Mao proclame la République populaire de Chine
« Le peuple chinois est debout ! » C’est par ces mots que Mao Zedong annonce, devant plus de 200 000 personnes réunies à la Porte de la Paix Céleste, sur la place Tiananmen, à Pékin, la fondation de la République populaire de Chine. Les cheveux au vent, parlant d’un balcon qui soutient un immense portrait de sa personne, le nouveau président du pays le plus peuplé de la planète, avec plus de 500 millions d’habitants, peut savourer sa victoire après un combat qui aura duré plus de vingt-cinq ans pour établir un régime dominé par les communistes. Un régime qui va redonner sa place à « une grande nation vaillante et travailleuse », laquelle ne « s’est laissé distancer par d’autres que dans les temps modernes » et « ne sera plus jamais humiliée ».
Avant que défilent sous les vivats de la foule les troupes de l’armée rouge, qui exhibent fièrement des camions et des blindés américains saisis lors des combats contre les soldats nationalistes du Guomindang de Chiang Kai-shek, on a hissé le nouveau drapeau chinois, un drapeau rouge avec cinq étoiles d’or, l’une, beaucoup plus grande, symbolisant le Parti communiste, les quatre autres représentant les classes sociales composant le nouvel État : ouvriers, paysans, « petits bourgeois » et bourgeoisie nationale. Cet avènement de la République populaire est un événement mondial majeur : il marque le basculement d’une bonne moitié de la planète dans le camp socialiste, en train de devenir dominant dans un « Orient rouge » que célèbre déjà dans son discours du 1er octobre le nouveau « fils du ciel ». D’ailleurs, pour son premier voyage à l’étranger, dès le mois de décembre, Mao, qui n’avait encore jamais quitté son pays, ira à Moscou négocier un traité instituant une alliance avec l’URSS de Staline. La « guerre froide », cette fois, est irréversible, comme la guerre de Corée le prouvera bientôt.
Ce jour-là, en fait, Mao anticipait la fin de la longue lutte des révolutionnaires pour conquérir le pouvoir. Début octobre, les nationalistes tiennent encore Canton et d’autres grandes villes dans le sud du pays. Mais l’issue des combats avec les communistes, qui avancent rapidement sur tous les fronts depuis la chute de Pékin début 1949 et celle de Nankin et Shanghai au printemps, ne fait déjà plus de doute. Désormais, l’armée rouge, dans tout le pays, est bien « comme un poisson dans l’eau », selon la célèbre formule souvent attribuée à Mao et qui est du général Peng Duhai. Les ralliements de responsables civils et militaires se multiplient. Et, dès le début de 1950, Chiang Kai-shek ne règne plus que sur l’île de Formose – aujourd’hui Taiwan – où il s’est réfugié, sous la protection, bientôt, de la flotte américaine. Nul n’aurait parié sur une telle issue de la guerre civile quelques années auparavant. Depuis la création du Parti communiste chinois, le 23 juillet 1921, à Shanghai, par douze hommes dont Mao, la nouvelle formation a eu du mal à concurrencer le Guomindang fondé par Sun Yat-sen, qui se bat depuis le début du xxe siècle pour libérer la Chine des puissances étrangères. Certes, il y eut des alliances entre les deux mouvements, notamment pour combattre ces « seigneurs de guerre » qui affaiblissent et ruinent le pays ou, surtout, face à la menace japonaise. Mais, le plus souvent, après l’arrivée de Chiang Kai-shek à la tête des nationalistes au milieu des années 1920, les rivaux s’affrontent les armes à la main, et les « rouges » sont sur la défensive.
Ainsi, la fameuse « Longue marche », qui permit enfin à Mao de s’affirmer comme le numéro un du parti en 1934-1935, fut avant tout une fuite désespérée de quelques dizaines de milliers de combattants communistes qui durent parcourir plus de 10 000 km pour échapper aux 400 000 hommes des troupes du Guomindang. En 1945, alors que Chiang Kai-shek, allié des Américains, apparaît comme l’un des grands vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, son emprise sur l’empire du Milieu paraît définitive. Mais ses troupes sont sans idéal et son camp est miné par la corruption. Le génie militaire de Mao, théoricien de la guerre révolutionnaire menée à partir des campagnes, fera le reste.
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