[Chronique] Nigeria : cuisine au cube, misogynie au carré ?
Au Nigeria, une publicité pour un cube de bouillon suscite une polémique sur l’image de la femme. Épiphénomène numérique ou évolution de la société ?
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 13 novembre 2018 Lecture : 2 minutes.
Les « bouillons cubes » sont la cible de nombreuses critiques, en particulier les additifs alimentaires cubiques de la société fondée par Julius Maggi : leur teneur en sel aggraverait l’hypertension artérielle, l’uniformité de leurs saveurs appauvrirait le sens gustatif des nouvelles générations et leur production par des multinationales concurrencerait la valorisation de la tradition culinaire locale.
Depuis une récente publicité diffusée au Nigeria, ces exhausteurs de goût incontournables dans la cuisine africaine sont également accusés d’assaisonner une misogynie ambiante…
Une femme se démène entre ses activités de femme d’affaires efficace, d’épouse sensuelle, de mère attentionnée et de cuisinière de talent
Une héroïne cordon bleu
Dans une campagne numérique et télévisuelle lancée le 30 octobre dernier, Maggi met en scène une Africaine urbaine qui se démène – avec succès et grâce au bouillon cube – entre ses activités de femme d’affaires efficace, d’épouse sensuelle, de mère attentionnée et de cuisinière de talent. L’héroïne cordon bleu l’affirme en fin de spot : elle aime « tout ce qu’elle fait ».
Dans une société nigériane encore largement nourrie de valeurs patriarcales, propulser un personnage publicitaire féminin dans le monde du business pourrait paraître bien féministe. Il y a deux ans à peine, le président actuel du pays, Muhammadu Buhari, n’avait-il pas rappelé publiquement à son épouse que sa place était « à la cuisine, dans le salon et l’autre chambre » ?
Pourtant, même si le personnage du spot Maggi est professionnellement ambitieux, une opinion nigériane jeune et connectée n’en démord pas : la campagne publicitaire, si elle ne cantonne pas la femme aux fourneaux, l’y ramène irrémédiablement.
Le spot devient une injonction du genre « travaille si tu veux, femme, mais n’oublie pas de nourrir ton homme »
Autant « super-esclave » que « Superwoman » ?
Sur Twitter et Instagram, la polémique s’est répandue comme une traînée de poudre Maggi. Des internautes dénoncent le cliché misogyne de la femme qui « souffre et continue à sourire ». La presse évoque le stéréotype d’une mère de famille tout autant « super-esclave » que « Superwoman ». Le cube de bouillon serait davantage le moyen de supporter des tâches ménagères censément « féminines » que de les partager avec la gent masculine. Sous cet angle, le spot devient une injonction du genre « travaille si tu veux, femme, mais n’oublie pas de nourrir ton homme ».
>>> À LIRE – Droits des femmes : Africaines du continent et diaspora, même combat ?
Il reste à savoir si les réactifs occidentalisés de la toile sont représentatifs de l’opinion nationale. Un spot avec un père de famille au fourneaux pourrait nous éclairer. Publicitaires, à vos brainstormings…
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