente de son intersectionnalité – en tant que femme noire, elle est à la fois sujette au racisme et au sexisme – elle n’en n’est pas moins plus proche du mouvement afro-féministe porté par les Afrodescendantes de France issues de la génération Y. Cette « féministe païenne » autoproclamée préfère défendre un féminisme « universel et inclusif, basé sur des valeurs communes ». Sur son blog, tout le monde s’y retrouve. Parce qu’elle fonde toute sa réflexion sur « la chair et le corps ».
« Dans le propos politique sur le féminisme, on ne parle pas assez de l’intime. Pour moi, la bataille a lieu là. Je milite viscéralement pour le droit des femmes à disposer de leur sexe au sens propre comme au figuré. Cette question-là irrigue tous nos propos et nos rapports », justifie-t-elle. D’où la bataille qu’elle mène contre l’excision, qui n’est, selon elle, qu’une privation du plaisir féminin au profit de celui de l’homme, via la Fédération GAMS, dont elle est administratrice.
Mais aussi sur son blog où elle s’évertue à informer et sensibiliser son public. « On est déficients en matière de transmission de l’intime. Pourtant notre communauté souffre énormément en termes de violence sexuelle et conjugale ». Et de poursuivre « si on parvient à comprendre comment on construit nos relations intimes dans une société patriarcale et comment à l’échelle de la famille on reproduit le patriarcat, on pourra commencer à démanteler les choses ».
Assumer sa sexualité et son corps quand on est une femme noire en France, souvent sujette à des représentations fantasmées, n’est pas chose aisée. Pour Axelle Jah Njiké, il n’y a pas de miracle. Pour venir à bout de ces perceptions stéréotypées, se construire « en dehors du cercle familial et de l’appartenance culturelle sans avoir le sentiment de trahir ses pairs, il faut prendre la parole, même si c’est compliqué », recommande fermement celle qui travaille sur un projet de podcast sur l’intimité des femmes, en particulier des femmes noires, à paraître au courant du mois de mai prochain.
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