Haïti est-il maudit ?
Depuis deux siècles, Haïti, première République noire de l’Histoire, est à la traîne du reste de la planète. Cela tient, sans doute, à un singulier parcours qui a démarré au lendemain d’une indépendance arrachée de haute lutte à la France napoléonienne, mais très vite dévoyée à cause de l’impéritie des « jacobins noirs » qui se sont succédé depuis 1804 à la tête de l’État, de l’instabilité récurrente, des révolutions de palais et d’une élite dirigeante rompue dans les jeux d’appareil, la palabre stérile et la transhumance politique. Le résultat de deux siècles d’errements et de louvoiement se passe de commentaires : un adulte sur deux ne sait aujourd’hui ni lire ni écrire et la moitié des enfants en bas âge sont sous-alimentés.
Comme si cela ne suffisait pas, Haïti semble plus exposé que d’autres aux cataclysmes naturels. En mai, des pluies torrentielles avaient provoqué la mort de plus de 2 000 personnes sans que nul, à l’étranger, ne s’en émeuve. Aujourd’hui, c’est une tempête tropicale, « Jeanne », qui sème le deuil et la désolation dans les campagnes haïtiennes. Bilan : près de 1 500 victimes et autant de « disparus », une litote pour désigner les morts sans sépultures.
Seulement voilà ! La catastrophe est moins naturelle qu’il n’y paraît. À preuve, la République dominicaine, qui partage avec Haïti l’île d’Hispaniola, a subi nettement moins de pertes en vies humaines et de dégâts lors du passage de « Jeanne », les 18 et 19 septembre. Une vingtaine de morts, dont 12 noyés dans des rivières en crue. Contre 1 500, peut-être 2 000 ou 3 000, chez son voisin de l’Est. Célèbre pour son panthéon vodù, Haïti serait-il ensorcelé ? Il suffit de survoler les deux pays caribéens pour se convaincre que cette religion née au Bénin a bon dos, et pour se faire une opinion de la responsabilité collective des Haïtiens dans le malheur qui les frappe. Le paysage, défiguré, est lunaire sur le versant oriental de l’île d’Hispaniola (Haïti), alors que les forêts luxuriantes abondent à l’Ouest.
Haïti est, selon un récent rapport onusien, la nation la plus déboisée de la planète. Le phénomène n’est d’ailleurs pas récent. À la fin du xviie siècle, les colons français avaient détruit des milliers d’hectares de forêt vierge pour planter la canne qui avait fait de la colonie le premier producteur mondial de sucre. Dans la foulée, on a coupé du bois pour alimenter les usines sucrières, puis abattu des arbres pour en exporter les essences en Europe. Avec une telle frénésie qu’en 1950 seul le quart de la surface d’Haïti était boisé. En 1987, ce chiffre est tombé à 10 % et, sept ans plus tard, à 4 %. De nos jours, il est de 1,4 %. Un véritable scandale écologique !
En proie à une misère chronique, la grande majorité des huit millions d’Haïtiens utilisent, pour faire la cuisine, du charbon de bois, bon marché, pour ne pas dire à disposition. Le déboisement a été accentué durant l’embargo international imposé à ce pays après le coup d’État qui renversa, en 1991, le prêtre salésien Jean-Bertrand Aristide, premier président démocratiquement élu de l’histoire bicentenaire d’Haïti. Pendant cette période (1991-1994), les populations ont dû recourir, plus qu’à l’accoutumée, au bois de coupe pour s’éclairer et cuire les aliments. Le kérosène, qui servait jusqu’alors à l’éclairage domestique, figurait – au même titre que le pétrole – parmi les produits touchés par l’embargo.
Puis les Haïtiens ont continué d’abattre les arbres parce que le prix du gaz propane était prohibitif. Par ailleurs, l’explosion démographique – la population croît chaque année de 2,3 % – a conduit les paysans à donner la priorité aux cultures vivrières au détriment des arbres. « Il nous faut coûte que coûte reboiser le pays si nous voulons nous en sortir, se lamentait, il y a peu, le Premier ministre Gérard Latortue. Tant qu’on ne l’aura pas fait, cela recommencera tous les deux, trois ou quatre ans. » Ce n’est pas dame nature qui le contredira.
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