La mort aux trousses

Publié le 27 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

C’est un homme qui va manquer à l’Afrique. Du Rwanda à l’Érythrée et de la Sierra Leone à la Somalie, Jean Hélène avait arpenté tous les pays du continent en proie au chaos. Sans jamais se départir de son professionnalisme. Sans jamais jouer les têtes brûlées, ni prendre de risques inconsidérés pour décrocher un scoop. À deux reprises il avait pourtant échappé de justesse à la mort. Une première fois en 1992, à Mogadiscio, lorsqu’une roquette américaine avait touché par erreur le véhicule dans lequel il se trouvait. Une seconde fois en 1994, à Kigali, quand les génocidaires hutus avaient promis de « lui arracher les testicules ». « Face aux situations dramatiques, il a toujours su conserver un style pondéré et une écriture sobre », se souvient son ami Bernard Nageotte, l’actuel correspondant de RFI au Gabon.
Passionné par l’Afrique et le journalisme, cet Alsacien né à Mulhouse en 1953 avait fait ses premiers pas de pigiste pour RFI à la fin de 1988. Pour l’état civil, il s’appelait Christian Baldensperger. S’il avait pris un pseudo, c’est parce que son patronyme était difficile à prononcer à l’antenne. En 1990, Jean Hélène s’était installé à Nairobi comme correspondant, couvrant à la fois l’Afrique orientale et l’océan Indien. Outre ses reportages radio, il écrivait également pour le quotidien Le Monde. « Cette expérience de la presse écrite lui offrait un background dont ne disposent pas forcément les reporters radio, se souvient un diplomate français. Il nourrissait ses papiers de références historiques et savait mettre en perspective les événements qu’il relatait. »
En 1998, il quitte l’Afrique anglophone pour poser ses malles à Libreville, quelques mois plus tard. Mais s’il s’intéressait de près au processus de paix au Congo-Brazzaville ou à la dernière tentative de putsch à Bangui, il savait aussi partir à la rencontre des habitants, prendre le taxi-brousse et s’embarquer pour d’improbables voyages, à la recherche de ces petits événements qui font le quotidien de ses auditeurs. Ainsi passa-t-il le réveillon du 31 décembre 1999 dans un village oublié de l’Ogooué-Ivindo. Pour voir comment les habitants de Mékambo vivaient le changement de millénaire.
Nommé rédacteur en chef du service Afrique de RFI, il rentre en France en 2001. Mais son expérience parisienne ne lui laissera pas que des bons souvenirs. Lassé par les luttes d’influence qui agitent la rédaction, cet homme de terrain ne souhaite qu’une chose : reprendre la route, magnéto en bandoulière. Début 2003, il réalise un rêve de gosse et s’offre un grand trek en Afrique australe, une balade de 7 000 km jusqu’en Namibie.
Le temps de boucler sa valise et Jean reprend du service, en avril à Abidjan, où il devient l’envoyé spécial permanent de RFI. Ses amis de la rédaction évoquent aujourd’hui sa discrétion et « sa froideur apparente de protestant alsacien », son genre « baroudeur sans se vanter ». Il savait que sa mission n’aurait rien d’une sinécure : Bruno Minas et Claude Cirille, ses prédécesseurs sur les rives de la lagune Ébrié, avaient tous deux reçu des menaces de mort.
En décembre 2002, peu de temps avant sa nomination à Abidjan, nous nous étions retrouvés pour déjeuner dans une brasserie parisienne, près de la Maison de la radio. Alors que nous spéculions sur ses chances de décrocher ce poste, Jean m’avait expliqué qu’il partait avec un avantage certain : « Vu le climat délétère qui règne en Côte d’Ivoire, la direction de RFI préférerait que le journaliste en poste là-bas soit célibataire. Or je ne suis pas chargé de famille… »
Aujourd’hui, ses amis se sentent un peu orphelins. Les auditeurs de RFI aussi.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires