Toujours plus !

Toujours plus belles, toujours plus confortables. Mais aussi toujours plus lourdes, plus gourmandes et plus chères ! Les constructeurs ne font-ils pas fausse route en se livrant à une perpétuelle surenchère ?

Publié le 27 septembre 2004 Lecture : 5 minutes.

Les constructeurs aiment faire salon, afin de présenter leurs dernières créations. Tokyo, Detroit, Munich, Genève ou Paris reviennent ainsi à intervalles réguliers pour entretenir la séduction automobile auprès du public. Et malheur à la marque qui n’afficherait pas sur son stand un modèle inédit pour attirer l’attention du chaland. Car désormais, sans nouveautés, point de salut.
L’époque est en effet révolue où, dans les pays économiquement développés, l’offre ne suffisait pas à répondre à la demande et les clients devaient attendre plusieurs mois pour prendre livraison de leur voiture. Le rapport de force s’est inversé. Dans ces marchés dits matures, et à faible progression démographique, tous les ménages ou presque sont déjà « multimotorisés ». L’automobile est ainsi passée d’un marché de conquête à un marché de renouvellement. Les ventes devraient donc baisser, puisque les voitures sont devenues de plus en plus fiables : aujourd’hui, les modèles à moteur essence qui atteignent sans problème les 200 000 km sont légion, alors qu’ils passaient pour des bêtes à concours voilà une décennie. Dès lors, un automobiliste n’a aucune raison de changer de voiture avant qu’elle ait fêté son dixième anniversaire.
Mais ces raisonnements ne font pas l’affaire des constructeurs. Aussi ont-ils trouvé la parade : provoquer le vieillissement artificiel d’un modèle, en le remplaçant par un autre, mieux équipé, plus sûr, doté d’une ligne plus moderne. Mieux, ils ne cessent d’inventer de nouveaux « concepts » automobiles : monospaces, ludospaces, coupés-cabriolets, 4×4 routiers, etc. En vérité, le terme de concept est un tantinet galvaudé. Il est impossible de réinventer l’automobile tous les cinq ans. Bien souvent, l’opération consiste à revêtir une base mécanique éprouvée d’une carrosserie dans l’air du temps. Et de convaincre le client que le bonheur automobile passe forcément par un nouvel achat. Aux États-Unis, en Europe et au Japon, ce qui alimente la bonne marche de l’industrie automobile n’est plus le besoin d’acheter une voiture, depuis longtemps assouvi, mais le désir, savamment attisé par le lancement de nouveaux modèles qui démodent les anciens.
Ainsi, une soixantaine de voitures inédites seront présentées lors du Mondial de Paris, qui ouvre ses portes le 25 septembre prochain, pour les clore le 10 octobre. Pour l’essentiel, elles se répartissent en deux genres : les petits monospaces urbains (Renault Modus, Peugeot 1007, nouvelle Mercedes Classe A, Lancia Musa) et les 4×4 routiers (Fiat Panda 4×4, Alfa Romeo Crosswagon, Nissan Murano, BMW X3 2.0 d, Hyundai Tucson, Kia Sportage). Ces modèles consacrent l’avènement d’une nouvelle tendance automobile. Maintenant que les excès de vitesse au volant sont sévèrement réprimés, les conducteurs recherchent d’autres plaisirs : de l’espace intérieur, des équipements, du confort, de la modularité, de la polyvalence. Donc des voitures plus apaisées, à usage plus familial.
A priori, cette évolution est louable. Aujourd’hui, les automobilistes ne se jaugent plus à la longueur de leur capot, signe de puissance de leur moteur. Leur souci est moins égoïste : emmener leur famille à bon port, dans les meilleures conditions de confort et de sécurité. D’où la vogue des monospaces et des 4×4 routiers. Mais, comme toujours, le diable se niche dans les détails. Monospaces et 4×4 présentent en effet une particularité : des positions de conduite élevées. Leurs occupants y trouvent leur compte : meilleure visibilité, habitacle plus lumineux, sentiment de sécurité. Fort bien. Sauf que cette croissance des véhicules par le haut, qui frappe aussi par contagion de nombreuses berlines, présente un inconvénient : les voitures pèsent de plus en plus lourd, et présentent, par leur surface frontale, une plus forte résistance à la pénétration dans l’air. Dès lors, elles sont voraces en carburant…
