Le parapluie européen

En signant, avant la fin de l’année, un accord d’association avec Bruxelles, Damas se mettrait à l’abri d’éventuelles sanctions américaines.

Publié le 27 octobre 2003 Lecture : 6 minutes.

Après six ans d’hésitations et dix rounds de négociations difficiles, la Syrie devrait signer un accord d’association avec l’Union européenne (UE) avant la fin de l’année. Un événement très important qui aura des conséquences politiques et économiques considérables. Parmi les pays qui occupent les rivages sud et est de la Méditerranée, la Syrie est le dernier à signer un accord avec l’Union européenne dans le cadre du processus de Barcelone, à la seule exception de la Libye, qui, maintenant que les sanctions onusiennes qui la frappaient ont été levées, devrait entamer des négociations sous peu.
Cet accord d’association signifiera clairement que la Syrie est prête à entreprendre les indispensables réformes trop longtemps reportées. De fait, la stratégie du président Bachar el-Assad semblerait consister à utiliser la pression externe pour surmonter l’opposition interne à la réforme d’un petit groupe de « barons » – une élite de privilégiés ayant grandement profité du système actuel relativement fermé, qui ne veut pas de changement et craint que les investissements et l’influence des étrangers n’affaiblissent son poids politique et économique. L’accusation parfois formulée par les durs proches du parti Baas, selon laquelle les militants des droits de l’homme seraient des « agents d’une puissance étrangère », traduit elle-même la crainte qu’une plus grande implication occidentale dans les affaires syriennes n’ébranle la structure actuelle du pouvoir économique et politique, et ne mette en péril la situation des principaux bénéficiaires du régime.
Pendant longtemps, il n’y a eu en Syrie aucune volonté politique d’avancer sur cet accord d’association. Mais il n’en est plus ainsi. Le président Assad a déclaré à Romano Prodi, le président de la Commission européenne, que la décision de signer avait été prise. Cette détermination a été confirmée au cours des visites, à Damas, le 2 septembre, de Javier Solana, le haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère commune, et, le 15 septembre, de Chris Patten, le commissaire en charge des relations extérieures.
Ces dernières semaines, le rythme des négociations s’est accéléré. La confirmation, le 18 septembre, du Dr Ghassam Rifai comme ministre du Commerce dans le nouveau gouvernement est aussi un signal de la volonté de la Syrie d’aller de l’avant. Le Dr Rifai, un ancien dirigeant de la Banque mondiale, a une grande expérience internationale et une connaissance technique approfondie des problèmes posés par les négociations avec l’Europe. Le président Assad doit effectuer un voyage officiel en Belgique au mois de décembre, au cours duquel il rendra visite aux institutions européennes à Bruxelles et prononcera un discours devant le Parlement européen. Il est également attendu en Grèce et en Autriche en 2004.
Les dirigeants syriens sont conscients que l’accord d’agrément n’apportera guère d’avantages économiques à court terme. S’il y en a… Dans l’immédiat, il pourrait même entraîner des inconvénients. Les importations de l’Union pourraient condamner certaines entreprises syriennes, contraindre des usines à fermer. Pour ne citer qu’un exemple, la production locale de sodas pourrait ne pas supporter la concurrence de marques internationales comme Coca-Cola. La livre syrienne pourrait souffrir de l’aggravation du déficit commercial. Le potentiel d’exportation (hors pétrole) de la Syrie est faible, et ses produits ne sont pas toujours compétitifs. En outre, ses exportations agricoles, telles que l’huile d’olive et les fruits, continueront à se heurter en Europe à des barrières protectionnistes.
Dans d’autres pays arabes, comme le Maroc, la Tunisie, l’Égypte ou la Jordanie, la réforme est venue avant la signature d’un accord d’association avec l’Union européenne. Cela a permis de privatiser les entreprises publiques, de préparer les industries locales à des projets communs avec des partenaires étrangers et de mettre en place un environnement réglementaire et juridique pour attirer l’investissement. Rien de tel n’a encore été fait en Syrie. Le choc de la baisse des tarifs douaniers pourrait donc être considérable. En même temps, la Syrie a insisté pour que l’Union européenne lui précise les avantages qu’elle peut attendre à long terme. Elle ne se contentera pas de conseils sur le marketing et le conditionnement ou le comportement des consommateurs européens. Elle a besoin – et elle y compte – d’une aide financière pour amortir le choc d’une entrée dans un ensemble commercial fortement compétitif. Les dimensions de cette aide feront probablement l’objet de nouvelles négociations lorsque la Syrie aura signé.
