Laura Nsafou : quand la littérature développe l’estime de soi des petites filles noires

Avec Comme un million de papillons noirs, un livre qui aide à développer l’estime de soi des petites filles noires, Laura Nsafou s’interroge aussi sur la question de la diversité dans le paysage de la littérature jeunesse en France.

Laura Nsafou. © DR

Laura Nsafou. © DR

eva sauphie

Publié le 14 juin 2017 Lecture : 5 minutes.

L’auteure française née de parents antillais et congolais est plus connu sous le nom de Mrs Roots – du nom de son blog afro-féministe. Laura Nsafou passe désormais à la publication physique en collaborant avec Bilibok, un éditeur jeunesse indépendant proposant des albums personnalisés et représentatifs de la société actuelle. Au programme : des héros qui ressemblent aux enfants et des modèles familiaux qui s’éloignent des carcans traditionnels et normés.

Comme un million de papillons noirs – titre faisant échos à une phrase tirée du roman God help de Toni Morrison -, verra le jour à la rentrée prochaine. L’album traite avec poésie et bienveillance de la difficulté pour une petite fille noire à accepter ses cheveux crépus. Et aide ainsi à développer l’estime de soi tout en appelant tous les enfants à l’empathie.

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« Une petite fille qui n’aime pas ses cheveux à cause des moqueries » : tous les enfants noirs de France ont vécu cela au moins une fois dans leur vie. J’imagine que le personnage d’Adé est né de votre propre expérience ?

Oui, quand j’étais petite, on se moquait de mes cheveux. Je me souviens avoir demandé à ma mère, en rentrant de l’école, de refaire mes nattes. Et de lui avoir dit que je n’aimais pas mes cheveux, pas que j’avais été victime de moqueries. Elle a vite compris ce qu’il s’était passé et a refusé de me recoiffer en me disant que j’étais belle comme ça.

Cette anecdote a été le point de départ de l’histoire. Il était important de rappeler que la question des cheveux relève aussi du rapport à la mère. Petite, il m’arrivait souvent de m’endormir quand ma mère me tressait. Il était important pour moi que ces rituels soient un point central du livre. Souvent les personnages noirs dans la littérature jeunesse sont très décentrés. Ils sont juste noirs. On ne voit pas la relation qu’ils entretiennent avec leurs parents.

La promesse du livre : aider à développer l’estime de soi des petites filles noires. L’empowerment doit se jouer dès l’enfance ?

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Oui, tout à fait. Outre le manque de représentation, la littérature jeunesse qui traite de la thématique du racisme se concentre en général sur la question de l’enfant qui ne s’aime pas en excluant la part de responsabilité que peuvent avoir les autres.

On n’explique pas d’où vient le mal-être, on n’aborde pas la question du regard des autres et des remarques qui amènent l’enfant à penser comme cela. Le rejet commence dès la petite enfance. Cette tendance à imaginer que les enfants sont tous bienveillants entre eux n’existe pas.

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Comprendre que l’estime de soi commence tout petit, c’est aussi reconnaître qu’un enfant peut être victime de micro-agressions. Et ceci de passer par la prise de conscience des professeurs face au harcèlement lié à la « négrophobie », et celle des parents face au désir que peut avoir un enfant de ressembler à la poupée blanche ou tel autre personnage blanc.

Quand Bilibok m’a approchée pour le projet, on souhaitait faire un livre pour enfant qui traiterait de la réappropriation du cheveu afro par l’enfant, en l’accompagnant. Parce que ce cheminement n’est pas facile, il est progressif et commence très jeune.

Le livre s’adresse à tous les enfants et appelle à la tolérance…

Il y a cette question de responsabilité commune. On est tous responsables – discours des parents, des médias etc. – de la manière dont les enfants vont reproduire certaines discriminations ou en être victimes. Sans oublier la nécessité de rappeler que c’est ensemble que ce type de littérature, où certains enfants sont invisibles, peut exister.

J’aurais aimé voir un livre comme ça quand j’étais petite dans la bibliothèque de mon école par exemple. Au même titre que j’aurais aimé que les enfants qui me demandaient si mes cheveux étaient de la laine ou de la corde, puissent avoir accès à ce genre de livres. C’est un support pour les parents et les enfants afro, mais aussi pour les personnes non concernées, lesquelles peuvent ouvrir l’horizon à leurs enfants.

Justement, en tant qu’auteure afro-féministe, enfant des années 90, quel est votre regard sur la place accordée aujourd’hui aux héroïnes féminines noires dans le paysage de la fiction ?

C’est difficile d’établir une tendance globale. Mais du côté des séries télé, on voit apparaître toute une génération de femmes noires aux premiers rôles, comme Kerry Washington et Viola Davis, dans Scandal et How to Get Away With Murder. En plus de cette représentation à l’écran, il y a tout le discours qui s’accompagne. Quand Viola Davis a récupéré son Oscar avec ses cheveux afro, qu’elle a avoué avoir galéré en tant que femme noire de plus de 40 ans dans le milieu du cinéma, cette transparence était nouvelle.

Dans le domaine de l’édition, le changement est considérablement plus long. Le marché français a tendance à traduire ce qu’il se fait aux États-Unis plutôt qu’à soutenir et diffuser ce qui est produit par des francophones et surtout par des personnes représentantes de la diversité : qu’elles soient mélaniques ou autres.

Il y a une demande de changement, on le voit sur les réseaux sociaux en réaction à la campagne du lancement du livre par exemple, mais il faut aussi que les professionnels du secteur, de l’industrie du cinéma à l’industrie du livre, en prennent conscience.

Avez-vous dialogué avec Barbara Brun, illustratrice du livre, pour travailler les spécificités physiologiques d’Adé ?

C’était très important d’avoir un éditeur très à l’écoute comme Bilibok. Je tenais vraiment à ce que l’on ne tombe pas encore dans le colorisme : teint métis, cheveux bouclés. Je voulais une petite fille à la peau noire de peau avec les cheveux crépus. Les illustrateurs n’ont tellement pas l’habitude de voir ce genre de personnages dans les livres qu’ils se retrouvent face à un point d’interrogation.

Les personnages secondaires étaient très importants aussi : on voit une diversité au niveau des physiques, des types de cheveux et des coiffures, mais aussi des origines.

Barbara a été très à l’écoute. Cela n’aurait pas eu de sens de proposer une telle histoire et de retomber dans le piège des dessins très européanisés qui nous rendent, in fine, invisibles.

Enfin, l’histoire se passe en France, du moins en Occident, avec tout ce que cela implique. Le but était de décoloniser un imaginaire global. Et ce, autant via le texte que l’illustration.

Comme un million de papillons noirs est disponible en précommande sur le site de Bilibok via la campagne Ulule.

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