Vietnam : bébé tigre deviendra grand

Publié le 27 septembre 2004 Lecture : 5 minutes.

C’est l’énigme de la motocyclette. Dans les rues de Hanoï, on en voit des centaines de milliers. Le vélo, c’est fini. La voiture, ce sera dans dix ans. Aujourd’hui, c’est la Honda 50 cm3 qui occupe le pavé dans cette ville de quatre millions d’habitants. Mais l’engin coûte cher : 1 200 dollars minimum. Comment le Vietnamien peut-il se l’offrir ?
Dung est technicien dans une fabrique de chaussures qui sous-traite pour Nike. Il gagne l’équivalent de 60 dollars par mois. Vingt-huit ans, célibataire, il est toujours tiré à quatre épingles. Le soir, après le travail, il fait un saut chez lui pour se changer avant d’aller retrouver ses amis dans un bar de karaoké. Le téléphone portable dans une main, il zigzague dans les ruelles du vieux Hanoï. Et le peigne est toujours à portée de main. Car la moto, ça décoiffe. Cette motocyclette, c’est sa fierté. Il l’a achetée à la sueur de son front. Son secret ? La journée double. Debout à 5 heures, il aide ses parents dans un petit commerce de livres scolaires avant de partir au travail. Avec ce revenu d’appoint, il peut chevaucher aujourd’hui l’engin de ses rêves. Son autre secret ? Il ne paie pas de loyer. Dung vit chez ses parents. La nuit, toute la famille dort dans la même pièce. À 10 heures du soir, on éteint la télé, on rentre la motocyclette dans la pièce commune, et on tire la grille. Loyer minimum, intimité zéro…
Comme Dung, des millions de Vietnamiens mettent les bouchées doubles pour sortir de la pauvreté. Le jour, un métier. Le petit matin ou la nuit, un business. C’est la grande débrouille. Le 1er janvier 2000, le gouvernement communiste a eu la bonne idée de supprimer l’autorisation administrative pour les créations d’entreprise. Du jour au lendemain, 30 000 sociétés privées se sont fait enregistrer. Autant de petites affaires qui existaient déjà clandestinement. Depuis cette date, elles se multiplient comme des petits pains. Deux mille nouvelles sociétés privées tous les mois.
Le Vietnam de Ho Chi Minh est définitivement enterré. En 1986, quelques années après Deng Xiaoping en Chine, les communistes vietnamiens se sont convertis à l’économie de marché. Aujourd’hui, avec un rythme annuel de 7 %, le taux de croissance vietnamien est le deuxième d’Asie, juste après celui de la Chine. Le Vietnam est un bébé tigre.
Officiellement, le Vietnam est toujours l’un des pays les plus pauvres du monde. Avec un Produit intérieur brut de 450 dollars par habitant, il est au même niveau que certains pays africains. Mais, en réalité, il est plus riche. Car il triche. Tout le monde triche. Le promoteur immobilier qui fait enregistrer ses appartements au nom de sa femme ou de sa mère pour payer moins d’impôts. Ou, moins classique, le patron de restaurant qui déménage son établissement tous les deux ans pour échapper à la patente. Il faut dire que le fisc est vorace. Dès qu’une affaire marche, les petits fonctionnaires tombent sur le malheureux entrepreneur et inventent – juste pour lui – de nouvelles taxes sur les vitrines ou les climatiseurs. Un véritable racket. La petite corruption est l’un des fléaux de ce pays. Pour ne pas se faire remarquer par les agents du fisc, certains nouveaux riches continuent de mener un train de vie modeste et de rouler à motocyclette. Encore elle…
Capitale de l’économie souterraine : Saigon. Rebaptisée Ho Chi Minh-Ville par les communistes après la chute du régime proaméricain en 1975, la mégapole du Sud est toujours appelée Saigon par ses huit millions d’habitants. D’aucuns la surnomment aussi « Honda City » à cause des gigantesques embouteillages de deux roues à l’heure de la sortie des bureaux. Larges avenues, buildings flambant neufs, Saigon est la ville où bat le pouls du pays. La cité où l’on brasse de l’argent. À ses côtés, Hanoï fait un peu ville de province. Saigon serait-elle en train de prendre sa revanche sur le Nord ?
