Francophonie : les déclarations de Michaëlle Jean sur le procès de Diane Rwigara passent mal à Kigali
Michaëlle Jean, qui quittera la tête de l’OIF en janvier, a appelé le 8 novembre à « suivre avec la plus grande attention le procès intenté au Rwanda contre l’activiste en faveur de la liberté d’expression Diane Rwigara ». Une déclaration qui, au lendemain des réquisitions contre l’opposante, est interprétée à Kigali comme une conséquence de la défaite de la Canadienne à Erevan.
Un mois après le sommet d’Erevan, Michaëlle Jean règle-t-elle ses comptes ? La secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie, qui cédera sa place à la ministre rwandaise des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo en janvier prochain, a appelé le 8 novembre sur Twitter à suivre « avec la plus grande attention le procès intenté au Rwanda contre l’activiste en faveur de la liberté d’expression Diane Rwigara et de sa mère libérées provisoirement début octobre, accusées devant un tribunal de Kigali d’ ‘incitation à l’insurrection’ ».
Suivons avec la plus grande attention le procès intenté au #Rwanda contre l’activiste en faveur de la liberté d’expression #DianeRwigara et de sa mère libérées provisoirement début octobre, accusées devant un tribunal de Kigali d’« incitation à l’insurrection ».
— Michaëlle Jean (@MichaelleJeanF) November 8, 2018
Interprétée à Kigali comme un acte opportuniste – notamment par Olivier Nduhungirehe, le secrétaire d’État au ministère rwandais des Affaires étrangères en charge de l’East African Community -, consécutif à la défaite de Michaëlle Jean au sommet d’Erevan les 11 et 12 octobre derniers, cette déclaration, survenue au lendemain de l’ouverture du procès contre l’opposante rwandaise qui avait tenté de se présenter à la présidentielle 2017 avant de voir sa candidature invalidée, a suscité de vives réactions sur le réseau social.
« Vous n’avez pas, dans ces dernières semaines qui vous restent, le droit d’utiliser votre poste pour régler des comptes avec votre successeur Louise Mushikiwabo et son pays », lui a ainsi répondu sur Twitter le secrétaire d’État Olivier Nduhungirehe.
L'amertume de la défaite vous fait perdre la tête, Madame! Une nouvelle Secrétaire Générale a été élue et vous n'avez pas, dans ces dernières semaines qui vous restent, le droit d'utiliser votre poste pour régler des comptes avec votre successeur @LMushikiwabo et son pays.
— Olivier J.P. Nduhungirehe (@onduhungirehe) November 8, 2018
« Michaëlle Jean ne s’était jamais prononcée sur l’affaire Rwigara « in tempore non suspecto », avant sa défaite. Elle n’avait d’ailleurs jamais critiqué le Rwanda en quoi que ce soit durant tout son mandat. Elle a plutôt été très positive dans les quelques fois où elle a parlé du Rwanda. Le fait que son tweet ne soit le fruit que d’une amertume consécutive à sa défaite face à une candidate rwandaise, cela se voit comme l’église au milieu du village », a-t-il ajouté.
Ange Kagame, la fille du président rwandais, a, de son côté, tweeté pour ironiser sur le timing de la déclaration de la secrétaire générale sortante, effectuée « au moment où vous [Michaëlle Jean ndlr] devez quitter votre ancien travail, alors que votre candidature pour Human Rights Watch doit être rendue à 23h59 ».
“When you have to leave your old job, but your HRW application is due at 11:59pm”🤦🏾♀️ https://t.co/QtN8UGLq29
— AIKN (@AngeKagame) November 8, 2018
Adversaires au dernier sommet de la Francophonie, qui se tenait dans la capitale arménienne, Louise Mushikiwabo avait pris le dessus sur l’ancienne gouverneure générale canadienne en remportant le siège de secrétaire générale, notamment à la faveur du consensus formé autour du soutien de l’Union africaine et de la France. Consensus auquel les Canadiens s’étaient finalement ralliés à la vielle du sommet.
22 ans de prison requis contre Diane Rwigara
Dans l’entourage de Michaëlle Jean, on préfère ne pas s’attarder sur ces critiques. « La secrétaire générale de la Francophonie n’a pas à commenter les réactions des uns et des autres sur les réseaux sociaux. Elle continuera, comme elle l’a toujours fait, de s’exprimer sur les sujets cruciaux qui secouent l’espace francophone et ce jusqu’à la fin de son mandat en janvier prochain », estime Bertin Leblanc, son porte-parole.
La veille, à l’issue de cinq heures d’audience à la Haute cour de Kigali, l’accusation avait requis la peine maximale prévue par la loi contre l’opposante Diane Rwigara, à savoir quinze ans de prison pour « incitation à l’insurrection » et sept ans pour « falsification de documents », soit vingt-deux ans d’incarcération au total. Le parquet a également réclamé vingt-deux ans de prison contre sa mère Adeline Rwigara, « pour incitation à l’insurrection et promotion du sectarisme ».
La défense a dénoncé le manque de preuves, au motif notamment que le caractère public de l’« incitation à l’insurrection » ne pouvait être démontré. « Nous avons des lois qui consacrent la liberté d’expression, la liberté de penser et de critiquer. Nous espérons que les juges en tiendront compte le jour du verdict », a expliqué Me Pierre-Célestin Buhuru, l’avocat de Diane Rwigara, après l’audience.
Verdict le 6 décembre
Diane Rwigara, sa mère et sa sœur Anne avait été arrêtées le 24 septembre 2017 et placées en détention provisoire pour « atteinte à la sécurité de l’État », « faux et usage de faux » et « fraude fiscale ». Les charges pesant contre la sœur de l’opposante avait été abandonnées un mois plus tard, le 23 octobre 2017, tandis que Diane Rwigara et sa mère Adeline avait finalement été inculpées et placées en détention à la prison « 1930 » de Kigali.
Libérées sous caution le 5 octobre dernier en attendant l’ouverture du procès sur le fond, Diane et Adeline Rwigara devront désormais attendre jusqu’au 6 décembre pour connaître le verdict de la cour.
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