L’ONU à l’heure de Libreville

Le ministre des Affaires étrangères Jean Ping préside l’Assemblée générale des Nations unies pour un an. Une consécration pour la diplomatie du pays.

Publié le 27 septembre 2004 Lecture : 4 minutes.

Bureau C-204, deuxième étage du bâtiment de l’Assemblée générale des Nations unies, le 21 septembre. Jean Ping, ministre d’État chargé des Affaires étrangères, de la Coopération et de la Francophonie du Gabon va et vient dans ses nouveaux locaux. Protégé par plusieurs barrages de vigiles et des dizaines d’agents de sécurité, c’est l’un des bureaux les plus importants de l’institution. Le diplomate a pris ses fonctions de président de la 59e session de l’Assemblée générale (AG) des Nations unies une semaine auparavant, et doit ouvrir les travaux de l’Hémicycle le jour même. Mais avant que les grands de ce monde, rassemblés pendant deux jours à New York, délivrent leur discours de politique générale, les chefs d’État et de gouvernement commencent, dès 8 h 15, à se succéder dans le cabinet de Jean Ping.
À raison d’un rendez-vous tous les quarts d’heure, entre les séances de l’AG, de déjeuners et réceptions en tout genre, il faudra à « monsieur le Président » une quinzaine de jours pour rencontrer tous ceux qui ont sollicité un entretien. Un défilé qui sonne comme une consécration pour ce diplomate chevronné, et représente surtout une occasion de taille pour consolider l’image et la représentativité du Gabon sur la scène internationale (voir encadré). Pour les Gabonais, l’élection de Ping à la tête de l’AG est ainsi une reconnaissance du rôle du président Omar Bongo Ondimba sur le continent, et devrait lui permettre d’être davantage présent dans le reste du monde. « Il n’est pas besoin d’être un « grand » pays pour avoir une forte diplomatie », assure Jean Ping. La liste des noms sur son agenda en est la preuve.
George W. Bush, le président des États-Unis, Luiz Inácio « Lula » da Silva, son homologue brésilien, Junichiro Koizumi, le Premier ministre japonais : les trois premières rencontres privées de Jean Ping ont donné le ton d’un mandat inscrit dans l’ère des bouleversements mondiaux. La 59e session, qu’il présidera jusqu’en septembre 2005, est une « année charnière », selon ses propres mots. L’an prochain, l’Organisation des Nations unies (ONU) fêtera son soixantième anniversaire, alors que la guerre en Irak, le bellicisme des états-Unis et la nouvelle donne internationale perturbent le fonctionnement bien – et trop – rodé de l’institution. La réforme de son système rouillé figure d’ailleurs parmi les priorités de Ping. Le ministre d’État souhaite avant tout « endiguer l’érosion de l’autorité de l’AG », véritable organe moral du système puisque les 191 États membres de l’ONU y sont représentés, mais qui, au fil du temps, a perdu de son autorité morale au profit du Conseil de sécurité. Il s’agit aussi pour Ping de « faire montre de volonté politique pour faire avancer l’importante question de la réforme de ce Conseil de sécurité », un « club » de moins en moins représentatif des forces réelles de la communauté internationale. « La plupart de mes entretiens avec les chefs d’État et de gouvernement ont porté sur cette question de la réforme. C’est, aujourd’hui, un enjeu majeur en diplomatie », explique-t-il.
Le président aura également la lourde tâche de faire appliquer la rationalisation de l’ordre du jour, regroupé dorénavant en neuf rubriques pour éviter de se perdre dans les innombrables petites questions, au détriment de débats autrement plus importants.
C’est un rôle assez ingrat, reconnaît le nouveau locataire du bureau C-204, installé confortablement dans un fauteuil en cuir blanc, profitant d’un court moment de répit entre une entrevue avec le ministre bosniaque des Affaires étrangères et un déjeuner offert par le Premier ministre japonais. « Du pouvoir, j’en ai à la fois beaucoup et trop peu. » Beaucoup, car il peut mettre en valeur – ou en veilleuse – certains sujets. Mais peu, car s’il n’est pas saisi par un pays sur une question, il ne peut rien faire. Les connaisseurs de l’ONU le confirment : le président de l’Assemblée générale est tributaire de la lourdeur et de la bureaucratie de l’organe qu’il dirige et représente. Les plus sceptiques ne s’intéressent d’ailleurs même plus aux résolutions votées par l’AG.
À leurs yeux, le mandat de Ping représente plutôt une transition entre l’ancien système et le nouveau, puisque la réforme tant attendue des organes de direction de l’ONU n’aboutira pas cette année. « Mais même si la décision n’est prise que l’année prochaine, c’est cette session qui la prépare, souligne le diplomate. C’est un peu frustrant, mais nous devons faire ce travail. L’année 2005 est très importante, avec l’évaluation des Objectifs du millénaire [sur la réduction de la pauvreté, NDLR]. Si, avant ces échéances, nous arrivons à montrer que les décisions sur la revitalisation sont mises en oeuvre, que la coopération entre les principaux organes se déroule correctement, on aura fait un pas. » Pour cela, le ministre gabonais possède déjà de bons alliés. À le voir étreindre chaleureusement Lula après son discours devant les chefs d’État, échanger des regards complices avec Kofi Annan, assis à sa droite devant l’Hémicycle, et murmurer à l’oreille de Jacques Chirac, on comprend que le ministre, toujours avenant, est à l’aise avec sa nouvelle casquette et compte bien faire passer les questions de développement avant les enjeux de sécurité.
Huitième représentant de l’Afrique subsaharienne à présider l’AG, et premier de l’Afrique centrale, il veut surtout que son pays, la sous-région et le continent profitent de ses nouvelles responsabilités. Pour commencer, il a nommé dans son cabinet, outre une dizaine de Gabonais, un conseiller camerounais, un Sénégalais et un Angolais. Rendez-vous dans un an pour savoir si la diplomatie africaine aura, elle aussi, « fait un pas ».

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