À la source de ce renouveau, les boat people. Vingt-cinq ans après leur fuite désespérée à travers la mer de Chine, beaucoup d’entre eux reviennent. Pas pour s’installer, mais pour aider la famille restée au pays. Et les deux millions de Viet Kiêu, ces Vietnamiens émigrés aux États-Unis, en Australie ou en France, ne sont pas avares en subsides. Tous les ans, ils déversent 3 milliards de dollars sur leur pays natal.
Mais la vraie richesse du Vietnam, ce sont ces jeunes techniciens et agriculteurs qui s’acharnent au travail et apprennent très vite. Avec un taux d’alphabétisation de plus de 80 % et des salaires encore très bas, la main-d’oeuvre vietnamienne est devenue l’une des plus recherchées au monde. La multinationale japonaise Canon l’a bien compris. Elle a d’abord investi en Chine. Avant d’ouvrir une grosse unité d’imprimantes au Vietnam. Pourquoi ? Parce que les ingénieurs vietnamiens ont la réputation d’être inventifs, et les ouvriers adroits. Selon certains, ces derniers travailleraient 30 % plus vite que leurs collègues chinois… pour un salaire de base qui ne dépasse pas 50 dollars par mois. Ikea (meubles), Gap, Lee et Wrangler (habillement), Nike et Reebok (chaussures de sport) montent des projets au Vietnam pour les mêmes raisons. À l’heure des délocalisations, le bébé tigre pourrait bien devenir un gros tigre mangeur d’hommes… occidentaux.
On connaît le succès des planteurs de café sur les hauts plateaux vietnamiens. Il y a vingt ans, ils n’existaient pas. Aujourd’hui, ils sont au deuxième rang mondial derrière les Brésiliens. Mais la réussite la plus incroyable, c’est celle des paysans du Mékong. Pendant des siècles, ils faisaient une récolte de riz par an. Depuis dix ans, ils en font deux grâce aux semences améliorées. Le delta du Mékong, c’est un immense marché flottant. Sur un triangle de 40 000 km2, 15 millions d’hommes et de femmes – coiffées de leur célèbre chapeau conique – s’affairent dans les rizières et à bord de barques à moteur.
À l’heure du marché, tôt le matin, c’est l’embouteillage de bateaux sur les canaux. Comme dans une rue de Saigon. Dans chaque district, un centre de recherches essaie de faire pousser des variétés de riz à haut rendement et à cycle court (trois mois). Grâce à ces travaux, de nombreux riziculteurs ont doublé, voire triplé leurs rendements en dix ans. Aujourd’hui, le delta n’est plus seulement le grenier à riz du pays. Il propulse le Vietnam au rang de deuxième exportateur de riz dans le monde, juste derrière la Thaïlande. À Douala, à Dakar, les sacs de riz vietnamien inondent les marchés. À 10 000 ou 12 000 F CFA le sac de 50 kg, le riz du Mékong est moins cher que celui du nord-ouest du Cameroun ou du fleuve Sénégal.
Les Africains mangeront-ils un jour du riz africain ? « Des efforts remarquables ont déjà été faits », indique à la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) la spécialiste espagnole Concepcion Calpé. Le centre de recherches de Bouaké a sélectionné une nouvelle variété de riz très performante, le Nerica [New Rice for Africa]. Mais il ne suffit pas d’améliorer la céréale. En amont, il faut donner aux producteurs l’accès aux semences et aux technologies. Et en aval, il faut des silos pour stocker et des routes pour écouler. »
En 1997, près du fleuve Sénégal, des agronomes vietnamiens ont confié quelques-uns de leurs secrets sur la riziculture à haut rendement. Mais le riz, c’est toute une chaîne, du paysan au vendeur. Et le vrai secret du bébé tigre, c’est que les rouages de la société vietnamienne fonctionnent bien.

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