Algérie : les deux journalistes poursuivis pour diffamation ont été remis en liberté

Le procès des deux journalistes poursuivis pour diffamation et atteinte à la vie privée suite à des plaintes du patron de la chaîne Ennahar TV et du préfet d’Alger, s’est tenu sous haute sécurité le 8 novembre au tribunal d’Alger. Ils ont été remis en liberté en attendant un complément d’enquête.

Devant le tribunal d’Alger où s’est tenu l’audience du procès des journalistes Abdou Semmar et Merouane Boudiab, le 8 novembre 2018. © Louiza Ammi

Devant le tribunal d’Alger où s’est tenu l’audience du procès des journalistes Abdou Semmar et Merouane Boudiab, le 8 novembre 2018. © Louiza Ammi

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Publié le 8 novembre 2018 Lecture : 5 minutes.

Les journalistes, Abderrahman Semmar –  dit Abdou -, rédacteur en chef du site Algérie Part, et son collaborateur Merouane Boudiab, ont comparu jeudi 8 novembre devant le tribunal correctionnel d’Alger. Placés sous mandat de dépôt le 23 octobre après 48 heures de garde-à-vue chez les gendarmes, les deux journalistes étaient poursuivis pour « diffamation » et « atteinte à la vie privée ».

À l’issue de la journée, les deux journaliste ont été remis en liberté par le juge en attendant un complément d’enquête. Ils sont libres et devront regagner leurs domiciles dans la nuit.

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Le procureur avait requis un an de prison et un million de dinars de dommage et intérêts (environ 7 400 euros) à l’encontre des deux journalistes. Il a également demandé un complément d’information sur cette affaire.

Les deux journalistes étaient poursuivis sur la base de deux plaintes déposées le 23 et le 24 octobre. La première émane d’Anis Rahmani, PDG du groupe Ennahar qui détient la chaîne Ennahar TV. Celui-ci reprochait aux journalistes d’avoir porté atteinte à son honneur et à sa dignité en publiant un article dans lequel une militante politique, Amira Bouraoui, le qualifie notamment de « plouc instrumentalisé ». La seconde plainte est déposée par le wali « préfet » d’Alger, Abdelkader Zouh, à la suite d’un article qui faisait état d’appartements de luxe que ce dernier posséderait dans la capitale.

Une audience sous haute sécurité

L’enceinte du tribunal devant lequel s’est tenu un rassemblement de journalistes en signe de solidarité était bouclée par des policiers en civil et en uniforme. À l’intérieur de la salle, l’ambiance était tendue et seuls les journalistes détenteurs de carte de presse délivrées par le ministère de la Communication étaient autorisés à y accéder. L’usage du téléphone portable y était strictement interdit.

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Un collectif d’une trentaine d’avocats a assuré la défense des deux journalistes. Ces derniers avaient été extraits le matin de la prison d’El Harrach, où ils sont détenus depuis le 25 octobre, pour être conduits dans un fourgon cellulaire au tribunal où ils ont attendu toute la journée avant d’être présentés devant le juge.

Appelé à la barre aux environ de 16 h par le juge qui l’a interrogé sur les deux plaintes, Abdou Semmar a d’abord précisé qu’il avait été convoqué par téléphone par la gendarmerie le 23 octobre dernier. Son audition après son placement en garde-à-vue a débuté avant même que la plainte déposée contre lui par le PDG d’Ennahar ne soit enregistrée. Ses avocats ne manqueront d’ailleurs pas de relever un vice de procédure.

Pour les avocats de la défense, les motifs des plaintes relèvent d’un procès politique plutôt qu’un délit de presse

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Sur le fond, le prévenu – qui a rappelé exercer son métier depuis dix ans – a expliqué avoir repris les propos qu’une personne avait publiquement tenus sur un réseau social, Facebook en l’occurrence. Sur la deuxième plainte, le prévenu a expliqué avoir mené une enquête qui ne porte nullement atteinte à la dignité du plaignant.

Dans sa plaidoirie qui a provoqué un moment de tension avec les avocats de la défense, le conseiller juridique d’Anis Rahmani a reproché à Abdou Semmar d’avoir illustré l’article incriminé par une photo de son client sans en avoir le droit. Il a réclamé 2 millions de dinars (environ 14 800 euros) de dommages et intérêts.

Les avocats de la défense ont souligné que les deux plaintes ne sont pas recevables dans la mesure où elles n’ont pas été déposées par les plaignants en personnes, mais par de tierces personnes. Ils ont également souligné que le nom du deuxième prévenu, Merouane Boudiaf, n’est pas cité dans les deux plaintes. Pour les avocats de la défense, les motifs des plaintes relèvent d’un procès politique plutôt qu’un délit de presse.

Colère et inquiétude

L’incarcération de ces deux journalistes, ainsi que celle de deux autres confrères, a soulevé un tollé en Algérie et à l’étranger où des organisations de défense des journalistes ont exigé des autorités algériennes leur remise en liberté sans conditions. L’emprisonnement de ces journalistes est jugé totalement injustifié, dans la mesure où les délits de presse protègent la presse des peines de prison. Il n’est pas non plus justifié dans la mesure où les prévenus ne représentent pas un danger pour l’ordre public.

La colère et l’inquiétude des journalistes algériens va au-delà de ces incarcérations. Le traitement médiatique de la chaîne Ennahar TV de l’arrestation et de la présentation des prévenus devant le procureur a été considérée comme une violation de leur présomption d’innocence et une atteinte à leur image et à leur dignité.

L’avocat d’Abdou Semmar a décidé de déposer une plainte auprès du procureur de la République près de la Cour d’Alger contre Mohamed Mokadem, alias Anis Rahmani, pour « diffamation », « insultes » et « atteinte à la vie privée ». La famille du journaliste dénonce « un lynchage médiatique de la part de la chaîne Ennahar TV » qui a diffusé des images des prévenus menottés dans l’enceinte du tribunal La caméra d’Ennahar a même pu les suivre jusqu’au fourgon cellulaire, ce qui constitue une violation de l’article 56 de la Constitution qui garantit la présomption d’innocence des personnes mises en examen.

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Le délit de presse n’est plus passible de prison en Algérie depuis la réforme du code de l’information en 2012. Celle-ci avait supprimée deux articles de loi, introduits en mai 2001, qui prévoyait jusqu’à trois ans de prison et de fortes amendes contre les journalistes coupables de diffamation ou d’offenses. Le code de l’information de 2012 ne prévoit que des amendes de 50 000 à 500 000 DA (370 à 3 700 euros) dans des affaires de diffamation ou d’atteinte à la vie privée.

Pourquoi ces journalistes sont-ils en prison, alors que la loi de 2012 a dépénalisé le délit de diffamation ? Selon les avocats des prévenus, la justice s’appuie sur le fait que ceux-ci ne sont pas détenteurs de carte de presse. N’étant pas des journalistes professionnels – la législation algérienne sur le droit de la presse ne couvre pas les médias en ligne -, les dispositions du code de l’information de 2012 ne s’appliquent pas sur eux. D’où leurs mises en examen et leur détention.

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