Saint Césaire expliqué au profane

L’oeuvre de l’écrivain martiniquais regorge de termes rares. René Hénane s’est employé à les décrypter, livrant au lecteur de véritables pépites.

Publié le 27 septembre 2004 Lecture : 3 minutes.

S’il est un auteur difficile d’accès, c’est bien Aimé Césaire. Traduit et étudié dans le monde entier, l’homme de lettres martiniquais, un des pères fondateurs du mouvement de la négritude, qui a soufflé le 26 juin dernier ses quatre-vingt-onze bougies, est un poète à l’univers hermétique.
C’est sans nul doute cela qui a conduit René Hénane, médecin des armées épris de poésie, à consacrer un troisième ouvrage, Glossaire des termes rares dans l’oeuvre d’Aimé Césaire, à cet écrivain qu’il a rencontré pour la première fois en 1986. « Quand j’ai été affecté à Fort-de-France, comme médecin général au service de santé, je me suis dit que c’était l’occasion de mieux percer le mystère de ses écrits, la complexité voire « l’obscurité » de son oeuvre poétique. »
René Hénane, qui parle l’arabe pour être né au pied du massif des Aurès et avoir exercé en Algérie, dispose d’une grande ouverture d’esprit. Sa mère est française et son père, comme il le dit lui-même, est « berbère kabyle chrétien ». Il est également membre du Centre césairien d’études et de recherches, qui regroupe tous les spécialistes de l’oeuvre du poète. Il dit donc avoir une certaine sensibilité aux cris qui traversent l’écriture de l’auteur de Et les chiens se taisaient. C’était loin d’être suffisant ! « Lorsque je lui posais des questions, poursuit-il, Césaire me renvoyait au texte. Oui, il ne pouvait pas écrire et expliquer ! Je me suis alors mis à la quête des origines de tel ou tel mot. » Mais ce n’est qu’à partir de 1994, une fois sa retraite prise, que viendra à Hénane l’idée de faire connaître ses trouvailles.
« Le raffinement intellectuel et gourmand avec lequel Césaire use de l’archaïsme donne une saveur particulière qui frise le cultisme et la préciosité baroque, souligne-t-il. Mais ces mots archaïques, sous leur aspect anodin, cachent de perfides pièges à contresens. » Des exemples ? « Face de puits », dans Les Armes miraculeuses, signifie « face puante ». « Les fougues de chair vive » désignent le mât d’un bateau. C’est un sens ancien du mot « fougue ». Dans le Cahier d’un retour au pays natal, on lit : « Ô terre almée… » Ce dernier mot vient de l’arabe el-aalma, « la savante ». « Terre almée » voudrait donc dire « terre ayant une âme ». Toujours dans le Cahier, on tombe sur « jiculi ». Parfois traduit par « peyotl », cette plante mexicaine hallucinogène, « jiculi » est loin de désigner ici une drogue, mais le sperme. Probablement un terme inspiré du latin jaculari, qui a donné « éjaculer ».
La poésie et le théâtre de Césaire exigent donc une lecture patiente. On dira que c’est une littérature pour initiés. René Hénane est entré dans la forêt sacrée. Il en est sorti physiquement lessivé par des centaines d’heures passées à lire Césaire lui-même, mais aussi quantité d’articles, de critiques et de thèses. Sans parler des voyages qu’il a faits pour rencontrer des auteurs ayant travaillé sur le poète martiniquais. Mais, à l’arrivée, une jubilation intellectuelle certaine, pour lui et pour tous les passionnés désireux de mieux comprendre Césaire.
En parcourant le livre, qui éclaire d’un jour nouveau l’oeuvre de Césaire, on s’aperçoit que le chemin qui va du Cahier d’un retour au pays natal à Moi, Laminaire, Toussaint-Louverture ou encore Victor Schoelcher et l’abolition de l’esclavage n’est porté que par des feuillages du terroir. Césaire a la force des mots et des images, mais il a peu usé de néologismes. Au point que, sur les mille mots recensés, l’auteur d’Aimé Césaire, le chant blessé, biologie et poétique (Jean-Michel Place, 1999) et des Jardins d’Aimé Césaire (L’Harmattan, 2003), n’en a guère déniché que trois.
Cet ouvrage est sans aucun doute l’étude la plus complète sur l’écriture du poète, essayiste et dramaturge qu’est Aimé Césaire. Et cela sans chercher à influencer le lecteur qui reste maître de ses propres appréciations. Hénane a livré là de véritables pépites. On a envie de lui dire : « Chapeau ! »

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