Huile de palme en RDC : face à Feronia, des communautés villageoises saisissent les banques de développement
Neuf villages congolais ont saisi le mécanisme de plaintes de la DEG, la banque de développement allemande qui a prêté des fonds à Feronia pour développer sa production d’huile de palme, suite à un litige foncier qui dure depuis la période coloniale. L’objectif : forcer les bailleurs à intervenir. Et faire jurisprudence.
Le 5 novembre, neuf communautés villageoises de RDC ont déposé plainte contre la société canadienne Feronia auprès du mécanisme de plaintes de la Banque de développement allemande (Deutsche Investitions- und Entwicklungsgesellschaft, DEG).
En cause, un litige foncier qui remonte à la période coloniale belge, les villageois estimant que les plantations et les usines de transformation d’huile de palme du canadien sont installées sur leurs terres et forêts traditionnelles, « les privant des moyens de nourrir et d’héberger leurs familles et de gagner leur subsistance », indique dans un communiqué le collectif d’ONG qui les soutient (Riao-RDC, Oxfam, SOS Faim, CCFD-Terre solidaire…).
Les terres concernées (plus de 100 000 hectares) font en effet partie d’une concession foncière d’un million d’hectares que l’administration coloniale belge avait octroyé à Lord Leverhulme, de Grande-Bretagne, en 1911.
Les terrains, devenus des plantations de palmiers à huile, sont ensuite passés sous le contrôle du géant multinational de l’alimentation Unilever avant d’être rachetés, en 2009, par Ravi Sood, tout juste sorti d’un investissement dans l’hévéa au Liberia. Ce financier canadien d’origine indienne crée alors Feronia et prend le contrôle de 76,2 % de Plantations et Huileries du Congo (PHC), l’ex-filiale d’Unilever. L’entreprise en détient désormais 83 %, suite d’une restructuration du bilan comptable, l’État congolais conservant les 17 % restant.
Conditions détériorées
« Avec les années, les communautés situées dans le territoire des concessions dont PHC prétend être le propriétaire ont cherché à reprendre le contrôle de leurs terres et ont demandé à négocier avec la société et les autorités gouvernementales pour définir les conditions que la société serait tenue de respecter pour pouvoir continuer ses activités », souligne le collectif d’ONG. Visiblement sans succès.
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« Certaines personnes venant de ces communautés travaillent sur les plantations, mais la grande majorité des emplois sont des postes de journaliers dont les salaires ne couvrent même pas le coût de la vie. La pauvreté et la malnutrition dans les communautés sont généralisées et sévères et les communautés affirment que les conditions se sont détériorées depuis que Feronia a pris le contrôle des plantations d’Unilever », pointent encore les ONG.
Ces démarches ayant été vaines, les villageois se sont tournés vers les banques de développement qui ont aidé l’entreprise à lever plus de 200 millions de dollars pour replanter 17 000 hectares d’un verger vieillissant et rénover ses trois usines.
Financement par les banques de développement
Au total, l’entreprise aura finalement levé plus de 200 millions de dollars pour 170 millions déjà investis. « Jamais nous n’aurions pensé que l’investissement requis serait aussi important ; nos plans initiaux tablaient sur un total de 50 millions de dollars », se souvient Ravi Sood.
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Pour soutenir cet effort, Feronia aura notamment pu compter sur l’appui des banques de développement. « Le britannique CDC (37,8 % du capital) a injecté 39,6 millions de dollars, le fonds African Agriculture Fund (auquel ont contribué l’agence de coopération espagnole AECID, le néerlandais FMO, le français Proparco et la Banque africaine de développement) 28,2 millions (19,54 % du capital) », écrivait ainsi Jeune Afrique en avril dernier.
Selon les ONG signataires du communiqué, ce consortium de banques de développement européennes est dirigé par DEG. « Étant donné [cette] participation significative et le lien direct entre le refus d’accès à la terre et la faim et la pauvreté dans les communautés, les banques de développement sont responsables des violations continuelles des droits humains et l’absence de résolution des conflits auxquels ces deux sont mêlées », assurent-elles, précisant que les banques de développement étaient « pleinement conscientes de ce problème foncier ancien ».
Un dossier « suivi de près »
Leur espoir ? « Que ce consortium de bailleurs de fonds force la société à entamer un processus de règlement de différends et de médiation avec les communautés qui réglera finalement le conflit foncier en délimitant la zone de terres dans laquelle PHC peut mener ses activités et les conditions qu’elle devra respecter », assurent-elles.
« Il s’agit d’un cas type qui permettra de voir si les mécanismes de plaintes établis par les banques de développement peuvent effectivement répondre aux préoccupations que soulèvent les communautés touchées par les activités des sociétés d’agrobusiness que financent la DEG et les autres banques de développement. Ce cas établira aussi un précédent en ce qui concerne les conflits fonciers anciens. La DEG et la CDC du Royaume-Uni, qui ont investi dans Feronia plus que toute autre banque de développement, ont récemment établi une politique pour orienter leurs clients aux prises avec d’anciens problèmes fonciers. Nous surveillerons de près pour voir si cette politique est plus que de simples mots », conclu le communiqué.
En avril dernier, lorsque Ravi Sood avait rencontré par Jeune Afrique, les litiges avec les riverains avaient été évoqués. Mais le financier avait précisé avoir « retrouvé un climat apaisé » depuis la mi-2017, et avoir signé en janvier 2018 des « cahiers des charges » avec les communautés, s’engageant à de nouvelles réfections d’infrastructures sanitaires et scolaires en échange d’une « libre jouissance de ses droits ».
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