Marguerite Abouet : espoir de toute une génération de créatifs

Rencontre avec l’auteure et scénariste ivoirienne, Marguerite Abouet, 10 ans après la sortie du 1er volume de sa série à succès : Aya de Yopougon.

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eva sauphie

Publié le 12 janvier 2017 Lecture : 9 minutes.

Spontanée, drôle, curieuse, volubile, créative et impertinente, Marguerite Abouet est à l’image de son héroïne désormais culte : Aya de Yop City ! Mais n’allez pas croire que l’auteure n’a pas les pieds sur terre. Derrière son imagination débordante, son apparente légèreté et son côté éternelle adolescente, se cache une forte tête.

Quand nous l’avons rencontrée dans un café, place de la République, à Paris, nous avons découvert une femme d’idées et de convictions, qui œuvre pour l’éducation pour tous en Afrique, multiplie les projets pour promouvoir la création panafricaine et qui se bat pour véhiculer une autre image du continent à travers ses récits. Mais aussi sur le terrain. Parce que si son but est de raconter des histoires, à 45 ans, la bédéaste souhaite aussi que la jeunesse africaine prenne la relève en écrivant de nouveaux chapitres.

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Vous êtes née et avez grandi à Yopougon, ce quartier abidjanais qui est au cœur de vos ouvrages. C’était quoi de grandir là-bas dans les années 70 ?

C’était magique ! Raison pour laquelle mes histories tournent toujours autour de Yopougon. J’ai vraiment eu la chance d’être née pendant ces années glorieuses. Ma famille et les résidents du quartier faisaient partie de cette classe juste. L’État jouait son rôle. On allait à l’école et on avait accès aux soins. Les parents étaient en mesure d’avoir du temps libre pour nous emmener en vacances.

Je me souviens qu’on avait tous des réfrigérateurs, que ma mère avait sa voiture, et pourtant on n’était pas dans un quartier chic comme Cocody, mais véritablement dans un nouveau quartier, en plein essor, construit pour accueillir ces nouveaux travailleurs dont mes parents faisaient partie. On s’est retrouvés avec des voisins venus de toute l’Afrique, du Burkina au Mali, en passant par le Cameroun etc. Il y avait un réel brassage culturel et religieux, c’était une chance de pouvoir grandir dans cet environnement.

L’émergence, je l’ai connue à cette époque-là. J’ai grandi au sein d’une famille où il était important d’être curieux. On n’avait pas peur des autres. On allait chez les uns et les autres. On a été élevés dans cette richesse culturelle, alors forcément cela fait des enfants heureux.

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De quelle manière le quartier a-t-il évolué ?

La population a triplé. Le quartier a été touché par la mondialisation. Nos parents, qui aspiraient à vivre une retraite tranquille, se retrouvent aujourd’hui à vivre avec leurs enfants, qui eux-mêmes vivent avec leurs enfants. Ça change fatalement la physionomie du quartier. Des petites pièces ont été construites au sein des maisons pour pouvoir accueillir cette nouvelle population. Et devant chaque maison, il y a des étales pour que les résidents puissent avoir leurs petits commerces. Nous, on avait de l’espace pour jouer, c’était un petit village.

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Est-ce qu’il reste encore cette énergie que vous avez connue enfant ?

Quand j’y suis retournée, 15 ans après, je n’ai pas reconnu mon quartier. Mais, ce qui m’a réconfortée c’est que les portes restaient ouvertes, physiquement. C’était comme une invitation à entrer chez les voisins, comme avant. Et c’est ce que j’ai fait ! Il y a encore cet esprit de communauté, des anciens qui surveillent les petits jouer…

Pour autant, il est de plus en plus rare de voir ces familles traditionnelles africaines. J’ai grandi avec mes cousins et cousines autour de moi, aujourd’hui les gens s’occupent davantage d’eux-mêmes. Mais, il faut espérer que la mondialisation ne nous enlève pas cet esprit.

