La dépigmentation volontaire : un problème de santé publique, mais…

Considérés comme illicites, les produits éclaircissants sont pourtant commercialisés sous différentes formes, du savon au lait en passant par la crème, et ce en l’Europe comme en Afrique.

La Côte d’Ivoire interdit les produits de dépigmentation de la peau © AFP

La Côte d’Ivoire interdit les produits de dépigmentation de la peau © AFP

eva sauphie

Publié le 7 juin 2017 Lecture : 4 minutes.

Considérés comme illicites, les produits éclaircissants sont pourtant commercialisés sous différentes formes, du savon au lait en passant par la crème, et ce en l’Europe comme en Afrique.

Les ravages de la dépigmentation volontaire sur la santé publique

Trois substances principales composent ces produits : la cortisone, le mercure et l’hydroquinone. Aujourd’hui « on retrouve même des injections à base de glutathion, c’est grave », s’insurge Catherine Tetteh, présidente de l’ONG Melanin Foundation, esthéticienne et chercheuse en santé publique.

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Des molécules détournées de leurs usages thérapeutiques –  seuls sont considérés comme médicaments les produits de santé ayant fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France – qui se retrouvent en vente libre sur Internet, dans les échoppes parisiennes et autres grandes villes. Mais aussi sur les marchés et dans les pharmacies dans certains pays d’Afrique, révèle l’Étude des agents dépigmentants et de leur utilisation détournée dans la dépigmentation volontaire (décembre 2013) menée par Nathalie Migan, docteure en pharmacie et co-fondatrice de l’association Ewa Ethnik qui lutte contre la dépigmentation volontaire (DV).

« Comme en France, ces pharmacies appartiennent à des pharmaciens diplômés. Sur 10 pharmacies visitées (à Cotonou et en Côte d’ivoire), 7 vendaient des produits éclaircissants disponibles aux rayons des produits dermo-cosmétiques », détaille l’étude.

Un libre accès, une transparence des étiquettes arbitraire et une rétention d’information qui ne sont pas sans conséquences sur les habitudes de consommation. Pourtant, les risques sont bien réels. Les conséquences sur la santé vont être doubles : à la fois cutanées et systémiques.

« Les complications cutanées les plus fréquentes et les plus sévères sont en rapport avec l’usage des produits à base de corticoïdes », indique le rapport l’afssaps « Évaluation des risques liés à la dépigmentation volontaire » (octobre 2011). Dermatites (eczéma, irritations, prurit…), gale, pyodermites superficielles (folliculites, impétigo, ecthyma, furoncles), acné, vergetures irréversibles etc. la liste est longue…

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Les effets systémiques sont également considérables : complications rénales et obstétricales. « Dès l’instant où le produit pénètre dans le sang, celui-ci est empoisonné », prévient Catherine Tetteh. La fondatrice de Melanin Foundation est sans appel : « Quand les femmes tombent enceintes, elles contaminent leur enfant. A haute dose, ces produits entraînent une modification génétique et des problèmes de soudures osseuses chez l’enfant, des déformations ».

A noter que le pouvoir d’achat des consommatrices et leur profil socio-économique (selon qu’elles vivent en zone rurale ou zone urbaine), vont avoir un impact sur la « qualité » des produits. Plus la consommatrice est pauvre et sous-informée, et plus elle va se tourner vers des recettes DIY encore plus toxiques pour la santé comme des mélanges de produits dépigmentants avec de l’eau de javel.

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Banalisation des produits éclaircissants : un marché trop lucratif

Absence de contrôle de publicité en Afrique, des gouvernements qui « ferment les yeux », et une OMS dépassée par les événements, qui peine à reconnaître la DV comme un problème de santé publique, considérant que « les consommatrices se mettent volontairement en danger »… autant de raisons qui justifient la vente libre des produits éclaircissants.

Si des actions ont été mises en place pour mettre fin à ce fléau, comme le décret interdisant la vente et l’utilisation de ces produits en Côte d’Ivoire datant de 2015, « cela n’a rien changé » !, s’insurge Catherine Tetteh. Et de poursuivre : « Le blanchiment de la peau rapporte des milliards et concurrence le marché de la drogue. Des usines entières au Togo, en Côte d’Ivoire, au Nigeria, en Afrique du Sud fabriquent des produits blanchissants », dénonce-t-elle.

D’autres produits quittent l’Afrique pour l’Europe, débarquent à Château d’Eau (Paris) et sont disponibles à la vente librement », complète la chercheuse qui se bat pour faire reconnaître la DV comme un problème de santé publique depuis plusieurs années. Elle est parvenue à convaincre l’Organisation Mondiale de la Santé de réaliser une conférence en ligne pour alerter les médecins en Afrique des dangers de ces produits dits éclaircissants. Un premier pas.

La publicité omniprésente (panneaux d’affichage en Côte d’Ivoire ou encore au Bénin, télévision, magazines) – jouant sur les termes « teint clair, éclatant » -, participe à la banalisation de ces produits. « Les marques ont réussi à faire croire que ces pratiques n’étaient pas dangereuses, s’inquiète Catherine Tetteh. Et à convaincre les diffuseurs qui s’appuient sur ce marché pour faire vivre leur économie : « Amina est lu partout en Afrique, même dans le village le plus reculé, et le magazine continue à placer de la pub pour les produits blanchissants. C’est très grave ».

Mais c’est sans compter sur la « mondialisation du teint » et la publicité déguisée tendance whitewashing où les stars africaines-américaines sont passées au filtre éclaircissant de Photoshop : Beyoncé en tête, pour une célèbre marque de cosmétiques. Les stars ont souvent été les premières ambassadrices du blanchiment de la peau, de Michael Jackson à, plus récemment, Lil Kim. Aujourd’hui, certaines n’hésitent pas à devenir égéries de produits éclaircissants en enchaînant la promo sur les plateaux télé.

C’est le cas de la chanteuse camerounaise Dencia qui a lancé sa propre marque de produits blanchissants : Whitenicious. Cette dernière a trouvé le bon filon pour s’en mettre plein les poches, malgré de nombreux détracteurs principalement issus de la communauté africaine-américaine : « Plus on en parle, plus mes ventes explosent », avait-elle confié dans les colonnes du monde.fr en décembre 2015.

Une marque au discours ambigu et controversé qui promettrait de faire disparaître les taches pigmentaires dont sont sujettes les carnations foncées. Outil de communication ou pas, il est primordial pour Catherine Tetteh d’informer les populations sur le sujet et sur les risques de la dépigmentation volontaire. « La communication par les médias a augmenté la consommation des produits éclaircissants. Il faut inverser le processus », clame-t-elle.

Lire la 1ère partie : Dépigmentation volontaire, un phénomène de société

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