Qui est Ahmed Raïssouni, le Marocain élu à la tête de l’Union mondiale des oulémas ?

Le Marocain Ahmed Raïssouni, 65 ans, a succédé mercredi 7 novembre à l’Égyptien Youssef al-Qaradawi à la tête de la puissante Union internationale des oulémas musulmans (UIOM). Portrait d’un religieux proche du Qatar et de Tariq Ramadan, qui dérange à la fois les royaumes marocain et saoudien.

Le prédicateur marocain Ahmed Raïssouni. © Youtube/Ahmed Raissouni

Le prédicateur marocain Ahmed Raïssouni. © Youtube/Ahmed Raissouni

CRETOIS Jules

Publié le 9 novembre 2018 Lecture : 3 minutes.

Au Maroc, le nom de Raïssouni est surtout associé à celui du Mouvement unicité et réforme (MUR) – matrice idéologique du Parti de la justice et du développement (PJD), au pouvoir depuis 2011 – , qu’il a co-fondé et dirigé de 1996 à 2003. Avec lui pour créer cette nouvelle formation, Saadeddine El Othmani, actuel chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, son prédécesseur, ainsi que d’autres « frères ».

En s’attachant la personne de Raïssouni, ces derniers avaient « considérablement renforcé leur capital religieux et intellectuel », selon Youssef Belal, auteur de Le cheikh et le calife. Sociologie religieuse de l’islam politique au Maroc (ENS Éditions, 2011). Le politologue et enseignant considère Raïssouni comme « le savant religieux le plus exigeant dans la formulation du fiqh maqasid, méthode de pensée qui se soucie de l’esprit du texte religieux et de ses buts plutôt que de son caractère littéral ».

Promoteur d’une lecture circonstancié des textes, il travaille à l’adaptation du droit islamique aux évolutions sociales

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Si pour bien des progressistes, Raïssouni incarne le conservatisme, il est un promoteur d’une lecture circonstancié des textes. Un orthodoxe certes, mais qui travaille à adapter le droit islamique à l’évolution des organisations sociales. C’est là le cœur de son ouvrage de référence, portant sur l’imam et juriste andalou du XIVème siècle Abu Ishaq Ash Shatibi. Raïssouni soutient également l’idée d’une compatibilité parfaite entre la démocratie et l’islam.

Un prédicateur qui fâche la monarchie

Pendant des années, le PJD et le MUR vont cheminer ensemble : au premier la politique, au second la prédication. Raïssouni s’occupe de cette deuxième partie, notamment à travers les articles qu’il publie dans le journal islamiste Attajdid, au sein duquel il assume un poste de direction.

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Dans ses productions, l’indépendance de Raïssouni fâche, notamment lorsqu’il défend la séparation des pouvoirs politique et religieux – au Maroc, le roi Mohammed VI est officiellement le Commandeur des croyants. En juillet 2003, dans la foulée des attentats de Casablanca du 16 mai, Fouad Ali El Himma, à l’époque ministre délégué à l’Intérieur, critique les islamistes pour avoir maintenu une activité de prédication. Dans une interview accordée au quotidien Aujourd’hui le Maroc, le futur conseiller royal reproche personnellement à Raïssouni d’avoir questionné la fonction religieuse du souverain.

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Conservateur dans son pays, réformiste à l’étranger

La réputation d’Ahmed Raïssouni dépasse largement les frontières du Maroc. En 2008, lors du dialogue entre le régime libyen de Mouammar Kadhafi et les militants jihadistes emprisonnés, il est appelé pour assumer une partie de la médiation. Descendant de sa chaire, il aide les islamistes libyens et notamment le fameux Abdelhakim Belhadj à penser leur reniement de la violence. Une expérience qui lui inspirera un livre inconnu du grand public mais très débattu chez les islamistes et les jihadistes : Étude corrective sur les concepts du jihad et de la hisbah.

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Raïssouni incarne une figure paradoxale : conservateur austère dans son pays, il apparaît comme un réformiste dans la galaxie islamiste et religieuse mondiale. Il est ainsi régulièrement cité dans les travaux de l’intellectuel musulman suisse Tariq Ramadan, qui l’invite souvent dans son Centre de recherche sur la législation islamique et l’éthique (CILE), installé au Qatar. En 2014, le Diwan – gouvernement qatarien – , repris par la chaîne Al-Jazeera, avait également endossé ses déclarations invalidant le califat proclamé par Daesh.

Raïssouni a récemment félicité les autorités turques pour leur traitement de l’affaire Khashoggi

Les soubresauts géopolitiques récents n’ont pas épargné l’intellectuel marocain, qui n’a pas toujours été dans le viseur de l’Arabie saoudite et des Émirats. Au contraire, peu après 2011, il a résidé un temps dans le royaume wahhabite et collaboré jusqu’en 2012 avec une académie de jurisprudence islamique à Jeddah. Le divorce entre Doha et Riyad-Abou Dhabi l’a forcé à choisir son camp, penchant pour l’émirat gazier.

Raïssouni a récemment félicité les autorités turques pour leur traitement de l’affaire de l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, disparu dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul. Une nouvelle pique à l’endroit de la monarchie wahhabite. Son élection à la tête de l’UIOM, organisation domiciliée à Doha et classée « terroriste » par le « quartet » composé de l’Arabie saoudite, de l’Égypte, du Bahreïn et des Émirats arabes unis, ne devrait pas arranger ses relations avec Riyad.

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