Quand vous quittez la Côte d’Ivoire, vous avez 12 ans…

Oui, je suis allée à Paris à l’âge de 12 ans avec mon oncle. J’en ai beaucoup voulu à ma mère au début, mais ensuite j’ai compris que c’était pour me préserver et m’offrir une chance de suivre une bonne scolarité. Parce que je trainais beaucoup dans le quartier (rires). Je suis allée au lycée dans le 18e, et ensuite à la fac de droit. Enfin, j’ai fait une capacité !

Comment êtes-vous arrivée à l’écriture ?

L’écriture n’a jamais été une passion vous savez. Les gens s’attendent à ce que je dise que c’est super, mais c’est ennuyeux et solitaire. J’ai reçu une éducation où le fait de lire seule dans un coin n’était pas normal.

Qu’est-ce qui cloche chez vous alors ?

Quand je me retrouve à 16 ans seule dans une chambre de bonne – je gardais des triplets en échange – que ma vieille télé ne fonctionne pas et que je n’ai pas d’argent pour sortir après les cours, je ne vois pas d’autre source de divertissement que de raconter les histoires de mon enfance.

L’écriture pour moi a été une thérapie. J’avais besoin de me raconter. Quand je suis arrivée en France, ma hantise était d’oublier d’où je venais. C’est pourquoi j’ai inséré du Nouchi (argot ivoirien, ndlr), dans mes histoires pour ne pas oublier qui j’étais.

Comment parvenez-vous à rencontrer l’équipe de Gallimard ?

Je n’ai jamais cessé d’écrire, même quand je travaillais au sein d’un cabinet d’avocat. J’ai rencontré un dessinateur jeunesse de Gallimard qui adorait mes histoires. Il m’a demandé de lui donner une photo de moi quand j’étais petite, et très vite le format BD est né. Le premier personnage était Akissi d’ailleurs, et non Aya.

Pourquoi le format BD ?

Le format BD permet de vulgariser, on peut tout raconter. Cette idée me plait. C’est universel et intergénérationnel. Je souhaite aussi m’adresser à ceux qui ne savent pas lire. Le dessin permet de toucher cette population-là.

Quand Gallimard vous annonce qu’on va vous publier, comment réagissez-vous ?

Je n’ai réalisé qu’une fois l’album dans les mains. Ensuite, je n’ai absolument pas compris ce qui se passait : prix du meilleur premier album au festival d’Angoulême en 2006, coup de cœur de la Fnac… Puis, on a commencé à m’inviter partout, jusqu’à New York. On n’est pas préparé à cela.

Qu’avez-vous ressenti lorsque l’on vous a décerné le Prix du meilleur premier album, justement ?

Le même jour, un grand quotidien français publiait un article sur Aya en m’accusant de faire l’autruche. Dans l’article, l’auteur avançait que je brossais le portrait de petites bourgeoises en omettant de parler de la misère. Ca m’avait dépitée. Mon éditeur, un peu agacé, m’avait alors proposé de faire un droit de réponse. Le soir même, on recevait ce premier prix : c’était la plus belle réponse que je pouvais lui faire.

Dans ce genre de festival, les femmes sont rarement récompensées, et encore moins les femmes noires. J’étais fière et j’ai sentie que j’avais une nouvelle responsabilité, que j’étais devenue un espoir pour la génération future. En Afrique aussi, toutes les petites filles souhaitent ressembler à Aya. Elles font des études, elles veulent faire des choses. Aya est une belle ambassadrice, et rien que pour cela, je peux être fière.

Quand vous retournez en Côte d’Ivoire après la publication d’Aya, quel accueil recevez-vous ?

Aya n’a pas eu un succès immédiat en Afrique, c’est pour cela peut-être que je garde la tête sur les épaules. Le succès est arrivé progressivement, et d’abord en France. La première fois que je suis allée dédicacer au Mediastore – aujourd’hui la Fnac -, à Abidjan, le public était essentiellement composé de couples mixtes, d’expatriés.

Quand je suis allée à la rencontre de la population locale lors d’une autre dédicace, je me suis rendue compte que personne n’avait pu lire le livre. Aussi, à mon retour à Paris, je suis allée voir mon éditeur pour que l’on trouve une solution. On ne pouvait pas écrire un livre sur l’Afrique sans que les Africains puissent l’acheter. Avec Gallimard, on a donc pensé à une version souple, donc moins chère. C’était vraiment une victoire. A partir de ce moment-là, on a commencé à avoir un vrai succès sur les ventes avec ce format.

