Le candidat Kerry recalé à l’écrit
L’adversaire de George Bush à la présidentielle de novembre a pris la plume pour raconter sa vie et exposer son programme. Pas très emballant !
Sprint final dans la course à la Maison Blanche. À force de recevoir des coups bas, John Kerry, le candidat désigné des démocrates, ne peut désormais plus ignorer quels sont ses points faibles. Ceux qui lui interdisent – jusqu’à nouvel ordre… – de capitaliser sur son nom la plus-value électorale dont les déboires de l’administration Bush en Irak auraient dû le faire bénéficier. Il est considéré comme « trop intello » par l’Amérique profonde et suspect d’avoir été trop pacifiste lors de la guerre du Vietnam, où il s’est pourtant illustré. Enfin, faute de disposer de la même expérience d’homme d’État que celle dont son rival s’enorgueillit malgré ses fortunes diverses, Kerry doit faire connaître l’homme « tout court », répondre aux « Qui est-il ? » et « Que veut-il ? » trop souvent entendus autour de lui.
Résultat : un livre, réalisé (plutôt que rédigé) avec l’aide d’une équipe imposante, hollywoodienne, remerciée par l’auteur en fin de volume, dont on devine sans peine les objectifs. John doit apparaître en bon fils, bon époux, bon soldat, bref comme un gars dont les qualités sont de celles qu’apprécient les fermiers du Middle West. Plus près du ceinturon que de la casquette !
Cette mission a été manifestement accomplie au-delà de toute espérance, au grand dam des lecteurs qui auraient cru pouvoir placer sous la casaque démocrate les quelques valeurs ayant échappé au rouleau compresseur des néocons de George W.
Qu’on en juge : d’abord, ces confidences, imprimées en italique dans le texte. Par exemple sur les vraies motivations du champion des démocrates concernant la protection de l’environnement : « Si le Sommet de Rio de 1991 reste aussi présent à mon esprit, c’est parce que ce fut la première fois que j’eus l’occasion de passer de longues heures en compagnie de ma future épouse, Teresa. » Ou encore : « Ma mère organisait le recyclage des déchets dans notre quartier à une époque où l’on n’y voyait guère qu’une initiative pour limiter le volume des ordures »… Pour d’autres, il semble qu’il s’agit de vérités profondes, ainsi soulignées pour mieux « faire maxime », comme celle-ci : « La blague qui circule à Washington est que la subvention sur la laine et le mohair offre la première preuve irréfutable que la vie après la mort n’est pas impossible. »
Si l’on se détourne de la joue complaisamment tendue par Kerry à ses lecteurs pour se consacrer aux aspects plus spécifiquement politiques de ce document, on peut feuilleter la liste des six grands défis auxquels l’Amérique – et, partant, son futur président – se trouvera confrontée dans les années qui viennent.
1 : Elle devra « défendre ses valeurs et ses intérêts » (ce n’est pas tout à fait une surprise). L’occasion, pour l’auteur, d’un numéro d’équilibriste délicat dans sa promotion d’une « stratégie multilatérale et multidimensionnelle » : « Le prochain candidat démocrate à la présidence devrait, et c’est un minimum, n’avoir pas davantage ménagé ses critiques à la France et à la Russie pour l’obstructionnisme dont elles ont fait preuve aux Nations unies lors du débat sur l’Irak, qu’à l’administration Bush, coupable de n’avoir éprouvé que mépris pour l’idée d’une vaste coalition internationale. » Voilà ce qui s’appelle ne pas mâcher ses mots !
2 : Accroître la prospérité nationale. Là, si Kerry s’oppose nettement à la réduction des impôts bénéficiant aux plus riches qui tient lieu à Bush de politique économique, la valeur ajoutée qu’il apporte aux mesures qui firent la prospérité des « années Clinton » relève surtout du wishful thinking : « Ce que je souhaite, c’est que s’amorce le cercle vertueux de la prospérité, avec davantage de croissance, des revenus plus élevés, plus de richesse pour toutes les catégories de la population, des recettes plus importantes, un excédent budgétaire et une inflation réduite, un faible taux de chômage et des taux d’intérêt plus bas. » (Sic !)
3 : L’enseignement (il faut penser à tous les laissés-pour-compte de l’éducation).
4 : La santé : ayant été récemment opéré de la prostate, John affirme qu’il a, si l’on peut dire, touché du doigt les vices du système de soins de son pays.
5 : L’environnement : on a vu le « pourquoi ». Le « comment » tient surtout à la confiance portée par Kerry à l’hydrogène et aux énergies renouvelables. Il ne fait que rapidement allusion à la position américaine dans les négociations internationales en cours.
6 : Redynamiser la démocratie et la citoyenneté, un chapitre conçu pour ne choquer personne : les femmes, les handicapés, les homosexuels et les minorités de tout poil s’y retrouvent côte à côte, réunis sous ce « flambeau [qui] éclaire les ténèbres et où nous nous donnons en exemple au monde ».
Mais l’essentiel de cet opus qui court à travers ses pages de la première à la dernière, tout à la fois illustration, dépôt de mémoire, référence omniprésente et clef de voûte du raisonnement de l’auteur, est bel et bien le Vietnam. Kerry y puise sa légitimité, ses leçons, ses amis. De quoi boucher les artères de l’ancien président Bill Clinton qui, depuis son lit d’hôpital, avait exhorté son candidat à changer son antienne et à masquer ses obsessions !
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