Mode : cinq questions à Gilles Touré, dans ses ateliers à Abidjan

Lassé du secteur de la mode, le styliste ivoirien présentait toutefois sa dernière collection « A Fleur de Peau », mi mars, à l’occasion du festival N’Zassa, à Abidjan.

Gilles-Toure

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eva sauphie

Publié le 15 mars 2017 Lecture : 4 minutes.

Celui qui a fait ses armes chez Paco Rabanne en tant que stagiaire, et qui fêtait ses 20 ans de carrière en grande pompe il y a deux ans, semble vouloir prendre ses distances avec la mode. Pourtant, le styliste ivoirien n’a rien perdu de sa superbe. Et encore moins ses exigences de diva qui font aussi ce qui l’est, à savoir un artiste.

Sur le point d’annuler notre rencontre à cause d’un léger retard, la faute aux embouteillages abidjanais, Gilles Touré ne nous accordera que quelques minutes d’entretien, et n’acceptera pas qu’on le prenne en photos. En cause, une petite mine due à un travail de longue haleine pour préparer sa dernière collection de robes de gala baptisée « A Fleur de peau », qu’il présentera le soir-même sur l’esplanade de Cap Sud à l’occasion du festival N’Zassa.

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Quand on rejoindra finalement ses ateliers, nichés dans une résidence paisible aux Deux Plateaux à Abidjan, on découvrira des mètres de pans de tissus aux imprimés aussi variés qu’attrayants, sommeillant paisiblement au fond du showroom, une demi-douzaine de bustes de couture habillés de créations en pagne, et l’enseigne Gilles Touré placardée sur les deux murs opposés, pour nous rappeler que l’on se trouve bel et bien chez l’un des designers les plus respectés de l’Afrique de l’Ouest.

Enfant prodige de la création sur-mesure pour femme, maître du pagne, des robes de gala et autres uniformes d’une élégance rare… Bref, Gilles Touré fait partie, avec son aîné Pathé’O, styliste que l’on ne présente plus, du panthéon de la mode en Côte d’Ivoire.

Raison pour laquelle il ne pouvait manquer à l’appel de Ciss Saint Moïse pour participer au défilé des « Cultures métissées » aux côtés de son confrère et de quelques jeunes pousses de la mode venues de l’Ouest comme de l’Est, mais aussi d’Afrique du Sud. Parce que malgré son apparent détachement, Gilles Touré n’est pas prêt de larguer les amarres.

Un mot sur la collection que vous allez présenter ce soir ?

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La collection « A Fleur de peau », que j’ai déjà présentée à Dakar, est très fraîche et sensible. Après 20 ans de carrière, j’ai eu envie de m’assagir, de préparer une collection plus calme et sage. Après toutes ces années dans le métier, j’ai eu l’impression d’avoir fait le tour. J’ai ressenti le besoin de faire une pause, d’observer, de faire le bilan. Je ne peux pas m’arrêter parce que je ne sais faire que ça, voilà pourquoi aujourd’hui je propose du Gilles Touré que l’on n’attend pas forcément. Et je suis impatient d’avoir le retour du public.

Est-ce que l’Afrique vous inspire encore ?

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Je ne sais pas. Je suis un peu blasé en ce moment. Il y a énormément de choses qui se font, mais j’ai le sentiment que l’on tourne en rond. S’il on se penche sur les pays anglophones, là il y a des choses qui se passent. Mais en Afrique francophone, on stagne.

Justement, ce soir, le défilé des Cultures métissées proposera une vision assez globale de la mode africaine avec des créateurs venus de la Côte d’Ivoire, du Cameroun, mais aussi du Ghana et d’Afrique du Sud… Un pas vers la solidarité entre les pays d’Afrique ?

C’est exactement ce dont on a besoin. Raison pour laquelle j’ai accepté, avec plaisir, de participer à ce défilé. Ce genre d’initiatives nous permet de découvrir une autre vision de la mode, de rencontrer de nouveaux créateurs. Nous n’avons pas toujours l’occasion de venir vers eux. Alors le fait que des stylistes anglophones viennent vers nous offre une très belle opportunité de découvrir leur travail et de vivre une belle expérience.

Le fait qu’un certain nombre de personnes viennent de l’extérieur, parmi les créateurs mais aussi parmi les invités, va mobiliser une autre presse. Depuis mes débuts, la même presse vient vers moi ou les autres designers ivoiriens. Donc, j’espère vraiment que cette 2e édition va aboutir sur une nouvelle dynamique, va ouvrir les frontières.

Des défilés, nous en faisons. Beaucoup. Là, je souhaite que cet événement apporte un réel plus. Mais je suis optimiste.

En tant que designer établi, quel message avez-vous envie de transmettre à la nouvelle génération, pour éviter cet essoufflement de la mode francophone ?

Tout d’abord, qu’ils se forment. Il y a énormément de jeunes talents mais la mode est un vrai métier. Ensuite, il faut être patient. La nouvelle génération est pressée de monter sur les podiums, mais ça ne sert à rien quand on n’est pas prêt. Le plus important n’est pas de monter sur le podium mais d’y rester !

Croyez-vous en une possible industrialisation de la mode africaine ?

On attend cela depuis 10 ans ! Vous savez… de Paris à New York, en passant par Tokyo et Singapour, on a envie d’être dans les boutiques et de voir nos créations aux côtés de Saint Laurent, de Dior ou de Chanel. Ceci ne sera possible qu’à partir du moment où l’Afrique sera industrialisée ! Je n’arrive pas à comprendre pourquoi on n’y parvient pas, et pourtant cela fait un moment qu’on en parle. Aujourd’hui, on nous demande 500 ou 1000 pièces chez Harold à Londres, et nous sommes incapables de fournir… Du coup, cette mode venue d’Afrique, qui est très belle, reste au stade artisanal, et c’est dommage. Il y a tellement de choses à faire.

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