Par ailleurs, ce qui a vraiment généré du buzz, c’est le film ! Dix ans se sont écoulés depuis, et Aya reste un phénomène incroyable.

Malgré la pénurie de salles de cinéma en Côte d’Ivoire, êtes-vous parvenue à diffuser le film ?

Hélas, oui, il n’y a pas de salles de cinéma. Pour remédier à ce problème, nous avons organisé des projections en plein air, une vraie tournée africaine ! Le film a même été projeté dans des coins reculés de la Côte d’Ivoire, puis il a été diffusé à la télé. Je pense que les Africains sont plutôt fiers. Leur histoire et leur quotidien sont connus à travers le monde. La BD a été traduite dans 17 langues, c’est énorme.

A quel moment avez-vous pris conscience que l’écriture était devenu votre métier ?

A un moment, il a fallu faire un choix entre le cabinet et Aya. Je pouvais vivre de la BD dès le premier tome, alors j’ai fini par me lancer.

J’ai commencé à réaliser ce qui m’arrivait quand mon éditeur m’a annoncé que le 2e tome devait être meilleur que le 1er. J’ai ressenti la pression pour la première fois.

J’ai beaucoup de mal à me mettre dans des cases, et c’est ce que j’aime. Aujourd’hui, je ne suis pas juste auteure de BD, je réalise un long-métrage pour le cinéma, j’écris pour C’est la Viesérie télé diffusée sur TV5 Monde Afrique, pendant panafricain de Plus belle la vie par le même créateur, ndlr -, je participe à un superbe projet de western africain contemporain… Ce que j’aime avant tout, c’est raconter des histoires, peu importe le support.

L’Afrique demeure-t-elle votre principale source d’inspiration ?

L’Afrique forcément, parce que c’est la base, le noyau autour duquel je me suis construite. Mes souvenirs sont africains, mon imaginaire vient de ces légendes – son dernier ouvrage, Essi, traite des mythologies africaines, ndlr –  comme dans Bienvenue où l’héroïne est blanche mais l’entourage, métissé et afro-descendant. Je veux créer des personnages qui racontent l’Afrique et le monde qui nous entoure, autrement.

Quel message souhaitez-vous transmettre à la jeunesse, vous qui écrivez en partie pour elle, et qui œuvrez pour l’éducation ?

Je parle beaucoup de curiosité. J’étais au Nigeria il y a pas longtemps et j’ai été frappée par leur manque de curiosité à l’égard de l’Afrique francophone. J’ai été curieuse de me rendre là-bas, et j’y ai rencontré des jeunes filles talentueuses, éduquées, qui prennent la parole. Il y a une vraie dynamique là-bas. Il faut oser aller voir ce qui se passe ailleurs. Professionnellement comme personnellement, c’est très enrichissant. Mon combat est de parvenir à ce que l’on se réunisse. C’est ce qui manque aussi, ici, à Paris. Chacun fait des choses dans son coin. Il faut s’apporter mutuellement. Il faut aussi oser frapper aux portes.

Puis, je dis souvent aux jeunes que l’on n’a rien sans formation. On a tous un don, mais cela se travaille ! Enfin, il y a la créativité. On m’a souvent reprochée de ne pas faire appel aux dessinateurs africains. Mais je n’en ai pas rencontré un seul qui ne soit pas contaminé par la référence franco-belge. Les dessins sont figés. Il faut oser s’affirmer.

Comment votre combat pour l’éducation se manifeste-il sur le terrain ?

J’agis sur le terrain par le biais de mon association Des livres pour tous. On ouvre des bibliothèques jeunesse, il y en a deux belles à Abidjan, et on se bat pour faire vivre ces espaces et pour en implanter un peu partout en Afrique. Il y a des milliers d’inscrits – beaucoup de petites filles – de la maternelle à l’université. Et les activités proposées sont géniales. A travers ces actions, je montre que c’est désormais aux jeunes de prendre un stylo et de créer autre chose. Si moi j’y suis arrivée, ils le peuvent aussi.

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