Vaudeville européen

Publié le 27 septembre 2004 Lecture : 2 minutes.

Le 23 septembre, sur le perron de l’hôtel Conrad, à Bruxelles, Günter Verheugen, commissaire européen à l’élargissement, sourit comme un jeune marié. « Il n’y a désormais plus d’obstacles. La Turquie n’a plus de conditions additionnelles à remplir », lance-t-il, laissant entendre que la Commission se prononcera favorablement sur l’ouverture de négociations d’adhésion avec la Turquie. Cette recommandation n’est attendue que pour le 6 octobre, mais, soulagé d’avoir mis fin, en une heure d’entretien avec le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, à une crise qui durait depuis près de trois semaines, Verheugen a été emporté par un élan lyrique. À ses côtés, le Premier ministre turc rosit d’aise : l’Allemand vient de l’appeler « mon ami Erdogan ».

Jusqu’au 9 septembre, tout allait bien à Ankara. Le Parlement était occupé à voter un vaste projet de réforme du code pénal, destinée à mettre la législation nationale en conformité avec les critères démocratiques de l’UE. Le trafic d’organes, les discriminations fondées sur le sexe, l’origine ou la religion, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, l’enregistrement de conversations privées figuraient parmi les nouveaux délits.
Mais un amendement visant à faire de l’adultère un délit passible de prison a mis le feu aux poudres. Des ministres des Affaires étrangères à l’actuel président de la Commission de Bruxelles Romano Prodi ou à son successeur José Manuel Durao Barroso, tous les dirigeants européens ont exprimé leur désapprobation à l’égard d’un projet jugé rétrograde et incompatible avec les normes de l’Union (voir pp. 18-19).

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Le Premier ministre turc avait cependant ses raisons : la frange la plus conservatrice de son parti, l’AKP, faisait pression en faveur de cette disposition destinée « à assurer l’égalité des hommes et des femmes » (ces dernières pouvant désormais porter plainte contre un époux infidèle). Mais Erdogan avait mal mesuré l’impact de cette mesure sur son opinion et, surtout, sur les instances européennes. En Turquie, les associations féminines ont manifesté contre le projet tandis que l’opposition laïque dénonçait les « accointances islamistes » de l’AKP. À l’étranger, les adversaires de l’entrée de la Turquie dans l’UE ont profité de l’aubaine pour redoubler de virulence.
Plus grave, Verheugen et son porte-parole Jean-Christophe Filori ont déclaré avec force que les négociations d’adhésion ne pourraient s’ouvrir tant que la réforme du code pénal ne serait pas adoptée. Or Erdogan avait durci le ton, le 17 septembre, en proclamant que les Turcs faisaient ce qu’ils voulaient chez eux et en repoussant l’examen de la totalité du code pénal sine die.
À Bruxelles, il a finalement capitulé. Le Parlement turc devait être convoqué le 26 septembre en session extraordinaire pour finir d’adopter un code pénal où l’amendement sur l’adultère ne figurera plus. Reste que la Turquie se serait bien passée de ce vaudeville. Ce que le quotidien Yeni Safak, proche du pouvoir, fait mine d’oublier en titrant, sous la photo d’un Erdogan triomphant, « Veni, vidi, vici » !

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