L’Union européenne est pleinement consciente du considérable potentiel économique de la Syrie et l’aidera à exploiter sa position géographique de porte du commerce vers le Golfe, l’Iran et au-delà. Mais, pour la Syrie, le bénéfice immédiat sera probablement plus d’ordre politique. En fait, l’accord d’association prévoit aussi un dialogue sur un large éventail de problèmes d’intérêt mutuel, dont le conflit israélo-arabe, les menaces que continuent de brandir contre la Syrie un certain nombre de membres de l’administration américaine (voir J.A.I. n° 2232, pp. 26-29), ainsi que la question des droits de l’homme, dont le pays devra se préoccuper s’il veut obtenir le soutien européen.
Une course est engagée entre cet accord d’association et le projet de loi sur la fiabilité de la Syrie (Syria Accountability Act), aujourd’hui examiné par une sous-commission du Congrès américain, et qui invite à un long boycottage économique et diplomatique de Damas. Qui en sortira vainqueur ? L’équation est simple. Si l’accord d’agrément est signé d’abord, il sera plus compliqué pour les néoconservateurs américains, et leurs amis du lobby pro-israélien et extrémistes maronites, d’obtenir le feu vert du Congrès. Si, en revanche, le Congrès américain vote cette loi, les Européens seront soumis à une forte pression des États-Unis pour qu’ils ne signent pas leur accord d’agrément. Les Syriens ont donc tout intérêt à faire vite.
Le projet de loi sur la fiabilité syrienne peut être à tout moment proposé au vote du Congrès. Furieuse de l’opposition de la Syrie à l’invasion de l’Irak et du soutien qu’elle apporte aux factions extrémistes palestiniennes et au Hezbollah libanais, l’administration Bush pourrait décider de ne pas y opposer son veto. Il pourrait être alors impossible de bloquer cette loi. La Syrie n’est peut-être pas pleinement consciente du risque qu’elle court. Si, par exemple, une société européenne était obligée de choisir entre un contrat avec la Syrie et un contrat avec les États-Unis, sa décision ne ferait guère de doute.
La guerre en Irak semble avoir donné un coup de pouce décisif aux négociations avec l’Union européenne. Le ministre syrien des Affaires étrangères, Farouk el-Chareh, qui n’avait guère l’habitude de déjeuner avec les ambassadeurs européens, les invite actuellement toutes les deux ou trois semaines. Le président Assad trouve le temps de recevoir des délégations parlementaires européennes. Les divergences au sein de l’Union européenne au sujet de la guerre en Irak ont donné à la Syrie l’occasion de se faire entendre. Elle a ainsi créé plusieurs commissions à l’Assemblée du peuple dans le but précis de leur faire nouer des contacts avec leurs homologues européens.
Lorsque la Syrie aura signé l’accord d’agrément, elle peut aussi espérer que l’Union usera de son influence politique pour faire accepter par les États-Unis et par Israël un règlement convenable du conflit israélo-arabe sur la base du retour des territoires annexés en 1967. Bien que l’opinion européenne dans son ensemble soit favorable à une solution « paix contre terre », ainsi qu’à la création d’un État palestinien aux côtés d’Israël, la Syrie a un grand retard à combler sur des pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas, qui ont des relations suivies avec Tel-Aviv.
Pour l’instant, les Syriens semblent ne plus avoir peur que l’invasion américano-britannique de l’Irak soit suivie d’une attaque américaine contre leur pays. Leur position, aujourd’hui, est plutôt que les États-Unis commencent à comprendre qu’ils ont besoin de l’aide syrienne pour stabiliser la situation en Irak, pour persuader les factions extrémistes palestiniennes de répondre au défi israélien en renonçant à la violence et, bien entendu, pour continuer la campagne internationale contre le terrorisme.

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