Les motoristes ont pourtant fait des prodiges. Malgré le poids pris par les voitures, malgré l’augmentation de la cylindrée nécessaire pour masquer cet embonpoint, malgré la mode des véhicules hauts, ils sont parvenus à contenir la consommation, en travaillant sur le rendement énergétique des moteurs. Mais la Renault Modus, petit monospace de 3,78 m, accuse 1 200 kg sur la balance, 200 de plus qu’une Clio de même taille… Dès lors, elle consomme environ deux litres de plus aux 100 km. C’est la rançon de l’attirance que le public ressent pour les véhicules à position de conduite et toit élevés. Comme si les automobilistes, à peine débarrassés du syndrome du long capot, avaient opté pour un autre symbole de domination sur quatre roues : être plus haut perchés que les autres… Ils hurlent chaque fois qu’ils constatent que le prix du carburant à la pompe a encore augmenté. Mais achètent des véhicules plus gourmands en énergie.
Certains jettent leur dévolu sur les monospaces. Et même si des breaks comme la Peugeot 407 SW peuvent rendre peu ou prou les mêmes services, cette forme de véhicule est celle qui sied le mieux au transport d’une famille nombreuse. Mais l’avènement des 4×4 routiers échappe à toute logique. Le genre est né aux États-Unis. Là-bas, les routes sont larges et droites, le carburant bon marché, la densité urbaine est faible, et en chaque Américain sommeille le mythe du pionnier. L’invraisemblable est que la mode ait gagné l’Europe, où le mode de circulation est inverse : carburants onéreux, routes étroites et sinueuses, villes encombrées. De plus, comme leur nom l’indique, les 4×4 routiers ne sont guère destinés à quitter l’asphalte. Dès lors, à quoi peuvent bien leur servir quatre roues motrices, sinon à alourdir encore une facture énergétique déjà mise à mal par leur poids et leur aérodynamique de pachyderme ?
Les constructeurs sont pourtant bien placés pour le savoir : le défi qui attend l’automobile est de réduire sa dépendance vis-à-vis du pétrole, à la fois pour des raisons écologiques et pour faire face à l’épuisement des stocks. Mais comme le client est roi, ils continuent à lui proposer des voitures de plus en plus équipées, de plus en plus lourdes, de plus en plus grosses. Et de plus en plus chères, cela va sans dire. Le salon de Paris est révélateur de cette tendance, avec sa profusion de nouveaux 4×4, monospaces ou berlines à position de conduite élevée.
Il est toutefois deux motifs d’espoir. Le premier se trouve dans le stand Lexus : la Lexus RX300 hybride. Ce 4×4 reprend le principe de la double motorisation (un moteur essence, un moteur électrique) déjà appliqué sur la Toyota Prius. C’est la seule solution capable de réduire sans tarder la consommation en carburant. Elle sera donc déterminante pour l’avenir de l’automobile. Mais il n’est d’autres constructeurs que Toyota et sa filiale Lexus à commercialiser des véhicules hybrides. Le second motif d’espoir se nomme Dacia Logan. Pour la première fois, un constructeur, Renault en l’occurrence, va à rebrousse-poil de l’évolution automobile, en revenant vers plus de simplicité. La Logan n’offre pas tous les gadgets électroniques ni le toit haut perché qui plaisent tant à la clientèle des pays de l’hémisphère Nord. Mais elle propose cinq vraies places à bord et un vaste coffre, avec une faible consommation puisqu’elle ne pèse que 900 kg, poids record pour un véhicule de 4,26 m. Et son prix est un camouflet pour ses concurrentes : entre 5 000 et 10 000 euros, selon les pays, la motorisation, et le degré d’équipement. Conçue pour les pays en voie d’industrialisation, la Logan sera la grande absente du salon de Paris. Tant mieux pour le confort mental de ses visiteurs, qui continueront ainsi à ignorer qu’en matière d’automobiles, la véritable intelligence c’est la simplicité.

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