Où le bonheur fait l’argent…

Publié le 27 septembre 2004 Lecture : 5 minutes.

La plupart d’entre nous pensent que « l’argent fait le bonheur », comme l’affirme depuis fort longtemps la sagesse des nations. « À tout le moins, il y contribue beaucoup », soutiennent ceux qui, à la lumière de l’expérience, estiment nécessaire de nuancer le propos.
J’ai déjà traité de la relation entre l’argent et le bonheur dans ces colonnes, et j’y reviens pour deux raisons :
– le sujet vous intéresse tout autant que moi, si j’en crois vos réactions ;
– les chercheurs qui se passionnent pour l’étude des méandres de cette relation dialectique ont élargi le champ de leur recherche au monde entier. Et, par le truchement des revues scientifiques qu’ils utilisent pour faire part de leurs découvertes(*), nous apprennent que la relation entre argent et bonheur est moins simple qu’on l’a cru :
Ils établissent que l’argent ne fait pas toujours le bonheur et n’y contribue pas nécessairement, alors que le bonheur, lui, permet très souvent à un individu comme à une nation de gagner plus d’argent et même de s’enrichir.

Je vous livre les constatations qu’ils ont faites et les conclusions auxquelles ils sont parvenus, dont certaines sont étonnantes.
1) Sur une échelle de 1 à 7 (du moins heureux au plus heureux), on trouve certes que les hommes et les femmes les plus riches se disent généralement heureux ou très heureux (ils sont notés entre 5 et 6). Mais on découvre avec surprise beaucoup de « foyers de bonheur » dans des endroits inattendus comme :
– le Groenland, où les gens vivent toute l’année dans un froid glacial (- 20 °C) et des conditions spartiates ;
– le Kenya, chez des éleveurs déshérités qui dorment dans des huttes sans chauffage, ni eau, ni électricité.

la suite après cette publicité

2) L’argent fait vraiment le bonheur d’un individu ou d’une nation lorsqu’il les fait passer du dénuement total à un relatif confort : celui qui se nourrit convenablement, est logé, accède à l’eau courante, à l’électricité et au chauffage, après avoir été privé de ces besoins fondamentaux, se sent heureux.
L’argent fait votre bonheur lorsque vous passez de rien à quelque chose et lorsqu’il vous donne une possibilité, fût-elle limitée, de choisir entre deux biens (poisson ou viande, légume ou fruit, par exemple).
Mais les pas suivants, qui conduisent à une vie beaucoup plus confortable ou plus luxueuse, ne procurent pas toujours et pas forcément du bonheur ou autant de bonheur : autrement dit, le bonheur ne grandit pas avec la prospérité.
Il arrive même, et plus souvent qu’on ne le pense, que plus de prospérité engendre de nouvelles aspirations : à un moment donné, le luxe et le superflu en viennent à être considérés comme des besoins, et ne pas pouvoir les satisfaire est alors ressenti comme une frustration.
En tout cas, les citoyens des États-Unis, ceux du Japon ou des pays de l’Europe occidentale et du Nord, dont le revenu a été multiplié par trois ou quatre au cours des soixante dernières années, n’ont pas vu leur degré de bonheur ou de satisfaction suivre la même progression. Conclusion : plus d’argent n’apporte pas plus de bonheur et beaucoup plus d’argent ne vous donne en aucun cas beaucoup plus de bonheur.

3) Si on ne sait toujours pas qui de l’oeuf ou de la poule précède – et fait – l’autre, on sait en revanche, grâce aux chercheurs qui se sont consacrés à la question, que les personnes qui se sentent heureuses gagnent plus d’argent. C’est qu’elles travaillent mieux, ont une meilleure productivité, un moral de gagnant et une stabilité propice au progrès social.
Dans leur cas, qui n’est pas aussi rare qu’on le croyait, le bonheur aide puissamment à gagner plus d’argent voire à s’enrichir.

4) La découverte la plus intéressante de nos chercheurs permet d’introduire le facteur politique dans la relation dialectique entre argent et bonheur :
Les nations qui se sont enrichies au point de devenir prospères ont, à un moment ou à un autre de cet itinéraire, accédé à la démocratie.
Si toutes les démocraties ne sont pas riches – la majorité des citoyens du Sénégal, de l’Inde, de l’Afrique du Sud sont encore pauvres -, tous les pays riches, ceux dont le revenu global et par habitant est élevé, sont des démocraties bien établies.
Les droits de l’homme, de la femme et de l’enfant y sont (en général) respectés, la justice y est indépendante et on y vit sous le règne de la loi ; le système de santé et de sécurité sociale protège les citoyens. De tout cela il résulte un sentiment général de sécurité et de bien-être qui contribue plus que l’argent au bonheur des gens.

5) Mais la médaille a son revers. Les gouvernants de ces mêmes nations démocratiques étant élus et ne pouvant se maintenir au pouvoir que si leurs concitoyens les réélisent, ils seront tentés « d’aller dans le sens du vent ».
Dès lors que plus d’argent ne donne pas à leurs électeurs-citoyens plus de bien-être et de bonheur, les dirigeants des démocraties riches auront tendance à consacrer plus d’attention au social qu’à l’économique et voudront de plus en plus répartir les richesses acquises, au détriment de l’effort qui permet d’en produire de nouvelles.
C’est le danger qui guette :
– les sociodémocrates de tous les pays lorsqu’ils sont au pouvoir ;
– et, plus grave, les démocraties les plus avancées et la démocratie en tant qu’idéologie.

la suite après cette publicité

Dans leur majorité, les citoyens de ces démocraties en arrivent à vouloir travailler de moins en moins (dans la semaine comme dans leur vie) pour bénéficier de plus de temps de loisirs, au cours de leur vie active. Et d’une retraite prise plus tôt…
Ils se font alors rattraper puis distancer par des nations, démocratiques ou moins démocratiques, mais qui ont plus de jeunesse et d’énergie.
Non rassasiées, ces dernières « en veulent » encore et trouvent du bonheur dans le progrès économique et… l’accès à plus de richesse.

La relation entre argent et bonheur n’est décidément pas simple. Dans ce tandem, aucun des deux ne fait l’autre, mais aucun des deux n’est absent ou très loin lorsque l’autre est là.
Et aucun des deux ne vous est durablement acquis si vous ne vous donnez pas la peine de vous en occuper, de veiller à ce qu’il demeure votre compagnon.

la suite après cette publicité

* Psychological Science.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires